Lundi

 
Toujours dans ma vaillante recherche de nouvelles positives, je découvre, avec un coupable retard, les élections professionnelles chez Orange. Pendant qu’on parlait beaucoup des révélations duCanard Enchainé sur les frais engagés pour l’appartement parisien et le bureau de Therry Lepaon, le secrétaire général de la CGT, sa confédération prenait une claque historique chez l’opérateur télécom.
C’est très important car la CGT a toujours dominé aux PTT, à la Poste comme aux Télécoms. C’est encore plus important parce qu’en 1995, la date fondatrice de l’histoire sociale récente de notre pays, la CFDT s’était prononcée pour la réforme Juppé des retraites des régimes spéciaux et c’est ce qui lui a valu une révolution intérieure qui déboucha sur le véritable essor de SUD-PTT. C’est aux Télécoms en 1995, donc, qu’est né le syndicalisme d’extrême gauche, d’idéologie « de résistance au capitalisme » et d’essence corporatiste, fortement investit par la LCR trotskyste. Ce syndicalisme a depuis pesé considérablement sur la vie sociale et économique du pays, la CGT et SUD ont dominé l’espace, sur la ligne du refus, du rejet des réformes, de toute réforme.
Ce qui était vrai de l’espace syndical l’était, par glissement, de l’espace politique. Ce n’est pas seulement depuis 1995 que l’extrême gauche domine la pensée de la gauche, c’est vrai depuis un siècle de socialisme. Mais ce surmoi s’est ressourcé « dans les luttes » de l’hiver 1995, avant de le faire à nouveau dans « la crise du libéralisme » de Lehman Brothers.
Le vote chez Orange marque un tournant. Je vous redonne les résultats : en comparaison des dernières élections en 2011, la CGT et SUD ont été mis en minorité, la CGT perd 3 points à 19,5 %, SUD un point à 17,5 %. Les syndicats réformistes (CFDT, FO et CFE-CGC) enregistrent plus de 55 % des voix, près de 5 points de plus. La CFDT réalise 24,1 % des voix et gagne deux points. La CFE-CGC un point à 16,2 % des voix, comme FO à 15 %.
La CFDT de Laurent Berger fait un come-back, après 20 ans de reculs et de difficultés : voilà la bonne nouvelle. Le syndicalisme réformiste, celui qui ne se contente pas du refus mais qui propose, a trouvé un écho parmi les 100 000 salariés d’Orange. C’est encore trop rapide d’en conclure que les esprits français sont prêts pour les réformes, la CFDT s’en garde prudemment d’ailleurs. Mais, dans cet automne si gris, si triste, si lourd, voilà comme un petit soleil. Dans les assourdissantes jérémiades nostalgiques, voilà comme une petite musique…

Mardi

Jeffrey Sachs, professeur d’économie à Columbia, est connu pour avoir été le grand inspirateur de la « thérapie de choc » en Russie et dans les pays de l’Est après la chute du communisme. Les dépressions économiques qui ont suivi lui ont été beaucoup reprochées. Quoi qu’il en soit (le débat sur ce qu’il eût fallu faire reste ouvert chez les économistes), il demeure un économiste hors pair. Il nous éclaire grandement sur tout ce discours sur « l’investissement » qui a surgi d’un coup dans notre espace économique. D’un coup, en effet, on demande à l’Allemagne, à Bruxelles, mais en fait à tous les Etats, « d’investir », comme nouvelle solution à la crise. D’où vient cette injonction subite ?
De l’échec double, explique Sachs, des « supply-siders » comme des « neo-keynesians ». La crise perdure parce qu’on perd son temps dans la vaine querelle des tenants de l’offre contre des tenants de la demande. L’approche néo-keynésienne est de pousser tous les investissements de toutes sortes. Tant pis si on achète des voitures qui polluent, tant pis si on construit encore des ronds-points, tant pis si on gonfle une nouvelle bulle immobilière, tant pis si Wall Street bénéficie plus de la relance que le salaire de monsieur tout-le-monde. La demande est la demande quelle que soit sa couleur, l’important est d’injecter des milliards dans le circuit économique.
Les partisans de l’économie de l’offre veulent promouvoir, eux, l’investissement privé, surtout pas public, au travers des baisses d’impôts et des dérégulations. Dans tous les cas, déplore Sachs, cela conduit à une bulle immobilière.
Les deux sont en échec : la part de l’investissement dans le PIB est redescendue de 24,9 % en 1990 à 20 % en 2013 dans les pays développés (chiffres du FMI). Aux Etats-Unis, de 23,6 % en 1990 à 19,3 % en 2013, dans l’Union européenne de 24 % à 18,1 %. La conséquence en est un immense retard sur les besoins de nos sociétés : la transition énergétique pour éviter au climat de se réchauffer de plus de 2°C (Sachs est un grand défenseur de la cause climatique) et les infrastructures modernes, à commencer par celles de transport.
Au lieu de ça, les gouvernements coupent dans leurs bons investissements, le secteur privé ne prend pas le relais comme le prévoyait le plan « magique » des supply-siders. Voilà pourquoi les économies ne parviennent pas à sortir vraiment de la crise, dit Jeffrey Sachs. La Chine fait beaucoup mieux, poursuit l’économiste, pour mobiliser l’épargne dans le sens du futur.

Jeudi

Comme pour illustrer la paralysie des Etats à monter les bons schémas d’« investissements » pour sortir de la crise, le plan Junker ne parvient à mobiliser que 21 milliards d’euros de « vrai argent », selon la remarque d’Emmanuel Macron. Dans le même temps, Volkswagen annonce investir 85 milliards dans les cinq ans qui viennent et Uber, la société de VTC née il y a cinq ans, lève à nouveau un milliard de capital dans un claquement de doigts et vaut déjà 40 milliards de dollars en bourse. Les Etats ne savent vraiment plus y faire.

Samedi et dimanche

La francophonie vieux bastringue du passé ? Placard doré pour dirigeants virés ? A n’en pas douter. Voilà un exemple d’investissement du futur pourtant : la langue. Si les Etats-Unis dominent tant Internet c’est aussi grâce à l’anglais devenu langue universelle. Sur le web, ce ne sont pas les pays qui comptent mais la langue. Le français est la cinquième langue la plus parlée au monde avec 274 millions de personnes. Immense marché ouvert, vers l’Afrique d’abord. On se plaint en Europe des empires du GAFA, Strasbourg veut démanteler Google. Avec raison pour ce qui concerne les questions de libertés individuelles des données. Avec moins de raison en constatant que les emplois de ces géants sont aux Etats-Unis. Internet supprime des jobs en Europe (banques, commerces) mais n’en créent pas chez nous. Si l’Internet « français » est trop étroit, l’Internet en français est quatre fois plus grand. C’était la bonne nouvelle de fin. Bonne semaine.