François Mitterrand aimait laisser du temps au temps, et le temps le lui rend bien. Il lui offre une confortable popularité parmi les Français et un triomphe d’estime dans les médias, généralement bienveillants avec un président qui, pourtant, ne le fut guère avec eux.
Cet homme que ses plus farouches adversaires disaient « du passé » est, dans notre présent compliqué, magnifié par l’imparfait.
S’il est naturel que ce personnage de roman ait marqué les esprits et le pays, il est plus surprenant que son bilan s’affiche en positif dans la mémoire collective nationale. Comme si les déçus de la gauche et le « droit d’inventaire » réclamé par Lionel Jospin avaient été retranchés du « poids de l’Histoire », dont il se prévalait le soir de sa victoire.
Aujourd’hui, il apparaît surtout comme un héros de la nostalgie. Même ceux qui ne votèrent pas pour lui en 1981 savourent ces images du 10 mai — repassées en boucle — comme autant d’instantanés de leur jeunesse en fuite. Ce fut, pour tous, des moments d’intensité.
Une rupture, » historique » pour le coup, après vingt-trois années de pouvoir incontesté de la droite. Cette dimension-là, unique à ce jour, a compté pour beaucoup dans la légende : il reste à ce jour le seul président de gauche élu sous la Ve République. Dans un demi-siècle, voilà une grandiose solitude qui en fait une référence.
« L’œuvre » n’est pas si spectaculaire, et se limite à des réalisations des deux premières années à l’Élysée — ce sont les plus couramment citées — avant le tournant de la rigueur. Mais elle est suffisante pour symboliser un changement qui, ensuite, rentra assez vite dans le rang.
L’acquis le plus durable ne fut pas le plus populaire et même pas forcément de gauche. L’accélération de la construction européenne, puisqu’il s’agit d’elle, fut plus une profession de foi civilisatrice qu’un combat pour les masses…
Et sans l’adoption de l’euro avec le référendum sur Maastricht, le deuxième septennat, ne compterait pratiquement pas, oblitéré par une deuxième cohabitation, et la maladie.
Ce Mitterrand contesté qui descendit, lui aussi, dans des abîmes d’impopularité et quitta le pouvoir doublement à bout de souffle est aujourd’hui relégitimé par un peuple de gauche qui le plébiscite à plus de 85 %.
L’icône, assurément rentable, peut être brandie par tous ses héritiers. Allô Tonton ? Aucun d’eux ne va s’en priver au cours de la campagne ! Faut-il que le socialisme à géométrie très variable du seul président aux deux septennats soit toujours d’actualité ?
Dans les urnes peut-être. Par défaut sûrement. Mais pour construire un projet exaltant à proposer aux Français, il faudrait tout de même un peu plus d’imagination visionnaire que ce simple regard tutélaire. Un peu plus de cette audace nouvelle qui seule pourra ouvrir la voie vers la présidence.