Conforté par l'Allemagne et la France, Georges Papandréou a encore une chance de sauver la Grèce de la faillite. Mais s'il passe la rampe à l'international, il est considéré comme un "Grec de l'étranger" chez lui.
Le oui allemand permet d'éviter, pour l'instant, la faillite de la Grèce et l'implosion de la zone euro. Le 30 septembre, à Paris cette fois, le Premier ministre l'a longuement expliqué au président Nicolas Sarkozy: "Je veux dire de façon parfaitement claire que la Grèce, moi-même, notre gouvernement, le peuple grec sommes déterminés à faire les changements nécessaires." A voir. Car la rue grecque est exaspérée par la cure d'austérité du gouvernement, mais aussi par la personnalité de celui qui le dirige. Au lieu d'une unité nationale, c'est sur une équipe restreinte et impopulaire que Georges Papandréou s'appuie. Cela sous le contrôle d'experts de l'Union européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international contraints de zigzaguer d'un ministère à l'autre entre les manifestations qui paralysent la capitale hellène. Raffiné, courtois, la silhouette longue et distinguée, la moustache impeccablement taillée, adepte du vélo et du jogging dans un pays où l'on préfère rouler en voiture et jouer au foot, Georges Papandréou, à 59 ans, a gagné une manche importante pour sauver son pays de la faillite. Mais sur place, il est toujours considéré comme un "Grec de l'étranger". A Athènes, il est invisible. Il va de sa résidence au ministère dans une voiture sous haute surveillance, entouré de gardes du corps. On se moque des fautes qu'il commet en parlant la langue d'Homère, qu'il maîtrise moins bien que celle de Shakespeare. "Tout le monde ici l'appelle Giorgakis, le Petit Georges, on le ridiculise parce qu'il est toujours avec son ordinateur. On l'appelle aussi Jeffrey, son prénom américain", raconte le politologue Giorgos Kirtsos. Jeffrey? Le problème, c'est que les élites internationales l'adorent. "Il est charmant, très curieux de tout, un vrai gentleman, s'enthousiasme l'économiste Daniel Cohen, qui conseille le gouvernement grec avec la banque Lazard. Quand vous parlez, non seulement il vous écoute, mais il prend tout en note sur son ordinateur."Yossi Beilin, ex-ministre israélien de l'Economie et de la Justice, aujourd'hui président de l'institut Beilink Business Foreign Affairs, est lui aussi dithyrambique: "Il est unique, il a une histoire unique, il est vraiment drôle et très engagé dans tout ce qu'il fait."
Illustre et lourde famille
Né aux Etats-Unis d'une mère américaine durant un exil dû aux activités trotskistes de son père, Georges Papandréou y a passé une partie de son enfance, avant de repartir en Grèce, puis d'en être chassé avec sa famille par les colonels en 1967. "Jeune, il était calme et observait, cherchant sa place dans son illustre famille, raconte Richard Parker, professeur d'économie à Harvard, et ami de la famille. Son grand-père et son père avaient placé la barre très haut." Les Papandréou sont la plus fameuse des trois dynasties, avec les Karamanlis et les Mitsotakis, qui se partagent le pouvoir en Grèce depuis des décennies. Le grand-père fut trois fois Premier ministre. Le père, Andréas, a fondé le Parti socialiste grec, le Pasok, et fut Premier ministre dans les années 1980 et 1990. L'ombre immense de ce tribun charismatique, grand séducteur, capable de mobiliser les foules, plane sur le fils. "Papandréou a un problème d'ordre psychanalytique qui, comme dans la plupart des tragédies grecques, renvoie au rôle du père", analyse le journaliste Nikos Aliagas, qui fut présentateur d'un journal télévisé en Grèce dans les années 1990. Georges a 14 ans ce 21 avril 1967. Le coup d'Etat des militaires vient d'avoir lieu. Ils déboulent pour chercher son père caché dans la véranda au premier étage de la maison. L'un d'eux colle sa mitraillette sur l'enfant. "Où est-il?" Georges reste coi. Andréas se livre. Il est battu et arrêté. La famille s'exile. "Georges est alors devenu introverti, a raconté son frère. Il a mis du temps à se remettre de ce traumatisme." Près de trente ans plus tard, Andréas meurt le 23 juin 1996, après avoir défrayé la chronique avec sa liaison puis son mariage avec l'hôtesse de l'air Dimitra Liani. Il lui lègue tous ses biens et déshérite ses quatre enfants à qui il laisse "un nom et une éducation". A la différence du reste de la progéniture, Georges, l'aîné, accepte la décision paternelle. Dit qu'il faut se souvenir des"grands moments" de son père, dont il porte le nom "avec fierté". Georges n'avait pourtant pas hésité à affronter son père miné par la maladie, réclamant publiquement son départ du pouvoir.
Contraint à la rigueur
Entre rupture filiale et exploitation de la légitimité familiale, il a pris son envol. Mais doit aujourd'hui expier les péchés paternels. Sous le règne d'Andréas, la dette publique du pays est passée de 20 à 80% du PIB, et le clientélisme -une place dans la fonction publique contre un vote- a explosé. Pour gagner les élections en 2009, après deux échecs successifs contre Kostas Karamanlis, Georges Papandréou avait promis des "mesures immédiates pour tonifier l'économie, injecter des liquidités sur le marché et soutenir les revenus des travailleurs". En fait de tonifiant, c'est d'un remède de cheval qu'aura besoin le pays. On découvre que le déficit budgétaire s'élève non à 3,7% du PIB, mais à ... 12,7%. Les comptes nationaux légués par le gouvernement de Kostas Karamanlis -doctement enregistrés par Bruxelles- ont bel et bien été truqués. Le début de la législature du socialiste Papandréou s'ouvre avec un immense gouffre. "Il aurait dû parler aux Grecs dès le début, leur dire que les mesures prises seraient lourdes et injustes, mais que c'était bien mieux que la faillite", avoue aujourd'hui l'un de ses conseillers. Pour leur annoncer les mauvaises nouvelles, le 23 avril 2010, il choisit de s'exprimer à la télévision sur l'île de Kastelorizo, dans un décor de carte postale, où le bleu de la Méditerranée le dispute à la blancheur des voiliers. Il promet non des larmes et du sang -l'homme n'a pas l'étoffe d'un Churchill-, mais une nouvelle Odyssée: "Nous connaissons le chemin d'Ithaque Nous atteindrons notre destination sains et saufs, plus assurés plus justes et plus fers." Les Grecs n'ont pas du tout été convaincus. "Compte tenu de l'urgence de la situation, j'étais furieux en le regardant, se souvient Jason Manolopoulos, cofondateur du hedge fund Dromeus Capital et auteur de Greece's Odious Debt, un livre au vitriol sur la dette grecque. Puis je me suis dit que le choix de cette île n'était pas anodin et qu'en fait Papandréou ne s'adressait pas au peuple grec." L'île de Kastelorizo, outre le fait qu'elle colle parfaitement à l'image que se font les touristes du pays, est située à l'extrémité orientale de l'Europe, proche de la Turquie et non loin de la Syrie et de l'Egypte. "Papandréou a voulu faire comprendre aux étrangers qu 'il y avait un risque géopolitique en plus d'un risque économique", conclut Jason Manolopoulos.
Fibre diplomatique
L'appel du grand large, Georges Papandréou a toujours eu du mal à y résister. Il a d'ailleurs été, de l'avis général, un excellent ministre des Affaires étrangères. De 1999 à 2004, il fut l'un des artisans de la normalisation des relations avec la Turquie. Une politique connue sous le nom "diplomatie de l'ouzo". Le nom d'une boisson traditionnelle qu'il a partagée avec son homologue turc de l'époque, Ismaïl Cem, dans une taverne de Washington. "Il s'agissait de montrer au monde que la Grèce et la Turquie pouvaient surpasser leurs différends diplomatiques parce que leurs cultures sont proches", décrypte l'un de ses ex-conseillers. Ce pouvoir de séduction, Georges Papandréou, Premier ministre de crise, l'a aussi déployé pour tenter de rassurer les investisseurs. Le 3 octobre 2010 à Berlin, il reçoit le prix Quadriga des mains de Josef Ackermann, le patron de la Deutsche Bank. Lors de la cérémonie, il se félicite de "cette reconnaissance d'un travail mené à bien par toute une nation, par mes concitoyens". De quoi mettre en rogne son opinion publique, chez qui le sentiment antigermanique est virulent. Une détestation qui remonte à la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle 13% de la population de la Grèce fut décimée. Côté allemand, le mépris affiché pour les Grecs est tel que Papandréou fut bien obligé -c'était en mars 2010- de mettre les choses au clair: "Nous n'avons pas la corruption dans les gènes, pas plus que les Allemands n'ont le nazisme dans les leurs." Voilà qui était dit. Et maintenant, va-t-il s'en sortir? "J'ai voté pour lui et je lui fais encore confiance, confie Timon Karamanos, avocat à Athènes. Mais il faudrait qu'il nous parle, car nous ne savons même pas où nous serons en décembre." Pour l'instant, c'est Evangelos Venizelos, ministre des Finances, qui occupe la scène. Homme de caractère, le Philippe Séguin grec est le pire ennemi de Papandréou au sein du parti. En juin dernier, Papandréou a remanié son gouvernement en plaçant cette personnalité au poste le plus exposé. Depuis, c'est de la bouche du ministre que sortent les mesures d'austérité les plus difficiles à faire avaler. La manoeuvre a consterné les chancelleries à Athènes et une opinion publique avide d'un appel d'air dans la classe politique, alors que le remaniement a renforcé le pouvoir des caciques du Pasok. "J'ai découvert un nouvel aspect de sa personnalité, s'étonne Kostas Vergopoulos, professeur d'économie à l'université de Paris 8. Il aime le pouvoir et s'y accroche. "Aujourd'hui, le Premier ministre est isolé. "Il a voulu faire une Maison-Blanche grecque, poursuit Vergopoulos. Il s'est entouré de 120 conseillers, mais n'en n'écoute aucun." Takis Bratsos, un autre économiste, note qu'il s'appuie surtout sur son premier cercle, celui de ses frères et de sa mère, "une très forte personnalité". Il peut aussi compter sur quelques partisans indéfectibles, comme Elena Panariti, députée du Pasok: "Il entrera dans l'histoire Quel que soit le coût politique, il sauvera son pays", ou encore Nikos Dimadis, ancien ambassadeur de Grèce auprès de la Commission européenne: "Il fera tout pour tenir jusqu'au bout. Seuls Papandréou et son gouvernement peuvent faire face aux difficultés actuelles." Difficultés qui se sont encore alourdies le 2 octobre, avec l'annonce que l'objectif de baisse du déficit public ne sera pas tenu en 2011. Le coût politique, la famille connaît. Le grand-père est allé six fois en prison, le père deux fois, et tous deux ont connu l'exil. Une défaite électorale, même à l'issue d'élections anticipées, serait un faible prix à payer.