J’ai bien peur que le monde de la finance n’ait pas été affolé par les propos de François Hollande. Personne n’en parlait à Davos, où le candidat socialiste est anonyme. Il y passe pour un social-démocrate français, donc pour un dépensier. En fait personne ne le connaît. Que pensent nos voisins, nos partenaires, de la présidentielle ?
Nicolas Sarkozy garde un préjugé favorable, celui d’avoir tenté de faire bouger les choses. C’est l’opinion des gens qui lisent le Financial Times. Ils admirent aussi sa façon de se saisir d’un problème, de le décortiquer et de vous vendre la solution. Dans l’ensemble, ils sont moins sévères que les Français avec ce président qui est allé de l’avant. Ils le jugent aussi prétentieux, désordonné, inconstant et enfantin, mais il me semble qu’ils le reconduiraient volontiers. Bien sûr, il s’agit du milieu de Davos et les opinions seraient peut-être différentes dans les faubourgs d’Athènes ou les champs du Yorkshire, mais enfin ce qui a paru aux Français si difficile à supporter, le genre présidentiel, n’entre pas en jeu ici où notre régime monarchique est considéré comme la cause de toutes les dérives et de tous les excès dans le comportement des dirigeants.
De François Hollande, ils ne savent donc pas grand-chose. Et puis, il ne leur a pas fait grosse impression, sauf qu’il a une jolie femme. Ils l’ont vu tendu et constipé dans les premiers mois de la campagne, après sa victoire à la primaire. Ils le voient aujourd’hui plus rond et souriant, comme quelqu’un qui a passé son examen. Pour eux, c’est un socialiste français, et qu’est-ce qu’un socialiste français ? un baratineur, un théoricien, quelqu’un qui ignore les réalités du monde et vit toujours au XIXe siècle. Mais les gens de la finance et des affaires sont pragmatiques. Ils se rappellent que si la droite a libéré l’économie en France, c’est la gauche qui a libéré la finance avec Fabius et Bérégovoy et qu’on n’a jamais fait de si belles affaires que sous François Mitterrand. Hollande a beau en faire ses ennemis, ils ne croient pas qu’il puisse leur faire beaucoup de mal. En aurait-il seulement les moyens ?
Des autres candidats, seule Marine Le Pen a un nom familier. Paradoxalement, la personnalité de son père ou la nature du Front national n’y entrent pour rien. C’est la championne de la sortie de l’euro qui a retenu l’attention. Dans tous les pays de la zone représentés à Davos, il existe une opposition plus ou moins forte à la monnaie unique, et l’on sait qu’en Grande-Bretagne l’opinion se divise entre ceux qui ne croient pas à l’euro et ceux qui n’en veulent pas. Aussi Marine Le Pen, considérée ici comme la candidate des chômeurs et des pauvres, n’inspire-t-elle pas du tout la peur qui l’accompagne d’ordinaire dans les milieux les plus autorisés de son pays natal. Le nationalisme, au demeurant, est la chose la mieux partagée d’une planète en crise.
Le reste, qui n’est pas négligeable, de François Bayrou aux protestataires et aux écologistes, n’entre pas en ligne de compte. Bayrou a été ministre des gouvernements de droite comme Sarkozy, et sa candidature est ressentie comme une affaire de concurrence interne, de rivalité personnelle. Mélenchon amuse souvent, inquiète parfois mais ne surprend jamais : des Mélenchon, des tribuns, il en pousse deux par jour dans les pays du Sud laminés par les exigences des pays du Nord, sans oublier que les pays du Nord en ont aussi, qui vocifèrent contre les menaces que représentent les pays du Sud. Les écologistes français sont un cas à part. Ceux qui les connaissent le mieux, les écologistes allemands, et ils sont nombreux à Davos, dénoncent leur goût politicien, leur lutte pour le pouvoir et la stérilité de leurs résultats, incapables qu’ils sont de s’allier avec quiconque. Les Américains et les Africains voteraient facilement Sarkozy. Les premiers parce qu’il passe toujours là-bas pour un libéral et que la guerre de Libye a réchauffé les liens transatlantiques. Les seconds parce qu’ils veulent attirer les investisseurs ; à leurs yeux, le président sortant est le candidat du monde des affaires et des marchés. Et puis Hollande ne dispose plus des relais qui servaient ses prédécesseurs ; affaire de génération. Restent les pays neufs, les conquérants. Ils s’en fichent. Ils sont absorbés par leur demande intérieure, comme un tigre affamé contemple son nombril.