TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

vendredi 10 septembre 2010


L'équation Sarkozy

En des jours difficiles, le président le plus détonnant de la Ve République traîne une méchante cote dans l'opinion. Son impopularité est d'ailleurs singulière qui tient moins à ce qu'il fait qu'à ce qu'il est ou paraît. Les épreuves nouvelles inspireront-elles un jugement où la forme n'écraserait pas le fond ? Pour l'heure, Sarkozy, qui débuta sous les fleurs, chemine dans les ronces.

Son image publique reflète, bien sûr, les traits de sa nature. Mais il n'a pas choisi à l'aveugle de lâcher bride à son exposition publique. Sa conviction fut qu'elle afficherait, à son avantage, un exercice iconoclaste de la présidence. Lourde faute d'appréciation sur l'état de l'opinion française ! Et sur la représentation, tant culturelle que politique, que notre monarchie républicaine se fait de la fonction présidentielle. Elle veut pour le rôle un autre maintien.

Il y a certes de l'injustice à enfermer l'homme d'action dans une comédie dégradée ; à oublier des réformes soit accomplies, soit engagées et dont on mésestime l'entrain. De l'ingratitude à gommer les atouts d'une énergie inventive qui nous sauva des gouffres lors du cyclone financier. Reste que les images traînent et s'impriment. Pour avoir livré, au jour le jour, une flopée de saynètes, annonces prématurées et algarades incongrues, il subit des retours de bâton. La crise - il n'y peut rien ! - dévalue à elle seule les promesses inaugurales. Mais combien de dégâts qu'un peu de contenance et de laconisme eût évité !

Ah, ce Fouquet's ! Sarkozy s'y afficha, dans l'euphorie, et à l'américaine, avec des pointures de la mode ou des affaires : une équipée qui retombe aujourd'hui en pluies acides. Ce copinage d'argent l'empêtre : il a beau s'acharner contre la cavalcade bancaire, il se trouve épinglé en complice de l'anarchie financière. Et les socialistes l'accusent de déficits publics... hérités, pour l'essentiel, de trente années d'incurie.

Le voici rivé à ce fichu Fouquet's, scotché au yacht de son escapade, sites présumés du veau d'or, tandis que l'opinion dégouline de nostalgie pour la longue sieste nationale des règnes Mitterrand et Chirac. Deux monarques, nullement hostiles aux commodités d'argent mais qui paradaient, eux, à la Roche de Solutré et au Salon de l'agriculture, reliquaires benoîts de la France profonde.

Ajoutez, chez Sarkozy, que le souci de proximité populaire, cette accointance familière, hélas gâtée par le trivial, aura moins séduit sa gauche qu'elle n'aura heurté sa droite. Et qu'enfin l'addiction à la vitesse et à l'ubiquité aura rogné les temps de réflexion.

Bref, l'impopularité du président pèse lourd. Evitons tout de même l'hystérie qui l'attise et vire au pilori ! Sarkozy peut, avec la réforme des retraites, emporter la Bastille des 60 ans et montrer contre l'adversité une fermeté que l'enjeu exige. Il peut, en octobre, sortir de son chapeau un gouvernement chambardé, plus neuf et carré. Sans le chiqué de quelques silhouettes d'ouverture dont le savoir-faire et l'atout politique furent médiocres. Il peut aussi " faire " un peu plus président...

L'offensive sécuritaire ? Elle expose, une fois encore, comment des vices de forme nuisent au fond. Si le pouvoir avait pris soin de démontrer l'illégalité individuelle des clandestins et l'établissement délictueux des campements roms, si le verbe n'avait pas frôlé de fâcheux amalgames, le pouvoir eût évité le fiel d'une bien-pensance qui, depuis cinquante ans, nous bassine avec Vichy et le nazisme. L'Eglise eût prêché, c'est son rôle, la charité sans délirer jusqu'à comparer le sort de nos Roms avec celui des juifs de l'Holocauste. Car, quant au fond, l'immigration clandestine reste un fléau. Contre elle, Hortefeux et Besson font résolument ce qu'ils ont à faire. Céder aux faussaires de l'antiracisme, c'est peupler les squats, remplir les prisons et nourrir, pour finir, le racisme.

L'affaire Bettencourt-Woerth, elle, n'a pas fini de faire payer au pouvoir le cumul, intenable de nos jours, d'une trésorerie de parti avec un ministère exposé. Il ne se trouve plus de signature du ministre, avalisant des arbitrages de Bercy ou des faveurs plus ou moins banales, qui ne nourrisse la suspicion. Et ne rabote, au pire moment, sa réputation de bon et solide ministre. Quelques acharnés espèrent que l'affaire Bettencourt, par sa nuisance symbolique d'argent et de pouvoir, emportera le sarkozysme comme l'affaire du collier de la reine emporta jadis l'Ancien Régime. Mais c'est monter un peu vite le bourrichon à l'Histoire...

Quant aux spéculations sondagières sur 2012, elles ne valent pas tripette (à vingt mois d'une élection présidentielle, le pronostic - en 1981, 1995 et 2002 - désigna le vaincu). L'avenir de Sarkozy se jouera sur deux fronts. L'économie, qui reste, pour l'essentiel, sur les genoux des dieux. Et les réformes, pour lesquelles il fut élu. Et dont il ne peut ni ne doit démordre


Claude Imbert

Le commentaire politique de Christophe Barbier


Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo

Alain Minc est l'invité politique de Christophe Barbier


Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo

Pouvoir de nuisance

La provocation stupide d’un groupe extrémiste, dans un coin d’Amérique, provoque une tornade diplomatique qui en dit long sur les relations entre le monde occidental et le monde musulman. La menace de brûler le livre sacré de croyants d’une autre religion ne mériterait qu’une ferme condamnation et le mépris. Avec la certitude, hélas, qu’ailleurs dans le monde des bibles et des lieux de culte de différentes confessions sont détruits sans que l’opinion en soit avertie ou s’en émeuve. Le fanatisme religieux ne connaît pas de frontières, mais l’hyperréactivité de certains courants islamistes incite à la vigilance.

Ce que craignent les autorités internationales, dont le président Obama (au-delà de l’atteinte à la liberté religieuse dénoncée par le Vatican), c’est la force de démultiplication que permettent les réseaux de communication modernes. On l’a vu avec l’affaire des caricatures de Mohammed ; on imagine les photos d’un coran brûlé en place publique circuler sur la Toile, donnant l’illusion que toute l’Amérique est derrière cette profanation : de quoi provoquer la colère de musulmans, sincèrement choqués ou largement instrumentalisés. Même si l’ensemble du monde occidental exprime sa désapprobation, même si aucune profanation, aussi odieuse soit-elle, ne justifie l’usage de violences.

Un sentiment anti-islam semble monter aux États-Unis, sentiment que connaît également l’Europe : le référendum en Suisse sur l’interdiction des minarets pour les mosquées ; la montée de l’extrême droite dans plusieurs pays ; les débats sur la burqa ou la polygamie en France… Tandis que s’illustre à maintes occasions la haine des extrémistes musulmans vis-à-vis de l’Amérique et de l’Occident en général, engagés dans une guerre en Irak et en Afghanistan.

Il suffit d’un groupe minoritaire pour prendre au piège tous ceux qui aspirent à apaiser les tensions en refusant le choc des religions et des civilisations. Ne rien en dire, ce serait prendre le risque d’une exploitation de l’autodafé par les islamistes. Le condamner aussi solennellement, c’est donner bien de l’importance à un groupe marginal et renforcer les extrémistes de tous bords dans leur pouvoir de nuisance. Le 11 septembre 2001, décidément, n’en finit pas de creuser ses plaies.



Dominique Quinio

Couple

Vous les avez vus, hier soir à la télévision, François Fillon et Ségolène Royal ? Belle opposition de styles. Ils ont le même âge, 56 ans, tous deux encore loin de la retraite. François Fillon fut sérieux, appliqué, voix grave et sourcils noirs. Sûr de lui jusqu'au sourire, réservé jusqu'au bégaiement. Fillon, ou la conviction tranquille. Ségolène Royal fut également sérieuse, donc solennelle. Prolixe, voix vibrante et chemisier blanc. Radicalement souriante, jusqu'à l'ironie. Royal, ou la conviction combattante. Ils ont parlé l'un après l'autre, évitant le face à face. Et si le duel était pour demain ? Bien sûr, tout annonce aujourd'hui l'affrontement entre Nicolas Sarkozy et Martine Aubry. Mais l'on sait ce que valent ces prédications sondagières. Alors Fillon-Royal en 2012, cela ferait un beau couple, non - et toujours une belle opposition de styles, et de fond.

La victoire d’Al Qaida

Dans un livre intitulé “l’Allemagne court à sa perte”, l’économiste Thilo Sarrazin mène croisade. En dépit de son patronyme, ce haut dirigeant de la Bundesbank ne prise guère la culture arabe. “Je ne veux pas, pour mes petits-enfants, un pays où les journées seraient rythmées par le chant du muezzin” écrit-il. À ses yeux, les musulmans “vivent aux crochets de l’État” et “minent” la société germanique. De quoi faire sonner le tocsin dans tous les villages de Bavière.

Ce pamphlet rageur crée le scandale outre-Rhin. Sans resservir l’éternel refrain “du ventre encore fécond qui engendra la bête immonde”, on s’inquiète. Parce que l’auteur n’a rien d’un extrémiste marginal. Il appartient à l’honorable SPD, le parti social-démocrate. Lequel menace de l’exclure, tout comme son employeur, la puissante banque centrale.

M. Sarrazin, loin de calmer le jeu, espère bien qu’on va le traîner en justice. Un procès public, en effet, donnerait à ses “idées” un écho formidable. Et aussi une belle occasion de compter ses supporters, évidemment nombreux…

L’histoire montre combien l’islamophobie se banalise, à grands coups d’amalgames ordinaires. En Europe, désormais, on entend des intellectuels tenir des propos jadis réservés aux piliers de bistrot. Ce qui pourrait signer, au fond, la victoire d’Al Qaida.


Gilles DEBERNARDI

Gâchis

La séance du Parlement européen fera date, mais pas à l'honneur de la France qui n'avait pas encore eu droit à ce genre de spectaculaire rappel à l'ordre. Bien sûr, la résolution demandant la suspension immédiate des expulsions est de pure forme. Le gouvernement reste donc droit dans ses bottes d'expulseur. Il plaide son bon droit, l'application scrupuleuse des lois française et européenne ainsi que le dialogue avec la Commission. Il considère aussi que l'opinion approuve sa fermeté et le fait qu'il applique ce qu'il avait annoncé.

Il aurait tort pourtant de se soucier comme d'une guigne de la position du Parlement européen. Qu'on apprécie ou pas son jeu politique, il s'agit d'une institution démocratique dont le poids et l'influence ne cessent de croître. La France a donc davantage intérêt à le respecter qu'à le prendre pour quantité négligeable. Le problème dans cette affaire, c'est que le gouvernement et le président ont bien cherché ce qui nous arrive. Ils subissent l'effet boomerang d' expulsions, pourtant pas nouvelles, mais qu'il a voulu spectaculaires.

Cette obsession de l'affichage sécuritaire, doublé d'une stigmatisation évidente quoique niée, l'a manifestement emporté pendant l'été. Au point de faire passer au second plan, le bien fondé de la démarche française en faveur d'une vraie politique d'intégration à l'échelle européenne de ces populations traitées comme moins que rien dans leur pays. Le gouvernement essaye maintenant de rattraper le coup, mais les dégâts sont là. Voilà que la France passe pour xénophobe alors qu'elle est un des pays qui accueille le plus d'étrangers. Joli résultat !

Le bénéfice politique à courte vue escompté sur la scène intérieure se fait donc au détriment de l'image de notre pays en Europe et même dans le monde. On sait pourtant que le pays des Droits de l'homme, celui qui ne cesse de faire avancer l'Europe, est d'autant plus attendu au tournant qu'il se fait parfois donneur de leçons. Raison de plus pour faire attention et cesser de jouer les autistes. Nicolas Sarkozy, qui s'apprête à jouer prochainement un nouveau rôle sur la scène mondiale a intérêt à vite rectifier le tir.

XAVIER PANON

L'Europe contre le
« c'est légal »


Ça ne va pas arranger les affaires de l'Europe. En tout cas, pour les Français qui la trouvent déjà trop envahissante et n'apprécieront pas l'épisode d'hier. L'espèce de droit d'ingérence que le parlement de Strasbourg s'est octroyé pour exhorter Paris à suspendre ses expulsions de Roms a toutes les chances d'apparaître à leurs yeux comme une offensive de sensiblerie défiant le droit.
La réaction outragée d'Éric Besson depuis Bucarest est significative d'une exaspération officielle à l'endroit de l'institution communautaire, et de ce qu'elle représente. Sûres d'elles, les autorités françaises ont beau jeu d'invoquer le « c'est légal » pour justifier des mesures validées par des décisions de justice. Dont acte.
Le problème, c'est que la protestation votée, à une confortable majorité, par les députés européens vise autant, sinon plus, le discours, la méthode et la médiatisation des reconduites à la frontière que leur légitimité juridique. Elles sont de même nature, au fond, que les réprimandes exprimées par le pape Benoît XVI, ou que les inquiétudes manifestées à Londres ou à Washington pendant l'été. Sans pouvoir coercitif, elles se placent dans le registre de la défense de valeurs communes, et s'y cantonnent. Dans cette dimension, on peut considérer que le parlement européen est resté dans son rôle.
Le gouvernement français lui a répondu par un bras d'honneur plus ou moins poli. Il peut évidemment passer outre ces recommandations -rien ne l'oblige à les suivre- mais il ne peut pas être insensible aux mises en cause qui s'accumulent. Les ministres en sont réduits à pointer du doigt les caricatures de la presse hexagonale qui auraient influencé les élus européens... Ce n'est pas sérieux.
L'explication est un peu courte quand même, même si on ne peut que regretter les références abusives et autres délires déplacés qui ont imprudemment catalogué la politique française dans la galerie d'horreurs d'un autre temps. Plus probablement, le gouvernement est piégé par une communication qu'il a voulu tapageuse et ouvertement dénonciatrice parce qu'il en attendait des dividendes dans les sondages. Il a fait tellement de bruit avec ces expulsions, vantant les chiffres et montrant ses muscles qu'il a fini par réveiller, chez ses voisins européens, une gêne, puis une réelle inquiétude.
Le « c'est légal » aurait dû être une arme politique de sécurité. Manifestement, elle voyage mal au-delà des frontières quand c'est « le pays des droits de l'homme » qui la véhicule.

Olivier Picard

Leçons de mineurs

À 700 m sous terre et à des milliers de kilomètre de chez nous, trente-trois mineurs attendent d'être délivrés du piège dans lequel les a enfermés l'éboulement d'une galerie. Par un conduit minuscule, le contact est maintenu avec eux. De l'air leur est envoyé sous pression pour renouveler l'atmosphère de leur réduit où la chaleur est supérieure à 30°. Par ce même conduit, une minicaméra a été passée qui permet non seulement de donner des nouvelles en images, mais aussi d'aider les médecins qui les suivent d'en haut. On a fait aussi passer de quoi les aider à tenir physiquement et psychologiquement.

Rien n'est assuré, mais une chose est certaine : l'issue de cette bataille dépend, en grande partie, de la volonté personnelle de chacun de ces mineurs. Leur épreuve est rude et il est difficile à ceux qui vivent à la surface d'imaginer ce que peut signifier cette vie confinée où le mental joue un rôle primordial, mais où il faut se coltiner avec des réalités des plus triviales, dans une angoisse qui doit être constante.

Que quelques-uns craquent et le refuge peut devenir un véritable enfer. De la capacité de ces hommes à se supporter, tels qu'ils sont, avec leurs défauts, leurs limites, leurs obsessions, leurs manies, dépend largement l'issue du drame. Or, rien n'exacerbe plus le caractère insupportable de tel ou tel trait personnel que le confinement. Les marins le savent qui disent qu'en mer, il arrive que l'on se fâche avec ses meilleurs amis, faute de pouvoir prendre une distance suffisante.

Ce qui se passe à la mine chilienne donne à penser plus largement. Quand on parle de la crise, on se demande souvent quand nous verrons « le bout du tunnel ». Comme les mineurs chiliens, notre capacité d'en sortir dépend en bonne partie de notre aptitude à nous supporter mutuellement, dans tous les sens du terme. Comme les équipes qui travaillent à San José pour aider les mineurs à tenir, il revient aux dirigeants du pays de veiller à la cohésion sociale, de prévenir tous risques de dissension, d'éviter de dresser les uns contre les autres. Il faut associer tout le monde à la résolution des problèmes et faire de cette collaboration le tremplin pour un nouveau départ. Quant à nous, il nous revient de prendre chacun notre part de l'effort pour tenir ensemble.

Mais cette leçon dépasse la seule dimension d'un pays. La Terre, dit-on parfois, est la cabine spatiale de l'humanité, lancée dans la traversée de l'univers. Avec le progrès technique et l'accroissement de la population, cette cabine s'est comme rétrécie. Nous en voyons les limites, bien plus que par le passé. Nous éprouvons notre interdépendance. Il ne suffit pas d'exporter les problèmes hors de ses frontières pour vivre mieux. Et nous percevons enfin que les ressources communes ne peuvent être consommées sans mesure. Qui peut croire que c'est en dressant les peuples les uns contre les autres que le vaisseau humain pourra voyager longtemps ? Notre manière de gérer les problèmes doit changer, dépasser l'échelon national.

Ces remarques de simple bon sens sont plus faciles à énoncer qu'à mettre en oeuvre, nous le voyons chaque jour. Les mineurs de San José nous en rappellent pourtant toute l'importance. Ils nous disent aussi que le combat pour la survie de tous commence au plus près de chacun. Le seul miracle à attendre, c'est celui de la solidarité. Les tentatives de passage en force sont purement suicidaires.

(*) Écrivain et éditeur.


Au théâtre français

L es réformes des retraites, depuis vingt ans, sont l'archétype des chauds débats à la française, sinon faux débats, abordés en retard, mal posés, enflammés à tort, se polarisant sur les aspects financiers, conduisant finalement à conserver des avantages indus et à des demi-réformes, laissant de côté les vrais changements nécessaires au pays.

Voilà vingt ans que ce sujet déclenche polémiques et manifs qui, au fond, n'ont pas lieu d'être. La loi démographique est comme celle de la pesanteur, on n'y échappe pas. La prolongation de l'espérance de vie impose de devoir travailler plus longtemps. Pas drôles, ces années de métro-boulot-dodo supplémentaires, pour la très grande majorité ? Sûrement. Il faut aussi discuter du détail et le diable s'y niche. Mais dans les grandes lignes, la solution relève des mathématiques élémentaires : l'équilibre financier du système impose de cotiser plus et/ou d'allonger la durée du travail et/ou de diminuer les pensions. Aujourd'hui, le déficit est tellement creusé qu'on ne peut attendre. La solution la plus efficace et la plus rapide est le passage à 62 ans. Tous les autres pays ont choisi cette voie.

Mais non. Tandis que les réformes se font sans grand drame ailleurs, en France, c'est la furie. Les Français font des retraites un fourre-tout. Ils y mettent du justifié, comme le thème de la pénibilité. Du symbolique - en France, c'est d'abord le symbolique qui compte -, comme la place du travail. Du syndical, comme la compétition à la radicalité au sein des organisations de salariés. De l'électoral, comme la mesure du rapport des forces politiques pesée au nombre des manifestants. Ayant ainsi bien empli le théâtre de tous les gaz explosifs possibles, ils jouent alors une pièce pagailleuse et infâme, dont l'enjeu, devenu autre, est démesurément grossi.

Politiquement, les conséquences sont d'importance : la pièce a provoqué des démissions de gouvernements. Le Parti socialiste terrorisé n'a jamais osé avancer une réforme. Un Jacques Chirac est « mort » d'avoir cédé lors des grèves de 1995 et, devenu le président immobile, il n'a ensuite plus rien fait sur rien. En 2010, Nicolas Sarkozy a fait de cette réforme un « marqueur » de son quinquennat, une preuve qu'il n'est pas Chirac. Tiendra-t-il tête aux manifestants ? Perd-il ici sa réélection ? Saura-t-il démontrer aux marchés qu'il est déterminé à remettre les finances publiques en ordre ? Le jeu politique sur les retraites est déterminant.

Economiquement pourtant, cette agitation politique est injustifiée. Car, derrière la scène du théâtre, la mathématique démographique s'impose à tous, à l'exception des partis extrêmes. Le PS, par exemple, parle d' « une autre réforme », slogan qui rappelle « l'autre politique » dans les années 1990. Dans les faits, il propose de conserver les 60 ans mais avec une augmentation des durées de cotisation (sans doute de deux ans). Les 60 ans deviendront donc vite symboliques sauf pour ceux qui devaient partir maintenant mais qui sont retenus deux ans de plus. Or, Nicolas Sarkozy exempte presque toutes ces populations. Les différences avec le projet gouvernemental sont nuancées. Le PS propose aussi de taxer les revenus des capitaux pour combler le déficit. Mais on parie qu'arrivé au pouvoir, il ne le ferait pas. Parce qu'il aura déjà utilisé cet argent pour le déficit général. Et parce que financer les retraites par l'impôt, c'est remettre en cause le principe même de la répartition. UMP ou PS, tout finira de la même façon : les déficits se recreuseront très rapidement. Il faudra rejouer la pièce dans moins de sept ans (version Sarkozy), dès 2013 sans doute (version Aubry). Le grand théâtre national est de faire semblant de se disputer pour pas grand-chose, pour aboutir à des demi-mesures et esquiver les vraies réformes.

Quelles sont-elles ? D'abord d'assurer une pérennité du système en fonction des aléas conjoncturels. Le PS propose une retraite « à la carte », cette liberté est nécessaire mais elle ne s'entend que si l'on va plus loin vers le système de points comme la Suède (des points acquis chaque année dont on dispose librement). Ensuite, et surtout, admettre, à gauche et à droite, que les jeunes quand ils auront enfin de la place au travail crouleront sous la charge des pensions des baby-boomers. Le courage politique serait de dire que c'est injuste et impossible. Le vrai débat, que le think tank Terra Nova est le seul à aborder, est de parler de la baisse des pensions. Le drame de la France, ce n'est pas le sort des retraités, des vieux, mais celui des jeunes.


Eric Le Boucher

Haro sur Drouot

Un choc salutaire. C'est peut-être ce qu'aura été pour le marché de l'art français la découverte à Drouot du vol d'un Courbet par des manutentionnaires indélicats l'an dernier. Il faut l'espérer en tout cas. Car les conclusions du rapport commandé à l'époque par la garde des Sceaux et dont « Les Echos » dévoilent l'essentiel, sont accablantes pour la vénérable salle des ventes. Elles mettent au jour l'archaïsme de tout un système qui, face au dynamisme des grandes maisons internationales, semble d'un autre âge.

Alors, bien sûr, Drouot n'est pas sur le point de s'effondrer. 5.000 visiteurs s'y pressent encore chaque jour et le site reste l'un des premiers lieux de vente au monde. Mais, sauf rare exception, ce n'est plus là que les grandes oeuvres se vendent, un certain nombre d'enchères portant sur des marchandises de faible valeur, la « drouille » dans le jargon maison. Résultat, faute d'une locomotive digne de ce nom, la France ne cesse de rétrograder sur un marché de l'art qui n'a pourtant jamais été aussi dynamique. En 2009, sa part s'est limitée à 7 % !

Il faut donc savoir ce que l'on veut. On peut estimer qu'il est important de ne pas bousculer les habitudes des 400 commissaires-priseurs du pays, et tout particulièrement celles des 70 qui se partagent le gâteau Drouot. On peut aussi juger qu'il est temps d'inverser la tendance. Que la France peut légitimement prétendre capter une partie plus importante du marché de l'art. Dans ce cas, les moyens de réveiller la belle endormie sont connus. D'abord un toilettage des statuts de la profession, ensuite une révision de la fiscalité, enfin une modification radicale de la gouvernance de Drouot, c'est-à-dire la suppression du verrou qui empêche un actionnaire de détenir plus de 5 % du capital de la salle des ventes, afin d'ouvrir la voie à l'arrivée d'un actionnaire de référence. Le véhicule de cette réforme aussi est identifié. Il s'agit du texte de transposition de la directive Bolkenstein, qui doit venir devant l'Assemblée nationale prochainement.

Mais pour imposer ces changements, il faudra sans doute plus que la méthode douce prônée par la garde des Sceaux. L'échec criant de la demi-réforme de juillet 2000 montre que la capacité de résistance de la frange la plus conservatrice de la profession est très grande.



Francois Vidal