mardi 18 juin 2013
De la haine à l’indifférence
De la haine à l’indifférence
Pendant 5 ans, Nicolas Sarkozy a subi un torrent de haine et d’insultes sans précédent pour un chef de l’Etat, de la part des extrêmes, des socialistes et même de son propre camp. On se souvient des unes de magazines - « nul », « fou », « voyou »- de cet incident ultra-médiatisé au cours duquel un homme refuse de lui serrer la main au prétexte que « tu sens mauvais », de cette institutrice affichant en classe une caricature du chef de l’Etat comme représentation du « méchant » et de tous les pamphlets rageurs qui s’entassaient dans les vitrines des librairies. La raison principale de ce grand lynchage collectif, de la part des élites et non du peuple, tenait au modèle de dirigeant que Nicolas Sarkozy tentait d’incarner, avec ses forces, mais aussi ses faiblesses et ses erreurs, un modèle fondé sur le volontarisme, l’action, le mouvement, et surtout, l’ordre, l’autorité, l’intérêt national, devenus des principes insupportables à tant de milieux bienpensants. Avec François Hollande, c’est tout autre chose. Nulle raison de le haïr pour sa personne: le caractère est affable, accommodant, sympathique. Il n’a pas vraiment de projet politique à long terme, ni, jusqu’à présent, de velléité de réforme douloureuse. Il ne veut pas se faire d’ennemi, ménage à peu près tout le monde en dehors de l’ex-président et son entourage, le rejet de ces derniers tenant lieu chez lui de « mythe fondateur ». Un autre danger le guette pourtant, pire que la détestation, celui de l’indifférence, du désintérêt général. « Avec 2,8 millions de téléspectateurs, François Hollande a réalisé, dimanche 16 juin, l’un des plus mauvais résultats d’audience de "Capital" sur M6 » trouve-t-on sur le site du Nouvel Observateur ce matin. Un président ressenti comme sans relief, sinon ennuyeux, transparent, ignoré des Français, qui changeront de chaîne en le voyant apparaître sur le petit écran, dans un pays rongé par le chômage des jeunes, la désindustrialisation, une violence endémique et le chaos de ses banlieues. Que peut-il en sortir ? Quand on est chef de l’Etat, au regard de l’Histoire, mieux vaut probablement susciter la haine que l’indifférence.
Ces choses qu'il faudrait enfin comprendre sur le fonctionnement des entreprises pour leur appliquer des politiques économiques efficaces
Le rapport Queyranne, qui sera remis à Arnaud Montebourg mardi 18 juin, prévoit de réduire de trois milliards d'euros les aides publiques accordées aux entreprises. Le coût total de ces aides est estimé à plus de 100 milliards d'euros par an.
Alors que le rapport Queyranne suggère de couper 3 milliards d'euros d'aides aux entreprises, Arnaud Montebourg a présenté vendredi un "logiciel" permettant d'estimer pour une entreprise les bénéfices qu'elle tirerait à relocaliser ses activités en France. Outre ces mesures relatives aux coûts, ces politiques - même si elles partent d'une bonne intention - révèlent-elles une incompréhension à l'égard du monde de l'entreprise ?
Eric Verhaeghe : Vous voulez dire : est-ce qu'une politique économique, c'est un concours Lépine de la mesure la plus favorable aux entreprises ? S'il n'y avait pas des millions d'emplois à la clé, je dois dire que le spectacle offert par le gouvernement serait assez divertissant. Il me rappelle le film E la nave va, de Fellini, où l'on voit une cohorte d'aristocrates ne jamais quitter le pont du bateau, mais beaucoup disserter de ce qu'il faut faire et ne pas faire aux étages inférieurs. Chacun y va de sa petite considération pour pouvoir briller dans les dîners mondains et tirer la couverture à lui, dans les médias ou ailleurs. Que tout cela coûte cher et ne serve à rien ne constitue évidemment pas une préoccupation pour cette caste parasitaire qui vit sur le dos de la bête comme l'aristocratie sous Louis XVI.
Dans la pratique, je vois mal comment le gouvernement va pouvoir sortir indemne de cette phase critique où les marchés financiers ne tarderont pas à sanctionner des annonces et des promesses suivies par un vide opérationnel criant. D'un côté, on nous a annoncé un crédit d'impôt compétitivité qui n'est absolument pas financé et qui va faire "flop". De l'autre, le gouvernement va bien devoir donner le sentiment de se préoccuper un peu des affaires du pays qu'il est supposé diriger. Pour cela, soyons clairs, il va falloir augmenter les impôts de toutes parts. Personne n'y échappera. Les entreprises, qui se sont entendus promettre monts et merveilles, devront passer à la caisse.
Il faut évidemment n'avoir jamais connu l'angoisse du chef d'entreprise, qui voit ses clients se faire rare et ses appels à cotisations tomber régulièrement, pour imaginer qu'un logiciel va changer le cours des choses. De ce point de vue, l'annonce faite par Montebourg est pathétique, et illustre bien tout le décalage qui existe entre une classe politique professionnalisée, pour qui l'action quotidienne consiste à produire des règlements et des lois, et le pays réel, dont l'enjeu est de vendre des produits et dégager de la valeur.
Sur le fond, je ne jette pas la pierre : en toute bonne foi, Montebourg imagine probablement qu'agir c'est faire des lois, des circulaires, des logiciels. C'est sa forme de contribution à la prospérité collective. Mais s'il connaissait des chefs d'entreprise, il saurait que leur obsession n'est pas d'obtenir des subventions ou de jouer au golf sur le parcours interminable des réglementations françaises. Et si Montebourg n'avait pas les idées obscurcies par une vie passée en huis clos dans les couloirs du pouvoir où l'on rampe sans amour propre pour avoir des postes, il comprendrait que le problème n'est pas de livrer un logiciel pour aider les chefs d'entreprise à s'y retrouver dans les règlements. Le problème est de simplifier les règlements, d'en diminuer le nombre et le volume.
Tiens... vous avez remarqué? plus personne ne parle du choc de simplification... ou alors comme d'un lointain souvenir.
Olivier Babeau : L’attractivité ne se décrète pas. Elle est la conséquence à la fois de conditions objectives (système fiscal, formation de la main d’œuvre, etc.) et subjectives (l’attitude des institutions locale face aux entreprises par exemple). Dans les deux cas, ces conditions sont aujourd’hui clairement négatives. On peut se féliciter néanmoins que l’attractivité soit devenu un thème d’actualité des discours politiques car cela témoigne d’un début de compréhension de la part de nos responsables. Mais la route est encore longue, comme en témoigne l’extravagant et technocratique système du crédit impôt compétitivité dont l’inefficacité était prévisible, et qui est très loin de compenser l’alourdissement fiscal qui l’a précédé. Au pays de Descartes, l’incapacité de notre administration à mettre en place des processus simples ne lasse pas d’étonner. Les trop nombreuses aides aux entreprises en sont l’exemple le plus désolant : pour alléger des charges pesant sur le travail dont on comprend qu’elles sont trop lourdes, on multiplie les niches et décharges de toutes sortes, rendant ainsi (en partie) d’une main ce que l’on prend de l’autre, et créant d’importants coûts liés à la complexité.
Bernard Cohen-Hadad : Les deux exemples que vous évoquez sont significatifs de la complexité de notre situation économique, de la volonté des politiques de chercher et de trouver des remèdes pour sortir de la crise. Avec plus ou moins d’effet de levier, plus ou moins de réformes structurelles à court, moyen et long terme, plus ou moins de réalisations concrètes, d’effets de communication ou de gadgets. La gauche au pouvoir, qui a annoncé la priorité aux PME et le changement. Cinq ans après le début de la crise elle se demande comment s’y prendre. Une chose est sûre, elle ne pourra pas se passer de la confiance des entrepreneurs pour emprunter le chemin de la croissance. Cette confiance est encore au plus bas. Les différents baromètres en témoignent régulièrement. Personne ne doit s‘en réjouir. Cette réflexion sur la place de "la diversité PME" dans notre société nous n’avons pas attendu mai dernier pour la mener au sein du think tank Etienne Marcel. C’est un débat à conduire sans a priori et sans esprit partisan. Il n’est pas toujours accepté même dans le monde de l’entreprise car il bouscule les idées reçues et les allégeances. Mais il est au cœur de l’évolution de notre choix de société. Malgré les Assises de l’Entrepreneuriat, il reste à valoriser l’esprit PME. Il reste à inventer une nouvelle politique entrepreneuriale à destination des TPE-PME. Il reste à reconnaître la place centrale que jouent ces entreprises dans notre économie et dans nos régions. Il reste à mettre en place une stratégie cohérente et dresser un tableau précis du financement des PME. Il reste à donner aux organisations patronales représentatives, et aux vrais entrepreneurs, leur juste place dans les instances qui les concernent. Il reste à valoriser la prise de risque et sa rémunération… Ces attentes sont-ils une découverte pour les politiques de la majorité ou de l’opposition ? Mais effectivement de chaque côté de l’échiquier une infime minorité d’élus vient du monde de l’entreprise. Cela ne veut pas dire qu’ils ne le mesurent pas.
Concernant l’orientation des aides publiques aux entreprises, l’enjeu n’est pas de reconnaître qu’il y en a trop ou trop peu, que l’on peut être plus sélectif et qu’il convient de mieux distinguer les niveaux des aides européennes, nationales, régionales. A l’été 2011 avec la révélation du niveau des dettes souveraines, à plusieurs reprises, nous avions indiqué qu’il fallait un aggiornamento. Nous sommes dans un labyrinthe. Même un spécialiste s’y perd. C’est pourquoi ces dispositifs perdent en efficacité et réactivité. Ils manquent leur cible. Les patrons de PME ont du mal à y faire appel. Ils les connaissent peu ou préfèrent les ignorer face aux conditions d’obtention qui relèvent du parcours du combattant. Et entraînent immanquablement des contrôles fiscaux. La vraie problématique est aujourd’hui de rationaliser, faire le tri dans ce qui est mal fléché et de choisir d’orienter les fonds publics disponibles vers toutes les entreprises moyennes qui en ont besoin pour créer de la richesse et de l’emploi. Même s’il s’agit de très petites entreprises. Et de réaffecter le coût des "aides inutiles" pour moitié à la compétitivité des entreprises, sous forme d’une diminution des prélèvements, et pour moitié au paiement de la dette.
Que doivent-ils absolument comprendre sur les entreprises et pourquoi ?
Eric Verhaeghe : Pour comprendre les entreprises, il faut un esprit simple et basique. Un chef d'entreprise, c'est un homme ou une femme qui décide de vendre des produits qu'il fabrique. Son métier est donc d'être fabricant et vendeur. Ce n'est pas d'être lecteur assidu du Journal Officiel, d'être remplisseur de formulaires incompréhensibles, ou d'être piquet dans une file d'attente à un guichet administratif.
Ce point est fondamental dans un pays où l'administration n'est plus dirigée et donc livrée à elle-même par des hauts fonctionnaires obsédés par leur carrière, donc occupés à cirer les pompes des puissants, et peu enclins à faire le sale boulot de manager dans les services. La première raison pour laquelle la réglementation en France subit une inflation galopante tient à la défaillance des hauts fonctionnaires, dont la pensée moyenne consiste à mépriser le secteur privé (sauf les grandes banques ou les anciens monopoles d'Etat, bien entendu), à ne jamais prendre de risque, à ne jamais bousculer les mauvaises habitudes des bureaux, et à chercher à se faire bien voir de leur ministre. Pendant ce temps, les ronds-de-cuir sous leurs ordres produisent de la circulaire qui les occupent, justifient leur emploi et nécessitent même des renforts.
Le deuxième enjeu de l'entreprise, c'est d'avoir un accès facilité au capital. La sous-capitalisation des entreprises françaises, en particulier des petites entreprises, est un handicap majeur pour le retour à la prospérité, car elle empêche le développement rapide de l'innovation. De ce point de vue, l'Etat est convaincu qu'il doit mettre son nez dans cette affaire. Quelle erreur ! c'est par ce colbertisme larvé que la France est parvenue à saccager tout ce qu'elle a inventé à la fin du vingtième siècle : depuis le micro-ordinateur jusqu'à Internet. Si l'on avait laissé le Minitel à l'initiative privée, en capitalisant bien les entreprises désireuses de le développer, la France serait aujourd'hui championne des nouvelles technologies. Mais la grande noblesse d'Etat a voulu faire du Minitel sa chose, et ce fut un fiasco.
La grande force des Etats-Unis tient à leur capacité à soutenir l'investissement des PME par un marché fluide du capital-risque. En France ce marché est corseté et frileux. Il tient à des rémunérations élevées tout de suite. Une entreprise française ne peut pas imaginer lever 500.000 euros en moins de six mois. C'est aberrant, dans un monde où 6 mois équivalent à une éternité.
Et puis, disons-le, il y a le grand tabou du salariat. Le salariat est une forme de travail dépassée, et totalement inadaptée au monde contemporain. Proposer à quelqu'un que vous ne connaissez pas de le payer tous les mois à vie, avec une garantie de droits complexes, répond de moins en moins aux attentes des salariés eux-mêmes comme des employeurs.
De ce point de vue, il faudrait lever quelques tabous. Le premier est celui du prix de l'immobilier. Quand vous êtes employeur, vous êtes sommé de répondre à une injonction forte : celle de permettre à vos salariés de se loger. Ce phénomène est très lourd à Paris et en région parisienne, où un salarié, pour se loger, doit apporter des milliers de garanties en tous sens, et s'acquitter d'une somme colossale chaque mois. Mécaniquement, la rémunération du patrimoine immobilier pèse sur le coût et la rigidité du travail dans des proportions alarmantes. La France arbitre manifestement en faveur de ses propriétaires au détriment de ses entrepreneurs.
J'en dirais de même sur la protection sociale. Si son coût élevé se justifiait par une protection des salariés, cela ne me choquerait. Le problème tient au fait que les cotisations sociales sont très élevées à cause de ceux qui ne travaillent plus : le coût des retraites et du vieillissement pèsent sur les salariés, qui, leur tour venu, ne bénéficieront pas de la moitié de ce qu'ils donnent aujourd'hui aux autres.
Olivier Babeau : Pour des raisons historiques liées à une grande méfiance réciproque,l’administration ne traite pas les entreprises comme des partenaires sur lesquels la prospérité nationale reposerait mais comme des moutons à discipliner et à tondre. Elle sait très peu se mettre à la place des entreprises pour essayer d’être non pas un créateur de contraintes supplémentaires mais un guide efficace pour se développer. Elle ne voit ainsi jamais aucun problème à édifier de véritables jungles réglementaires dont notre droit du travail est le plus redoutable exemple. Et pourtant, pour en revenir à l’exemple du coût du travail et de son effet sur la compétitivité, il suffirait de baisser les charges directement. Pourquoi ne le fait-on pas ? Baisser les charges impliquerait de réformer en profondeur notre mécanisme de protection sociale, en cessant par exemple de faire reposer sur le travail uniquement des prélèvements dont chacun profite. Mais personne n’en a encore eu le courage. La complexité qui étouffe nos entreprises a ce grand avantage qu’elle élève un rideau de fumée, crée un flou permettant de soutenir (de bonne foi peut-être) que l’on concilie les deux contraintes contradictoires que sont le maintien du statu quo fiscal et réglementaire d’une part et la lutte pour la compétitivité d’autre part. C’est évidemment illusoire.
Bernard Cohen-Hadad : Aujourd’hui les entreprises moyennes ont besoin de reconnaissance, de stabilité économique, juridique et fiscale. Elles peuvent renouer avec la performance économique si on accepte de mettre en place une "exception économique pour les TPE-PME". Depuis des années on parle de la mise en place d’un "small business act" à la française. Cela veut dire réduire efficacement la complexité administrative et privilégier le modèle économique des PME. Un médiateur des relations interentreprises et un médiateur des marchés publics sont désormais en place. Est-ce suffisant ? L’Etat, les régions et leurs établissements publics jouent-ils le jeu des PME ? Quels sont les chiffres dont on dispose ? Où est le corpus législatif ? D’autre part, une entreprise ne peut pas se développer sans créer de la richesse et la distribuer. C'est-à-dire faire des bénéfices.Les investisseurs n’ont pas d’intérêt à investir si leur prise de risque n’a aucune chance d’être rémunérée. On a trop tendance à calquer le modèle de rentabilité des services publics sur celui des entreprises marchandes. Ce qu’elles ne sont pas. Même si dans les territoires beaucoup de TPE-PME jouent de fait le jeu de l’implication sociétale. Notre pression fiscale est toujours trop lourde. Les entreprises ont besoin d’améliorer leurs marges. Et les patrons travailleurs non-salariés (TNS) sont essorés. Arrêtons de les contraindre. Beaucoup de sociétés non financières sont en dessous du seuil de rentabilité ce qui explique leur faiblesse en fonds propres. Il faut mettre en place une réduction de l’Impôt Société pour les bénéfices réinvestis en fonds propres. Et encourager les financements complémentaires du système bancaire tout en renforçant les passerelles entre financements publics et financements bancaires privés. Les charges sociales des PME ne sont plus supportables. La montée en flèche des coûts des conflits du travail sont une préoccupation forte et quotidienne. Nos acquis et l’absence de souplesse de notre modèle social apparaissent, face à la concurrence européenne, comme un frein à l’emploi. De même que la diabolisation du recours au contrat à durée déterminée (CDD). Pour éviter d’être mis à l’index, peu d’entrepreneurs osent le dire publiquement. Il faut enfin accepter de reconnaître qu’une entreprise n’est pas une caisse enregistreuse dans laquelle on peut puiser indéfiniment pour désendetter l’Etat.
Comment expliquer un tel décalage entre le monde de l'entreprise et le monde politique ?
Eric Verhaeghe : Par une raison simple : la France n'est plus une démocratie, mais une monarchie aristocratique qui ne dit pas son nom. Ceux qui exercent le pouvoir ne connaissent rien d'autre que la politique ou l'administration. Les Français qui évoluent dans le secteur privé n'ont malheureusement pas le temps, à quelques exceptions près, de se consacrer à la politique. Ce phénomène tient à la vision aristocratique de la politique qui domine en France. Les carrières se font à vie, dans un milieu traversé par les connivences et les collusions.
Olivier Babeau : Le mode d’intervention de l’Etat dans l’économie s’apparente fortement à l’organisation scientifique du travail de Taylor : un personnel imaginant détenir la vérité scientifique grâce à sa formation se pense légitime pour diriger et ôter toute autonomie aux exécutants qui sans cela tomberaient dans leur vice (flânerie pour les ouvriers, poursuite de "l’intérêt personnel" aux dépens de l’intérêt général pour les cadres dirigeants).
Bernard Cohen-Hadad : On vit dans un monde médiatique qui donne l’impression de la proximité alors que dans la réalité les distances sont fortes entre les acteurs. Et le pouvoir a tendance à isoler et à tamiser. Regardez les déclarations faites sur la normalité ou la proximité. Elles partent d’une juste analyse. La pratique institutionnelle est autre. Vous savez, grâce au soutien de Jean-François Roubaud, j’ai eu l’opportunité d’être invité à m’exprimer devant les parlementaires. Sinon était-ce envisageable ? A part les entrepreneurs moyens, qui se reconnaissent entre eux, qui fait attention, en France, vraiment aux patrons de PME ? Ils ne sont pas sur les plateaux TV, ne sortent pas des grandes écoles ni des grands corps de l’Etat. Il y a ce toujours ce Rubicon… En revanche, j’ai été touché de la prise de conscience par les parlementaires de terrain des difficultés des TPE-PME. Dans les territoires, ils sont aux contacts des entreprises de toutes tailles et d’activités diverses. Ils connaissent les métiers et les hommes. Beaucoup mesurent justement que l’entreprise est avant tout une aventure humaine. Attention donc de ne pas tomber dans la caricature, dans l’antiparlementarisme facile ou dans les procès d’intention. On peut néanmoins se demander pourquoi cette prise de conscience réelle n’arrive pas à trouver son expression réglementaire ou législative ? L’une des explications se trouve peut-être dans le fait que les priorités gouvernementales animent l’activité parlementaire. Et qu’il reste un fort décalage entre l’univers public et l’univers marchand, le rythme du monde public et l’urgence vécue par les acteurs du monde privé. Ce décalage existe aussi entre les PME et les grands groupes, les PME filiales de grands groupes et les PME patrimoniales. Ce qui est patent c’est qu’une PME n’est pas une administration. Une PME n’est pas un grand groupe. Une PME n’est pas non plus une association. Elle compte d’abord sur elle-même ! Il vaut mieux le dire car ce n’est pas une évidence pour tous. C’est cette spécificité et cette diversité du monde PME qui font la richesse de l’univers des entreprises moyennes. Même si compte tenu de la réduction des marges financières, le temps des PME est aujourd’hui nécessairement fait de "recours au système D" pour sauver les meubles alors qu’il est habituellement fait d’inventivité, de prospective, de réactivité et d’effet d’entrainement.
Comment remédier à ce décalage ?
Eric Verhaeghe : Il devient urgent de purger la classe politique et la haute administration françaises.
Pour ce qui concerne la classe politique, la méthode est assez simple : interdiction du cumul des mandats et interdiction de faire plus de deux mandats de même nature dans une carrière politique. En outre, le moment vient de mettre en place une véritable démocratie liquide en associant effectivement les citoyens à la décision publique par des systèmes de travail collaboratif transparent.
Pour ce qui concerne la haute administration, deux mesures simples. Premièrement: obliger les fonctionnaires à se mettre en disponibilité quand ils exercent un mandat électif ou quand ils occupent un poste en cabinet ministériel, et leur interdire de prendre un poste dans ce ministère par la suite. Cette technique permettra de juguler très vite la politisation folle de la haute administration. Deuxièmement, fixer des objectifs mesurables, notamment en terme de maîtrise des dépenses, aux directeurs d'administration centrale et aux responsables de services déconcentrés. En cas d'inexécution de ces objectifs, ils doivent être licenciés de la fonction publique (et non reclassés dans des postes planqués d'inspecteurs généraux comme aujourd'hui). Je suis convaincu que cette technique permettra de résoudre en moins de deux ans le déficit de l'Etat.
Olivier Babeau : Il faut le rappeler, aucun membre du gouvernement actuel ne vient du privé. Comme l’a montré l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF), 44% des élus de l’Assemblée nationale et 43% de ceux du Sénat sont issus de la fonction publique. Les chefs d’entreprises ne représentent en France qu’entre 2,9% et 6% des élus, alors qu’à l’étranger ils en représentent environ un quart. Notre personnel public n’a aucune expérience de l’entrepreneuriat. Il n’a jamais créé ou dirigé une entreprise. Trouver des financements, prendre des risques en engageant ses actifs, affronter une concurrence internationale, adapter constamment ses produits, se battre pour conquérir des clients sont autant d’activités qui font partie du quotidien d’une entreprise mais qu’ignore le fonctionnaire. Ce dernier obéit à d’autres logiques et à d’autres contraintes radicalement différentes. Il dont est urgent d’introduire plus de mixité dans notre fonction publique, d’encourager des allers et retours entre public et privé, d’encourager des formations croisées, de mettre un terme au monopole de la formation de nos élites. Pour cela, il faudrait sans doute réformer en profondeur le système des grands corps de l’Etat pour y introduire plus de flexibilité et diversifier enfin les formations d’origine de nos hauts fonctionnaires.
Bernard Cohen-Hadad : Faut-il rappeler que les PME représentent en France 2.5 millions d’entreprises ? La majorité des entreprises et la majorité de l’emploi ! Pour faire face à la mondialisation et à la concurrence que nous affrontons, même en Europe, donnons aux entreprises moyennes la place politique qui leur revient compte-tenu de leur réalité économique. Ce n’est pas aujourd’hui le cas. Cependant par le dialogue les choses progressent. Mais nous n’en sommes encore qu’au rythme des tous petits pas. Combien de patrons de PME patrimoniales occupent des mandats de responsabilité dans les conseils d’administration des organismes publics, dans les instances de décisions ou de contrôle qui les concernent ? Combien ont été pressentis par l’Etat pour un honneur, une fonction ou "plus simplement" pour participer à la rédaction d’un rapport public ? Mutatis mutandis nous vivons encore sous des règles et des références d’Ancien Régime. La PME ne fait pas rêver nos élites. Alors que les valeurs et les repères ont changé. Une partie de nos décideurs n’ont non pas non plus conscience de cette évolution nécessaire. D’autres ne l’encouragent pas. L’univers PME leur est "sincèrement" étranger. On pense pour les PME, on octroie aux PME, on étend aux PME… Et ce que l’on peut dire de la classe politique ou des grands corps de l’Etat est parfois encore plus vrai de certains dirigeants de grands groupes ou d’une partie des salariés. Pourtant nous faisons face à un enjeu démocratique et une révolution culturelle sans précédent. C’est-à-dire la construction d’un modèle économique nouveau et compétitif qui passe par la dynamisation de l’emploi de proximité, la transmission des savoir-faire, l’adaptabilité des entreprises moyennes au monde qui bouge et qui les entoure. Pour réussir, ce changement des mentalités doit passer par l’école de la République, par la formation professionnelle et bien entendu par les médias. Sans l’implication des médias et leur capacité d’interpellation publique rien ne se fera dans la durée. Mais personne ne fera pour les patrons de PME ce qu’ils ne commencent pas de faire pour eux-mêmes. C’est pourquoi ce chantier doit s’animer avec l’appui des organisations patronales représentatives, telles que la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), dont le rôle est d’attirer les énergies, de favoriser les échanges, de mutualiser les expériences et d’en être le ciment.
Généralisation de la complémentaire santé : un conseil constitutionnel schizophrène
Le Conseil Constitutionnel censure les clauses de désignation de la complémentaire santé, mais avec une argumentation douteuse.
Si les polémiques suscitées par l’accord national interprofessionnel depuis le 11 janvier 2013 viennent de cesser par une décision du Conseil constitutionnel en date du 13 juin 2013 ; d’autres polémiques d’ordre plus théorique pourraient naître chez les libéraux.
En effet, même si la liberté contractuelle et la libre concurrence servent de fondement constitutionnel à la censure des clauses de désignation, leurs restrictions ont clairement été affichées.
Restriction de libertés comme fondements de la censure des clauses de désignations.
Le Conseil constitutionnel, saisi par voie d’action, devait se prononcer sur la constitutionnalité de la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Il s’agissait alors pour les sages de savoir si l’article 1 de la loi relative à la sécurisation de l’emploi prévoyant la généralisation des contrats collectifs d’assurance de complémentaire santé via les fameuses clauses désignation était constitutionnel ; notamment au regard de la liberté contractuelle et de la liberté d’entreprendre : libertés fondamentales garanties par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, elle même ayant valeur constitutionnelle.
Le travail des sages était donc de mettre en balance la liberté de contracter et d’entreprendre face au contenu de l’article 1 de la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel estime que le premier alinéa du A du paragraphe I de l’article 1er de la loi qui prévoit que chaque entreprise soit obligée de souscrire un contrat de complémentaire santé collectif offrant plus de garanties du risque santé que celles de l’Assurance Maladie, n’est pas contraire à la Constitution. En revanche, le Conseil Constitutionnel censure dans un second temps les fameuses clauses de désignation dont le but était qu’à défaut d’accord dans les entreprises, un accord de branche décide du contrat collectif et s’impose à l’ensemble des entreprises de la branche.
Mais la censure intervient de façon originale puisque la décision prend la peine de restreindre au préalable les mêmes libertés à valeur constitutionnelle qui permettent in fine de censurer les clauses de désignation. Les formulations sont claires, le Conseil constitutionnel établit très précisément que le législateur peut porter atteinte aux libertés d’entreprendre et de contracter afin de satisfaire d’autres exigences d’ordres constitutionnelles ou des raisons d’intérêt général. Après cette restriction de libertés, le Conseil constitutionnel prend la peine de qualifier la généralisation des complémentaires d’intérêt général, mais il estime que si un assureur est déjà désigné par une entreprise, alors, imposer un nouveau contrat par un accord de branche est constitutif d’une atteinte trop forte à la liberté contractuelle. En conséquence, les clauses de désignation sont censurées.
Dangers d’une telle décision.
Si finalement c’est une bonne chose dans les faits que soient censurées les clauses de désignation, il ne faudrait pas se réjouir trop vite d’une telle décision. En effet, le raisonnement qu’adopte le Conseil constitutionnel comporte quelques dangers.
D’abord sur la substance de la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, le Conseil profite de cette décision pour préciser à nouveau les cas de restrictions de ces libertés ô combien fondamentales. Même s’il est très courant que dans le contentieux des libertés fondamentales, le Conseil constitutionnel hiérarchise certaines libertés garanties constitutionnellement, (notamment droit de grève et continuité du service public par exemple) n’est-il pas inadmissible que la liberté de contracter et d’entreprendre puissent être restreintes dans un pays qui en aurait pourtant le plus besoin aujourd’hui ? La restriction de ces libertés n’est pas nouvelle, le doyen Josserand écrivait déjà en 1933 « Le Contrat dirigé » où il s’insurgeait contre un dirigisme contractuel croissant, restreignant les fondements du droit normalement libéral des contrats en France.
Ensuite, le Conseil constitutionnel érige la généralisation des complémentaires santé au grade « d’intérêt général ». Ainsi il faut entendre que le Conseil constitutionnel estime qu’avoir une complémentaire santé est une bonne chose pour les individus. Si dans les faits c’est véritable, il est absolument indigne de la part d’une juridiction –qui plus est la plus haute– d’oser savoir mieux que les individus ce qui est bon pour eux. Ce coup de force du Conseil constitutionnel passe totalement inaperçu puisque les français sont habitués et admettent un tel dirigisme. L’exemple le plus marquant demeure le très fameux arrêt du Conseil d’Etat du 27 octobre 1995 dit Morsang sur Orge, où le Conseil d’Etat s’était permis d’intégrer la notion de dignité humaine comme fondement de l’ordre public, s’autoproclamant ainsi mieux à même de savoir qu’un nain ce qui était bon pour lui de faire de sa vie professionnelle. Un tel raisonnement est un danger dans la mesure où des juges qui ne jugent plus en droit mais qui estiment savoir mieux que les individus ce qui est bon pour eux c’est tout simplement la plus élémentaire caractéristique d’un Etat totalitaire et la conception la plus antilibérale de l’homme.
Conséquences sur le marché de l’assurance santé.
La censure des clauses de désignation pour la désignation des contrats de complémentaires santé emporte plusieurs conséquences de taille sur le marché de l’assurance santé.
D’abord c’est la fin des contrats de complémentaire santé individuels. En effet, du fait de l’obligation de souscrire, ces contrats individuels n’auront plus d’intérêts économiques pour les salariés nouvellement équipés. Mais annoncer leur mort reste une erreur, c’est peut être leur transformation en contrats de sur-complémentaire santé qu’il faut annoncer, dans la mesure où il est très probable que les contrats collectifs ne parviennent pas à couvrir l’ensemble des risques de santé et suscitent un besoin de couverture supplémentaire.
C’est aussi l’occasion de tester la performance réelle des IPs (Institutions de Prévoyance) qui soutenaient durant les mois précédents que les clauses de désignations étaient bonnes et que, peu importe leur proximité évidente avec les syndicats, les IPs seraient choisies par les entreprises quoi qu’il arrive. En effet, sur ce segment de l’assurance santé, la concurrence va être rude, les enjeux financiers sont colossaux et les IPs devront rivaliser avec la réactivité et la performance à toute épreuve des courtiers-grossistes en assurance santé tel que April Prévoyance et Santé par exemple.
Enfin, va aussi se poser la question de l’extension des nouvelles règles européennes relatives à l’intermédiation en matière d’assurance. La directive dite DIA2, préconiserait une extension massive de la qualité d’intermédiaire d’assurance, et par voie de conséquent, les obligations qui découlent de cette qualité. Ainsi, il serait question que les comparateurs d’assurances tout comme les entreprises qui proposent à leurs salariés des contrats santé collectifs revêtent la qualité d’intermédiaire en assurance.
Finalement, la décision du Conseil constitutionnel ne sonne en rien la fin des problèmes liés à l’assurance santé en France. Le problème de fond reste non résolu : malgré les directives 92/49 et suivantes mettant fin au monopole de la Sécurité Sociale, celui-ci reste dans les faits. Finalement, on pourrait voir la généralisation de la complémentaire comme un moyen de sauvegarder la branche maladie de la Sécurité Sociale en déplaçant la charge des remboursement dus aux sinistres issus des risques de santé à de vrais assureurs qui eux sont soumis aux contrôles de solvabilité de l’ACP (Autorité de Contrôle Prudentiel). D’autant plus que la généralisation de la complémentaire doit se faire avant 2016 : c’est un an avant les élections présidentielles de 2017, ce qui permettra à la gauche en campagne de se prévaloir du « sauvetage de la branche maladie » pour tempérer un bilan qu’on sait déjà désastreux.
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(*) Simon Le Grill est étudiant en assurances à l’École Nationale de l'Assurance (ENASS) et en même temps en droit à la Sorbonne.
Le jour d’après
L'effondrement économique imminent est incompatible avec les théories libérales fondées sur la notion d'équilibre macroéconomique. Les connaissances (récentes) dans le domaine de la théorie du chaos font craindre un cataclysme financier qui pourrait bien signifier la fin de notre civilisation.
Un film des années 2000, Le Jour d’après, relate l’histoire d’une catastrophe climatique qui s’abat sur la Terre. Les régions riches de l’Hémisphère Nord sont particulièrement touchées et ses habitants doivent émigrer, pour survivre, vers les pays du Sud de la planète. Les activités humaines, dispendieuses de trop grandes quantités d’énergie, sont responsables des dérèglements climatiques qui finissent par provoquer l’anéantissement d’une partie du globe.
Il en va de l’économie comme de la météorologie : toutes deux sont gouvernées par des mouvements chaotiques. Le chaos, théorisée au siècle dernier, est la science des systèmes dynamiques (par exemple l’atmosphère ou la production de richesse) qui, bien qu’en principe déterministes, ne sont ni stables, ni divergents et résultent finalement imprédictibles. Leur instabilité se concrétise par l’absence d’équilibre du système, par une apparente périodicité des évènements, mais aussi par des moments de fortes discontinuités.
En économie, le raisonnement néoclassique (comme d’ailleurs la théorie marxiste de critique de l’économie de marché), sur laquelle repose l’édifice intellectuel des théories néolibérales, est fondé sur unela loi de l’offre et de la demande censé conduire à l’équilibre général, théorisé par l’économiste français Léon Walras (1) et dont l’existence fut astucieusement démontrée par son compatriote Gérard Debreu(2). Mais l’existence d’un équilibre n’implique pas qu’il soit atteint et l’apparition de bulles ou de krach enterre de manière définitive la loi de l’offre et de la demande dans son implication classique qu’elle aboutirait « par tâtonnement » à l’équilibre. Cette loi, intuitive mais fausse, se retrouve pourtant au début des manuels d’économie comme prolégomènes aux errements intellectuels qui en découlent.
De nos jours, les faits décidément têtus, comme aimait le rappeler un autre économiste français, Maurice Allais (3), à propos de la mondialisation (4), infirment prévisions et modèles macroéconomiques. On a beaucoup commenté l’« erreur » d’appréciation qu’aurait faite le FMI quant à l’efficacité des politiques d’austérité imposées dernièrement à certains pays du Sud de l’Europe (5). Je crois que la situation est beaucoup plus grave : il ne s’agit pas d’une simple erreur ou d’une manipulation. Les modèles utilisés commencent à montrer leurs limites. Des divergences sont constatées. Partout, les prévisions sont démenties de trimestre en trimestre.
Qui observe les données macroéconomiques des pays de l’OCDE s’en rend compte facilement : les dernières « poches » de croissance s’expliquent ou par des déficits abyssaux (rendus possibles grâce à l’intervention massive et non-conventionnelle de la FED aux USA, par exemple) ou par des excédents commerciaux très importants (Allemagne). Ni les déficits, ni les excédents ne peuvent se poursuivre éternellement car l’un comme l’autre sont générateurs, en dernière instance, de dettes : endettements public et privé qui ne cessent de gonfler, l’un prenant parfois le pas sur l’autre. Inexorablement, depuis quarante ans, la dette s’accroît exponentiellement, toujours plus rapidement et ne trouvera comme limite que le défaut inéluctable de l’emprunteur. Les arbres ne montent pas au ciel, c’est bien connu. L’austérité ou la fuite en avant ne sont plus des solutions. Le point de non-retour est franchi depuis longtemps avec ou sans l’Euro (et même si l’échec de ce dernier est patent, son abandon, sans doute souhaitable, ne suffira malheureusement pas à résoudre nos problèmes). Nous avons vécu collectivement une illusion : nous pensions qu’un jour les dettes seraient remboursées, qu’elles étaient viables, que leur montant atteindrait une sorte de proportion constante en rapport avec le reste de l’économie, qu’un régime stationnaire de croissance serait établi. Les évènements contredisent cette croyance. Et la virtualité de la monnaie qui n’est qu’une créance sur l’économie, sur notre expansion future, apparaîtra bientôt au grand jour. Le roi sera nu et tout le monde l’admettra.
Comment sera organisé le défaut ? Dépréciation extrême des monnaies provoquée comme en Autriche en 1920 ou en Allemagne en 1922-1923 (avec hyperinflation comme corollaire) ou cessation de paiement pure et simple des débiteurs ? L’un ou l’autre est inéluctable. Avec des conséquences catastrophiques pour les épargnants (qui ne sont pas toujours des riches : aux USA ou au Royaume Uni, par exemple, le quidam cotise dans des fonds de pension qui collectent et investissent cette épargne, notamment sur le marché de la dette) et son cortège de faillites bancaires.
Difficile d’imaginer le monde lorsque le scenario se sera produit. L’histoire ne bégaie pas. L’individualisme forcené dont on se demande s’il est à l’origine du système ou une conséquence de celui-ci, a isolé l’homme et l’a privé des repères sociaux ou moraux des sociétés traditionnelles. La situation est inédite. L’ « homo oeconimicus », libéral et libertaire, dont l’essence de consommateur insatiable et de jouisseur compulsif, a été façonné pour les besoins du système. Besoin effréné de consommateurs, d’abord, pour absorber une production en constante augmentation. Besoin d’un homme conforme au modèle, ensuite, et dont « l’utilité marginale de consommation est nécessairement positive ».
Comment réagira l’individu moderne dans un monde en faillite ?
On peut imaginer l’avènement d’un monde orwellien, tel qu’il est décrit dans le chef d’œuvre 1984. Le processus est déjà enclenché et depuis longtemps. « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». La citation, certes usée jusqu’à la corde mais rarement galvaudée de l’auteur britannique correspond si bien à notre monde. Avec son anglais en 500 mots, appauvri à l’extrême, épuré de ses nuances et utilisé maintenant par des francophones pour enseigner à l’université (!) comme novlangue. Avec Al-Qaida, sorte d’Emmanuel Goldstein qu’il aurait fallu inventer. Certains y voient un complot, un Nouvel Ordre Mondial en vue d’asseoir la domination d’une oligarchie déjà aux commandes. Le mensonge permanent comme arme, servi par un système médiatique acquis dans un monde où règnent l’inversion des valeurs et du sens des mots.
Mais le système ne tiendra probablement pas. Il se lézarde à droite, il se fissure à gauche ; Le référendum de 2005 n’est qu’un avant goût de la défiance qui gagne. Un Etat ruiné et déconsidéré n’aura plus les moyens financiers, ni la légitimité morale pour rétablir l’ordre. Le chômage de masse, les inégalités croissantes, le scandale de la faillite, la ruine des épargnants sont autant d’éléments qui achèveront de faire basculer les pays (et le nôtre en particulier) dans la violence et dans l’anarchie.
Le problème du quotidien sera alors celui de la survie. Boire, se nourrir, se chauffer ou se soigner sont des conforts que permet le monde moderne. Mais sans banque, sans monnaie, sans police, sans Etat, l’effondrement économique sera total. Une organisation sociale qui a mis l’argent au centre ne peut pas survivre à sa disparition. Et chacun devra subvenir par lui-même à ses propres besoins vitaux. Un système qui s’est construit sur la compétition de tous avec tous, a creusé sa tombe. La jungle et ses lois sont notre futur.
Fantasmes penseront certains, peut être. L’exemple de l’effondrement du bloc soviétique devrait pourtant inciter à la prudence. Les civilisations peuvent disparaître, l’histoire le montre. En Grèce, certains jeunes chômeurs désœuvrés ont déjà fui les villes pour la campagne, où la survie est plus facile. Le pire n’est jamais certain, mais chacun d’entre nous ferait bien de se préparer au moins intellectuellement au cataclysme imminent.
(1) Léon Walras (1834-1910), économiste français, théoricien de l’équilibre général qui fonde ses travaux sur le raisonnement marginal.
(2) Gérard Debreu (1921-2004), mathématicien et économiste français et américain, « prix Nobel » d’Economie* en 1983. Démontre l’existence d’un équilibre général en utilisant des outils mathématiques complexes (topologie algébrique).
(3) Maurice Allais, économiste français, « prix Nobel » d’Economie* en 1988.
(*) En fait, il n’existe pas de prix Nobel d’économie mais un prix de la Banque Royale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel.
Transparence : Valérie Trierweiler visée par un amendement
PROJET DE LOI – Un député UMP, qui a déposé plus de 120 000 amendements sur le projet de loi sur la transparence de la vie publique, souhaite que "le compagnon ou la compagne" de François Hollande ait également obligation de déclarer son patrimoine.
Le statut de compagne du président a du mal à passer. Cette fois, c'est par l'intermédiaire du projet de loi gouvernemental sur la transparence de la vie publique que Valérie Trierweiler est visée. Déjà cible de deux plaintes déposées par l'héritier du groupe Casino Xavier Kremlin – la dernière pour recel de détournement de fonds publics – la "Première Dame" est cette fois concernée par l'un des amendements déposés par le député UMP, Jean-Charles Taugourdeau.
Le couple hors la loi. |
120 000 amendements déposés
La compagne de François Hollande, Valérie Trierweiler, "bénéficie notamment d'un certain nombre d'avantages payés par le contribuable français et dont il n'a d'ailleurs pas connaissance. A ce jour, l'Etat engage ainsi des dépenses pour une personne dont le statut n'est pas déterminé et qui d'ailleurs n'a aucun lien ni juridique, ni légal avec le chef de l'Etat. Il est urgent de régulariser cette situation", explique Jean-Charles Taugourdeau.
Ce dernier a déposé plus de 120 000 amendements au projet de loi sur la transparence dont la discussion, en procédure accélérée, a débuté ce lundi à l'Assemblée. Pour parvenir à ce nombre, Jean-Charles Taugourdeau a joué sur une disposition du projet de loi concernant le seuil à partir duquel les élus locaux auraient obligation de déposer leur déclaration de patrimoine.
"Evidemment, je ne les défendrai pas tous" explique le député à l'AFP. "Mais cela me permettra de parler plusieurs fois deux minutes pour faire comprendre qu'il faut arrêter d'introduire partout des seuils". Une initiative "individuelle", précisait-on il y a quelques jours de source proche du groupe UMP à l'Assemblée.
Oui, Nicolas Sarkozy est bien la cible des juges !
RMC : Toujours la chronique des affaires : de nouveaux éléments accréditent le soupçon sur l'arbitrage favorable à Bernard Tapie et la Cour de cassation pourrait dessaisir les juges de l'affaire Bettencourt. Vous en tirez cette conclusion en forme de parti pris : Oui, Nicolas Sarkozy est bien la cible des juges. Pourquoi ?
Hervé Gattegno : Il ne s'agit pas de dire qu'il y aurait un complot, ni une "campagne orchestrée" comme l'a dit Jean-Pierre Raffarin. Mais on ne peut pas faire semblant de ne pas voir qu'il y a une volonté convergente des juges saisis des grandes affaires du moment pour impliquer à tout prix Nicolas Sarkozy - la justice est aveugle, pas les observateurs... C'est d'autant plus frappant qu'il est censé être protégé par l'immunité présidentielle pour les décisions prises durant son mandat et que les charges n'apparaissent pas toujours très solides - en tout cas pour l'instant. Donc on ne peut pas dire que Nicolas Sarkozy soit une victime, mais il est certain qu'il est une cible.
C'est le sens des réquisitions de l'avocat général qui demande à la Cour de cassation de dessaisir les juges de l'affaire Bettencourt ? Vous pensez qu'ils ont commis des fautes ?
C'est à la Cour de le dire. Mais tous ceux qui connaissent ce dossier ont été stupéfaits de la focalisation des juges sur Nicolas Sarkozy. L'argument de la proximité avec l'un des experts n'est pas convaincant : on ne voit pas en quoi ça aurait infléchi le cours de l'enquête. Mais que les juges eux-mêmes aient répliqué par voie de presse aux attaques des avocats est plus qu'incongru. L'avocat du juge Gentil a comparé Nicolas Sarkozy à un "monarque". C'est vrai qu'un ancien président n'est pas au-dessus des lois, mais pour ce qui est du devoir de neutralité, les juges, eux, ont été en dessous de tout.
Dans l'enquête sur l'arbitrage Tapie, est-ce que vous percevez la même volonté de mettre en cause Nicolas Sarkozy ?
Elle est évidente, mais à ce stade, elle paraît plus le fait du pouvoir politique que des magistrats.Plusieurs ministres ont mis en cause Nicolas Sarkozy d'une façon brouillonne et précipitée. Or Le Monde d'hier montrait bien qu'il y a un faisceau d'indices (et même quelques débuts de preuves) que l'arbitrage ait été vicié, corrompu - au moins au sens moral du terme. Alors, que Nicolas Sarkozy ait pris la décision de recourir à un arbitrage dans ce litige est vraisemblable. Mais : 1. Ce n'est pas en soi un délit. 2. C'est une décision qui relevait de son pouvoir de président, donc il ne peut pas être poursuivi parce que la séparation des pouvoirs interdit à la justice de contester les décisions de l'exécutif.
Que l'État ait appuyé le maintien de Stéphane Richard à la tête d'Orange, malgré sa mise en examen dans cette affaire, ça vous paraît un bon choix ?
La cohérence ne saute pas aux yeux. Stéphane Richard est un patron apprécié, mais François Hollande justifie son soutien par l'intérêt de l'entreprise. Or dans cette affaire, il semble que beaucoup d'éléments précis le mettent en cause - Christine Lagarde l'accuse de l'avoir dupée, voire d'avoir commis un faux. S'il y a bien eu escroquerie, Stéphane Richard y a forcément pris part. Mais si on le maintient en fonction, c'est qu'on n'en est pas encore sûr. La leçon de tout cela, c'est que dans cette affaire comme dans toutes, il faut chercher les responsables jusqu'au plus haut niveau et éviter les polémiques... de bas étage
Bousquet à l’Assemblée !
Bousquet à l’Assemblée !
Bravo au tout jeune Etienne Bousquet-Cassagne qui, du haut de ses 23 ans, boute le parti au pouvoir et que nous saluons à plusieurs titres : d’abord l’enfant d’un pays que je connais bien, le Lot-et-Garonne : il est né à Villeneuve-sur-Lot et habite Tonneins, issu d’une famille d’agriculteurs bien connue du Sud-Ouest par son père, et de Français d’Algérie par sa mère. Il réussit l’exploit, dans un pays traditionnellement rouge, de porter les idées du mouvement national à ses meilleurs scores. En souvenir du 1er mai historique de Marine Le Pen, aussi, entre les deux tours de la présidentielle 2012, où nous nous sommes rencontrés au pied de la tribune, amusés d’être l’un de Tonneins, l’autre de Clairac. Je découvrais la génération Bleu Marine. Nous avons parlé de Fauillet, de Laffite-sur-Lot, de Marmande et de Fumel… de la dynamique et de l’énorme progression du Front national dans ces territoires ruraux, et particulièrement dans ce département très radical-socialiste, grâce au travail de fourmi de la Fédération, qui compte un responsable dans chaque ville et des équipes dans chaque secteur du département. Et ça paye.
Le résultat d’Etienne Bousquet-Cassagne est encore meilleur qu’attendu puisque, malgré une participation en forte baisse, le FN gagne 1 000 voix et 11 points depuis l’élection générale de l’année dernière et se retrouve au coude à coude avec le candidat UMP Jean-Louis Costes, tandis qu’il éjecte carrément son adversaire PS, Bernard Barral. Ce premier tour renvoie les mauvais pronostiqueurs dans les cordes, comme le politologue averti Roland Cayrol qui affirmait, sur les antennes, que le Front National ne serait pas arbitre de cette élection. Bien vu, Roland !
Sauver son âme avec le PS
Le score à peine tombé des urnes c’est le PS, vérolé par tous ses scandales, ses affaires, ses mensonges, ses mafias roses et sa corruption organisée, qui appelle l’UMP à « sauver son âme » dans le Front Républicain. Car, quand le FN gagne, c’est toujours tout seul, seul contre tous. Un handicap qui lui coûte la plupart du temps son siège. Même Jérôme Cahuzac apporte son soutien au candidat UMPS… Pas dégoûtés, les représentants UMP qui vont se jeter dans les bras de ceux contre lesquels ils n’avaient soi-disant pas de mots assez forts pendant la campagne. Et ils s’étonnent que leurs électeurs, écœurés, désertent les urnes en courant, avec un taux d’abstention de plus de 54 % ? Une collusion qui démontre une fois de plus aux électeurs qu’il n’y a qu’un seul et même système à deux têtes :
« Maintenant le choix qui se pose est très simple », déclare Etienne Bousquet-Cassagne, « soit les électeurs continuent avec l’UMPS, représentée ici par la seule UMP, soit ils font le choix de l’espoir, du changement, de l’espérance, et ça nous sommes les seuls à l’incarner au Front national. »
Un excellent signal pour le Front national, à neuf mois des élections municipales et à un an des européennes. Sans compter qu’à grands coups de partielles perdues, la majorité absolue des socialistes à l’Assemblée (289 sièges) se trouve actuellement en péril avec seulement trois sièges au-dessus de la barre fatidique.
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