TOUT EST DIT

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samedi 12 mars 2011

Tout un pays et le monde sous le choc

Incrédulité, sidération, horreur mêlée de fascination. Les images du séisme et du tsunami qui ont frappé le Japon hier - des images désormais foisonnantes grâce à internet et autres smartphones - ont donné la possibilité au monde entier d'assister quasiment en direct à l'événement. Des images de dévastation qui par leur ampleur inouïe semblaient extraites de 2012, le film-catastrophe de Roland Emmerich dans lequel les principales villes de la planète étaient détruites par une lame de fond gigantesque, en cette prétendue année de fin du monde. Hier, s'il s'agissait d'un tremblement de terre sans précédent depuis plus d'un siècle et demi, il ne s'agissait pourtant même pas du « Big One » redouté aussi bien dans la région de Tokyo qu'en Californie. Et aucune prédiction maya ne l'avait annoncé... Dans ces conditions extrêmes (avec une magnitude de 8,9), les conséquences humaines et matérielles seront, heureusement, plus limitées qu'elles auraient pu l'être dans un pays moins avancé technologiquement et préparé à de tels accidents de la nature (qu'on songe à Haïti voilà deux ans). Mais, revers de ce progrès, on notait hier des incidents - d'une importance encore difficile à cerner - dans plusieurs centrales nucléaires. Devant l'enchaînement des catastrophes de la journée - séisme, tsunami, réplique - la compassion s'accompagnait aussi d'humilité devant ce déferlement naturel. De quoi renvoyer, le temps d'une journée, les guerres et les enjeux de pouvoir à une dimension secondaire. Et restituer à l'homme sa petite place sur une planète dont il croit trop souvent être le maître.

Dompter la nature

Si le tremblement de terre qui a touché hier le nord-est du Japon s’était produit ailleurs dans le monde – y compris en Europe – il aurait eu des conséquences encore beaucoup plus désastreuses. Il est cent fois plus fort que celui qui a ravagé Haïti, l’année dernière, et pourtant les gratte-ciel de Tokyo, et la grande majorité des immeubles du pays ont résisté. Quel contraste avec le séisme de L’Aquila, en avril 2009, de bien plus faible intensité, et qui avait pourtant détruit la majeure partie de cette ville italienne, révélant au passage des failles béantes au niveau du respect de la réglementation et de l’organisation des secours.

Au Japon, les autorités et les habitants conjuguent depuis des décennies leurs efforts pour empêcher le renouvellement du drame de 1923, quand un séisme avait tué 140 000 personnes à Tokyo. Les Japonais ont été les premiers à définir des normes antisismiques et la prévention fait partie de leur culture : tout le monde possède son « kit » comprenant un casque, une lampe torche et une réserve d’eau.

Sur le plan technologique, les progrès les plus marquants ont été effectués depuis le séisme de Kobe, en 1995, qui avait fait 6400 morts. Les améliorations apportées ces quinze dernières années ont sans doute permis de sauver de très nombreuses personnes, hier. Car jamais l’archipel n’avait été touché avec cette force là.

Il reste que la protection absolue n’existe pas et que l’étape décisive reste à faire : elle concerne la prévision des séismes. Pas plus que les Italiens en 2009, ou que les Américains en 2010 à Haïti, les Japonais n’ont senti venir le cataclysme. Y parvenir à l’avenir est un défi majeur.

Face à la mer, c’est le contraire. Depuis le tsunami de 2004, de très grandes avancées ont été accomplies dans la détection des raz-de-marée conduisant de nombreux pays du Pacifique à prendre des mesures d’évacuation préventives, hier. On ne peut pas leur reprocher cette précaution qui se sera finalement avérée inutile, car personne ne peut rien quand le tsunami déferle. Là, pas de normes « anti-vague », la mer est la plus forte ! Deux trains ont disparu, au Japon : cette catastrophe est une leçon d’humilité pour l’homme, en même temps qu’un témoignage des progrès qu’il a accomplis (et qu’il peut encore accomplir) pour dompter la nature.

Des précautions exportables

Dans les combats à mener pour se protéger des rudesses de la nature, il arrive que l’homme ait une petite longueur d’avance. C’était le cas hier au Japon où la stricte et soigneuse application des normes antisismiques a limité les dégâts. Quand des gratte-ciel de plus de trente étages bougent et tanguent mais finalement résistent à de si brutales convulsions telluriques, c’est une performance à saluer. Le savoir architectural accumulé depuis des décennies a évité le pire. Ce matin, les morts pourraient se compter par centaines de milliers en raison de l’immense densité de population du Japon.

Cela souligne le bon côté du fameux principe de précaution quand il établit sur des bases rationnelles la liste des mesures à prendre pour sauver des vies humaines.

Cela souligne aussi le rôle des administrations publiques chargées de prévenir le laxisme dans le suivi des chantiers. Si le séisme de janvier 2010 à Haïti s’est soldé par 250 000 morts et par 320 000 bâtiments détruits, c’est en partie parce que beaucoup de constructions avaient été conduites à la va-vite et à l’économie. Dans le tragique clivage nord-sud qui fait que, à proportions égales, les catastrophes du sud tuent plus que dans le nord, on retrouve régulièrement ce terrible mélange de pauvreté, de vices de forme, de pots-de-vin et de bricolages qui multiplie inutilement les victimes. De ce point de vue, la méticulosité chère aux Japonais a fait la preuve de son efficacité malgré les coupures d’électricité, les dortoirs improvisés et les supermarchés pris d’assaut pour faire des provisions.

Cette catastrophe a aussi montré que l’on a su tirer des enseignements du tsunami qui a fait 220 000 morts en 2004 du côté de la Thaïlande. Les alertes météo fondées sur l’anticipation de la trajectoire du train d’ondes à travers le Pacifique ont été correctement émises, permettant aux populations vivant au niveau de la mer de se mettre à l’abri quand il était encore temps. La gestion des catastrophes est devenue une science ; l’empirisme a fait place à un savoir-faire et à de vraies méthodes qu’on peut expliquer, enseigner, reproduire et exporter.

Cette exportation de savoirs vers les pays du sud doit devenir une priorité. Les aides d’urgence offertes au lendemain d’une catastrophe dite naturelle sont et resteront indispensables. Mais il faut les doubler d’interventions préalables afin que l’impéritie humaine ne multiplie pas de façon criminelle les ravages d’un séisme survenu dans un pays pauvre.

La diffusion des savoirs participe directement au développement humain. Le transfert de technologies doit aller très au-delà de l’assemblage d’une voiture ou de la construction d’une centrale nucléaire. Les normes architecturales qui ont montré leur utilité dans les pays riches doivent être progressivement partagées partout. La tâche est immense mais il ne faut pas la négliger. C’est une question de responsabilité morale afin que les plus pauvres, où qu’ils vivent, ne trinquent pas plus que nécessaire.


 Davantage de civilité

C'est entendu : tout va mal ! La crise économique s'aggrave avec la hausse du prix des carburants et chacun en ressent les effets. Ne parlons pas des événements d'Afrique du Nord et du Proche-Orient, qui font craindre une hypothétique invasion d'immigrants. Ces diverses menaces, plus ou moins fondées, plus ou moins ressenties, font naître les peurs. Or la peur stimule le besoin de protection. Qui peut protéger sinon l'État, habitués que nous sommes à sa providence en de nombreux domaines ? Malheureusement, les caisses sont vides. Seule la rigueur pourrait les remplir. Nul sauveur ne se profile sur ce sombre horizon.

Tout un chacun se demande pourquoi nous en sommes là. La réponse n'est jamais « à cause de notre propre comportement ». Elle est le plus souvent « à cause des responsables politiques ». Or, comment croire en eux quand le monde de ces responsables retentit constamment d'accusations, de dénonciations, d'imprécations, d'invectives, voire d'insultes, quand on constate écarts de langage et amalgames. Cet état de chose est à vous dégoûter de tous, car chacun d'entre eux est impliqué, éclaboussé tour à tour surtout quand le soupçon, autre mal du siècle, se répand insidieusement par le bouche à oreille et dans les médias. Dès lors, nul n'apparaît pur, nul ne serait désintéressé. On cherche la motivation cachée, l'intérêt dissimulé. L'irréprochable a disparu et la confiance s'est envolée...

Plus de calme et de lucidité

Mais comment peut-on donc bâtir une société sur la défiance ? C'est sans doute à cause de tout cela que sera minée peu à peu notre démocratie. En effet, un beau jour, on croira se sauver en plébiscitant ¯ et c'est le danger de notre système présidentiel ¯ une personne, homme ou femme, donnant toutes les apparences de l'honnêteté, de la compétence, de la bonté attentive aux difficultés de chacun. On se jettera à corps perdu dans l'illusion de l'amélioration possible grâce au bon vouloir du nouveau souverain, plus que grâce à nos propres efforts. Pourtant, les choses résisteront à celui-là comme à ses prédécesseurs et l'on risque fort de se retrouver plus déçus et amers.

Les politiques ont grand tort de se fustiger mutuellement. Ils ne peuvent ainsi qu'accroître leur propre décrédibilisation et, avec eux, entraîner celle du système. Il est grand temps de cesser la recherche des boucs émissaires. C'est à la recherche des solutions qu'il faut s'atteler. C'est donc aux programmes plus qu'aux hommes qu'il faut s'intéresser.

L'intelligence, la perspicacité, la créativité ne manquent pas dans notre pays. Encore faut-il que nous sachions les mettre au service du Bien commun. Certes, la critique est nécessaire en démocratie, elle peut être constructive. En effet, on peut reconnaître ses erreurs et adapter sa conduite, la corriger, même si cela donne raison aux remontrances de l'adversaire politique. On peut créditer l'adversaire de ses bonnes idées, de ses réalisations constructives et non en faire fi sous prétexte qu'il est l'adversaire politique.

Un peu plus de sérénité et d'égards réciproques pourraient permettre de traiter plus lucidement les problèmes. Et n'oublions pas que les défoulements verbaux ou électoraux ne sont pas sans conséquences. On peut et même on doit, surtout dans la difficulté, faire preuve de lucidité et de civilité, de cette civilité qui permet la convivialité, c'est-à-dire le bien vivre ensemble.

Agences de notation : Christine Lagarde hausse le ton

La ministre française de l'économie a jugé vendredi que "noter et dégrader la note d'un pays comme la Grèce, c'est franchement hors de propos quand on sait qu'ils sont sous contrôle actuellement'.

Christine Lagarde a dit vendredi 11 mars à l'antenne de France Culture qu'il faut "aller beaucoup plus loin" dans l'encadrement des agences de notation. "Noter et dégrader la note d'un pays comme la Grèce, c'est franchement hors de propos quand on sait qu'ils sont sous contrôle actuellement", a-t-elle précisé avant de formuler une suggestion qui, à coup sûr,  fera débat. Pour elle, les agences "ne devraient pas intervenir et ne devraient pas noter des pays qui sont sous contrat avec la Commission européenne, le FMI et la BCE".
La ministre française de l'économie a pris le relais des commissaire européens Olli Rehn et Michel Barnier, qui avaient été les premiers jeudi à répondre à l'appel de la Grèce, dans la foulée d'une réunion avec George Papaconstantinou. "Ces tout derniers jours ont mis une fois de plus en évidence l'importance d'un meilleur et plus régulé environnement pour les agences de notation", ont-ils dit. La Commission européenne s'est engagée à proposer avant la fin de l'été un ensemble de propositions de réforme "fondamentales" finalisées à accroître la concurrence entre agences financières, réduire la dépendance par rapport à leurs actions et améliorer les notations des dettes souveraines.
George Papaconstantinou, le Ministre grec des Finances avait, jeudi, jugée "complètement injustifiée" la dégradation de la note de la dette souveraine de son pays opérée la semaine dernière par Moody's. Cela l'avait conduit à envoyer une lettre enflammée à quatre des principaux responsables européens, Jean-Claude Juncker, qui préside les réunions des ministres des finances de la zone euro, Olli Rehn, le Commissaire européenne aux affaires monétaires, Michel Barnier, le Commissaire européen à la concurrence, et Jean-Claude Trichet, qui est à la tête de la BCE. "Au moment où l'économie globale est fragile et les marchés si sensibles, des changements de notation injustifiés et déséquilibrés peuvent déboucher sur des prophéties auto-réalisatrices", a-t-il écrit. Il y a "urgence", a-t-il enchaîné George Papaconstantinou. La décision de Moody's de dégrader dans la même semaine la dette de la Grèce plaide, à ses dires, en faveur d'une régulation plus stricte des agences de notation. C'est pourquoi, a-t-il conclu, il faut que l'Eurogroupe et l'EcoFin se saisissent immédiatement du problème. Insensible aux arguments de ce réquisitoire en règle, seulement 72 heures après la Grèce, Moody's a dégradé aussi l'Espagne.

 

Crise, patrons, rémunérations : ce que pensent les salariés

 Un sondage d'Ipsos-Logica pour Altedia et « Les Echos » · L'intérêt pour le travail persiste mais la démotivation gagne · La peur du chômage s'enracine · Forte attente sur les salaires · Le stress se généralise

L'accalmie du chômage et le retour à une croissance molle n'ont pas levé les inquiétudes des salariés, selon le baromètre Ipsos pour Altedia et « Les Echos ». Plus de 7 salariés sur 10 estiment que le gros de la crise industrielle reste à venir et 41 % s'attendent à vivre une période de chômage ces prochaines années. Les salariés restent attachés à leur travail et à leur entreprise, mais s'impatientent. Ils exigent des gestes sur les salaires, des perspectives d'évolution et une plus forte reconnaissance.

 

Libye : les Européens choisissent la prudence

A l'issue du Sommet consacré à la Libye, les chefs d'Etat et de gouvernement ont réclamé le départ immédiat du colonnel Kadhafi mais sont restés très prudents.

Les leaders des 27 Etats membres réunis vendredi à Bruxelles ont clairement demandé le départ du colonel Kadhafi. « Immédiatement » , selon les termes de leur déclaration finale. Le chef libyen n'est plus considéré par l'Union comme un interlocuteur et son régime a perdu « toute légitimité ». Pour le reste, les Européens se sont montrés beaucoup plus prudents que ne l'auraient souhaité le président français Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique David Cameron. Leur désir de voir partir Mouammar Kadhafi est réel, mais à l'inverse des deux hommes, ils ne voient guère l'intérêt d'une intervention militaire dans un contexte encore aussi incertain. Ainsi les différents chefs d'Etat et de gouvernement ont longuement discuté de l'utilité ou non de reconnaître le Conseil national de transition de Libye, tandis que toute allusion à l'emploi de la force, que ce soit sous forme de tir ciblé ou de zone d'exclusion aérienne, a été gommée.
A l'issue de la réunion, le président Nicolas Sarkozy, le premier à reconnaître officiellement le Conseil national de transition, estime avoir obtenu satisfaction. Dans leur déclaration finale, les Vingt-sept déclarent certes reconnaître ce Conseil comme un « interlocuteur politique », mais ils ne s'engagent pas davantage. Plusieurs leaders ont exprimé leur méfiance vis à vis de certaines personnalités de ce Conseil, qui étaient encore il y a trois semaines du côté du colonel Kadhafi, à commencer par son président, l'ancien ministre de la Justice, Abud Al Jeleil. D'autres et notamment la chancelière allemande, Angela Merkel, ont souligné qu'il n'y avait pas lieu de se précipiter pour cette reconnaissance, d'autres responsables locaux pouvant se révéler à l'avenir plus crédibles. « Je comprends leurs réticences, mais aucun pays ne passe en un clin d'oeil de la dictature à la démocratie, et pour la France, il fallait que l'Union reconnaisse ce Conseil transitoire, afin d'éviter un risque de « Somalisation », a expliqué Nicolas Sarkozy.
Pour protéger les populations civiles, la déclaration finale souligne que les Etats membres examineront « toutes les options nécessaires, pour peu que le besoin soit démontrable, la base juridique claire et un soutien régional ». Une formule suffisamment vague pour mettre tout le monde d'accord. Dans leur lettre commune, Nicolas Sarkozy et David Cameron évoquaient l'inclusion d' « une zone d'exclusion aérienne ou d'autres options pour empêcher les attaques aériennes ». L'Allemagne s'est montrée très réticente. « Une zone d'exclusion aérienne, mais pour quoi faire ? La majorité des combats a lieu de façon classique avec des tanks et l'infanterie », a rappelé un proche de la chancelière.

Actions ciblées

A l'issue du Sommet, le président Nicolas Sarkozy s'est rallié à l'avis de la majorité se gardant bien d'évoquer une quelconque cavalier seul avec la Grande-Bretagne. « J'ai été le premier à émettre des réserves sur une zone d'exclusion aérienne pilotée par l'OTAN », a-t-il rappelé. « Mais que se passerait-il si une manifestation pacifique était la cible des avions du Khadafi ? Devrions nous nous contenter de regarder les images ? C'est pourquoi j'ai parlé d'actions ciblées au cas où les populations civiles sans défense seraient attaquées, et à condition d'avoir le mandat des Nations Unis et le soutien de la Ligue arabe et bien sûr des représentants libyens ».
Au final, la diplomatie française s'est faite plus tempéré. Plutôt en phase avec le peu d'enthousiasme manifesté par les Etats-Unis pour une opération militaire. Néanmoins l'Europe ne se ferme aucune porte, à la veille du Sommet de la ligue arabe sur la Libye, et trois jours avant les propositions à l'OTAN de la chef de la diplomatie Hillary Clinton sur l'exclusion aérienne. Ce week-end en Hongrie, les pourparlers vont se poursuivre, notamment entre les ministres des affaires étrangères européens, qui vont discuter des options possibles pour asphyxier encore davantage le dictateur de Libye, à travers des sanctions qui toucheraient cette fois-ci le pétrole et le gaz. Comme l'a déclaré le président des Etats-Unis, la corde se resserre peu à peu.
 

Quand l'Amérique réinterroge sa politique arabe


Les Etats-Unis doivent-ils s'engager plus avant au Moyen-Orient ? Ou au contraire doivent-ils revenir à une politique étrangère du « benign neglect » (douce insouciance), de laissez-faire dans cette région ? Après le « wilsonisme botté » de George W. Bush qui envoyait son armée en Irak pour culbuter un régime jugé hostile à la « démocratie américaine », l'Amérique de Barack Obama s'interroge sur la nécessité, et la manière, d'intervenir pour soutenir les mouvements de démocratisation dans le monde arabe, voire plus militairement, d'imposer des zones d'exclusion aérienne en Libye pour protéger les populations contre les bombardements de l'aviation du colonel Kadhafi.

Le débat est ouvert à Washington. A l'une des extrémités, le Cato Institute, un think tank « libertarien » partisan du moindre gouvernement et de la plus grande liberté individuelle, avance sa thèse de non-interventionnisme. Face aux événements en Libye, dit ainsi Ted Galen Carpenter, l'Amérique doit adopter un « profil bas », car tout engagement américain risque d'avoir un effet contraire à celui recherché, qui est de promouvoir la démocratie. En d'autres termes, mieux vaut laisser les Libyens, comme les Tunisiens et les Egyptiens, se débarrasser de leur dictateur que de donner l'impression que ces changements sont le résultat de l'implication américaine. Dans une récente tribune, Doug Bandow, un autre chercheur du Cato Institute et ancien conseiller du président Ronald Reagan, affirme que « le gouvernement américain doit reconnaître sa capacité limitée à changer le cours des événements, et d'une façon favorable » au Moyen-Orient.

L'un des arguments avancés par l'institut « libertarien » est le coût disproportionné de l'aide américaine aux pays de cette région par rapport aux autres pays, pour un résultat minime. De l'Afrique du Nord jusqu'au golfe Persique, 5,3 milliards de dollars ont été dépensés en 2008. Mais d'après l'institut, le déploiement militaire américain depuis la première guerre du Golfe de 1991 contre l'Irak, pour protéger les exportations de pétrole d'Arabie saoudite et des autres pays de la région coûte de 30 à 60 milliards de dollars par an aux Etats-Unis. Au-delà de cette donnée comptable, cette politique a été contre-productive et a déclenché un fort sentiment d'anti-américanisme dans la région, sans parvenir à régler le conflit israélo-palestinien.

Quant au renversement du régime de Saddam Hussein en Irak, il a largement contribué au renforcement dans la région de l'Iran, aux yeux du centre de recherche. Le Cato Institute prône ainsi un désengagement « constructif » des Etats-Unis de cette région, en encourageant l'Union européenne, plus dépendante que les Etats-Unis du pétrole du Moyen-Orient et plus menacée d'un exode massif des pays du bassin méditerranéen que l'Amérique, à prendre un rôle « plus actif », comme le suggérait déjà Leon Hadar dans un ouvrage publié en 2005 (1).

Le constat peut paraître juste sur de nombreux points. Mais cette vision politique est difficile à appliquer, voire impossible. En premier lieu, l'Union européenne qui se réunit aujourd'hui à Bruxelles pour se pencher sur la situation en Libye et plus généralement dans le monde arabe, est loin d'avoir la capacité à remplacer les Etats-Unis, militairement et surtout politiquement. Définir ne serait-ce qu'une position commune face aux tragiques événements en Libye est loin d'être une chose acquise. La France a été ainsi le seul pays européen à « saluer » dimanche dernier la création d'un conseil national de transition en Libye. Mais il n'est pas sûr que Paris obtienne aujourd'hui à Bruxelles une position commune des 27. Surtout, comme le souligne Alexander Lennon, du CSIS (Center for strategic and international studies), un autre think tank de Washington , « retourner à une politique de douce insouciance pour les Etats-Unis serait aller beaucoup trop loin dans le mouvement de balancier » par rapport à une politique d'interventionnisme à la George Bush fils. Entre attitude militaire et insouciance, souligne l'expert, il existe une palette de positions non pas pour « promouvoir » une démocratie à l'occidentale, mais pour « soutenir » le mouvement de démocratisation. « Les Etats-Unis doivent être plus patients car l'instauration d'une démocratie est un très long processus et ne dépend pas simplement de l'organisation d'élections », comme l'ont démontré les scrutins en Irak ou encore dans les territoires palestiniens. Mais il y a un point d'accord pour nombre d'analystes : l'Amérique doit être plus humble dans la définition de son rôle dans le monde.

L'une des pistes est une coopération renforcée au Moyen-Orient et pas seulement avec l'Europe mais aussi avec des pays comme l'Afrique du Sud, et pas seulement entre gouvernements mais aussi d'ONG à ONG, note Alexander Lennon lors d'un entretien (2).

Tout cela ne peut exclure un rôle de tout premier plan encore pour les Etats-Unis. Deux experts du Carnegie Endowment for International Peace (3), Michele Dunne et Robert Kagan, considéré comme l'un des chefs de file des néo-conservateurs, estimaient récemment que l'Amérique devait faire de la transition en Egypte « la priorité de sa politique » au Moyen-Orient. Et même si la réussite ou l'échec du printemps arabe dépend des peuples de la région « cela ne doit pas empêcher les Etats-Unis et les autres pays démocratiques de tout faire pour l'aider ». En d'autres termes, Barack Obama joue sa place dans l'histoire aussi au Moyen-Orient. Et l'Amérique ne peut tourner le dos à cette région.

(1) « Sandstorm : Policy Failure in the Middle East » (Palgrave Macmillan, 2005)

Bercy les bons tuyaux

Lorsque le peuple gronde, les gens du Château réagissent parfois maladroitement. Marie-Antoinette, sur fond d’émeutes de la faim, se serait ainsi exclamée : “S’ils n’ont plus de pain, qu’on leur donne de la brioche !” L’anecdote, inventée ou pas, dit bien l’éternel décalage entre la base et le sommet.

Ce qui valait jadis pour la boulange vaut désormais pour les carburants. Dans les stations-services, les prix flambent comme jamais. Kadhafi, hostile au “sans plomb”, mitraille son propre peuple et les marchés s’affolent.

Chez nous, cependant, les taxes de l’État se taillent toujours la part du lion. Sur le total payé à la pompe, l’impôt représente de 50 % à 60 % selon les produits.

Aussi pouvait-on espérer, hier, un geste de la ministre de l’Économie. Mais non, elle s’y refuse, parce que les finances du pays sont à sec. L’argument budgétaire, certes douloureux, reste compréhensible. La suite, en revanche, devient extravagante. Christine Lagarde croit bon d’enrober l’affaire avec le bon sens du garagiste. Elle fournit à l’automobiliste français, afin de réduire sa facture pétrolière, mille précieux et “malins” tuyaux. Que chacun vérifie le gonflage des pneus, modère sa vitesse, adopte une conduite plus souple, coupe le moteur au feu rouge…

Et l’essence coûtera moins cher, après ça ? À trop infantiliser le contribuable, la reine de Bercy risque de faire le plein des mécontents. On dira alors qu’elle a poussé le bouchon un peu loin.

Le pari libyen de Sarkozy

Après l'attentisme, l'audace. En annonçant la reconnaissance du Conseil national de transition, qui rassemble l'opposition au colonel Kadhafi, c'est une brusque accélération que l'Élysée vient d'imprimer, hier, à la diplomatie française. La France parie sur la fin proche de Kadhafi. Elle est le premier pays à reconnaître l'opposition libyenne, qui lui en sera éternellement reconnaissante. Elle brûle la politesse à ses partenaires européens, à l'Otan, à l'Onu. Dans le style et le timing, c'est du pur Sarkozy. Avec sa part de culot, d'intuition, de pari, d'incertitudes et de risques.

Le culot, c'est d'annoncer, à la veille d'un important sommet européen, une telle prise de position. On peut, certes, donner crédit au président français de ne pas sombrer dans l'immobilisme de certains de ses partenaires, mais la discussion va débuter, aujourd'hui à Bruxelles, sur une note bien peu collégiale. Quoi que pensent les autres capitales, Paris a déjà fait son choix. Certains diplomates européens, à Berlin ou à Rome notamment, ne cachaient pas, hier, leur perplexité, voire leur irritation.

L'intuition, c'est une nouvelle fois, comme en Géorgie, en 2008, la possibilité d'exploiter le vide créé par la prudence américaine. Ni Obama ni même son opposition, hormis les traditionnels va-t-en-guerre, ne souhaitent ajouter à l'Irak et à l'Afghanistan un bourbier libyen. Washington demande explicitement un engagement européen dans ce qui est son proche voisinage, et l'un de ses réservoirs à gaz et à pétrole.

Le pari, c'est d'abord, pour la France, de remettre pied sur le sol nord-africain du bon côté. Le bon côté étant celui des aspirations démocratiques. La chute de Ben Ali a aussi été celle d'une stratégie occidentale, et notamment française, d'une bonne quinzaine d'années, qui reposait sur le soutien à des dictatures en échange d'hydrocarbures et de répression du terrorisme et de l'immigration clandestine. En soutenant les démocrates libyens, Paris espère rompre l'image négative liée à cette stratégie défunte.

L'autre pari, c'est celui d'une possible partition de la Libye. On sait le pays dépourvu de partis politiques, d'ossature étatique, reposant sur une forte identité tribale. La guerre civile, déjà en germe, ne laisse envisager aucune issue viable, aucun vainqueur réel. La reconnaissance du fragile CNL, c'est un encouragement de facto (délibéré ?) à la division du pays. Depuis hier, une deuxième Libye existe diplomatiquement. Grâce à Paris. Le sous-sol faisant bien les choses, elle dispose, elle aussi, de pétrole et de gaz. Resterait à définir la frontière.

Ce type de tracé, ce sont les armes qui le plus souvent en décident. Jusqu'où ira Kadhafi ? Et s'il reprenait le dessus ? Quelles positions vont adopter la Russie (qui vend des armes à Kadhafi) et la Chine (qui lui achète son pétrole) ? L'existence de deux Libye satisferait-elle leurs intérêts ?

On mesure, aisément, combien tous ces scénarios comportent de risques. Choc pétrolier, annulation de contrats (redoutée à Saint-Nazaire), implication croissante dans le conflit libyen, effet dominos d'une éventuelle partition. En un geste diplomatique, Paris vient de bousculer le jeu européen en Libye. L'avenir nous dira si ce geste était audacieux ou hasardeux.