Nos média nationaux comprenant radios, hebdomadaires
nationaux et autres blogs participent activement à la désinformation,
disséminant des clichés et offrant des cadres d’une analyse du
libéralisme ouvertement idéologique plutôt qu’informative. Ces
comptes-rendus journalistiques au public sont des formes fortement
institutionnalisées de communications, ce qui nous conduit à constater
l’échec de la culture économique, et de la culture tout court, dans les
média français.
Éric Aeschimann a écrit
une revue pour l’hebdomadaire national
le Nouvel Observateur du 8-14 mars 2012 intitulée "Philosopher par temps de crise" qui se présente comme une critique de la raison économique [].
C’est une revue de cinq ouvrages d’auteurs qui proposent une lecture
critique du néolibéralisme à partir d’une approche philosophique de la
question. La justification d’une telle approche est simple mais comme on
le verra dans cet article largement insuffisante.
Revoyons d’abord l’ensemble des points soulevés par la revue d’Eric Aeschimann []
qui consiste à montrer que les postulats du libéralisme sont
irrationnels. Je passe en revue ces suppositions à l’aide de trois
sous-chapitres : (a) l’économie n’est pas le monopole des économistes ;
(b) le libéralisme prolonge et développe insidieusement la dépossession
des savoirs de la population et (c) le libéralisme social et politique
doit contrebalancer le néolibéralisme débridé. Je considérerai comment
une telle revue critique ne tient pas compte des connaissances
économiques nécessaires pour répondre aux scepticismes soulevés. Enfin
je conclurai en tirant quelques conséquences sur nos media nationaux,
qui non seulement ne font pas leur travail d’information, mais sont les
agents actifs de l’échec de notre culture.
1 - L’économie n’est pas le monopole des économistes
Le premier argument consiste à réintroduire le besoin d’une réflexion
philosophique. L’économie n’est pas le pré-carré des économistes.
Personne n’a dit le contraire mais encore faut-il connaître un minimum
d’économie pour s’engager effectivement sur le sujet. Est-ce que nos
philosophes vont réussir leur tour de force critique ? C’est ce que nous
allons voir. La revue critique d’Éric Aeschimann commence avec
l’ouvrage de Jean-Pierre Dupuy
L’avenir de l’économie []
.
Et ça commence très fort dans l’ignorance économique avec la
déclaration de Dupuy selon laquelle l’économie est un type de religion.
Elle implique selon lui non seulement une forte dose d’irrationnel mais
aussi une part d’inconscience de sa propre condition en tant qu’outil
d’analyse de la société. Dupuy n’hésite pas à détourner Adam Smith en
transformant l’objectif du célèbre économiste []
en un moralisme étroit de la chose économique. Adam Smith devient donc
celui qui montre que l’économie est une accumulation égoïste de biens
matériels, le tout suscitant l’envie. On est bien loin de la
contribution d’Adam Smith à la science économique, mais on rejoint la
ritournelle socialiste de l’aveugle accumulation des biens [].
Et c’est là que le pseudo-philosophe et pseudo-économiste introduit
la question de la rationalité économique. Cependant, notons que pour
traiter de cette sérieuse question, il n’est pas parti d’Adam Smith,
mais l'a instrumentalisé pour se donner un verni économique qui lui
permet d’introduire une question pseudo-philosophique. La question que
Dupuy se pose est, en fait, un jugement de valeur, moral et
condescendant sur les biens matériels. En fait, la mauvaise philosophie
ne s’arrête pas là puisque Dupuy et son critique Aeschimann pensent que
la transcendance des biens matériels peut-être acquise par la pensée
religieuse, d’où le recyclage de Max Weber exposant le calvinisme et sa
projection transcendantale de la réussite économique. Pourtant tout ce
recyclage est éculé, car sans fondement sur des faits sociologiques
contemporains et, donc, à la logique largement discutable. W. W. Rostow []
a depuis longtemps expliqué que le système de valeurs (religieux en ce
qui concerne le rôle de Calvin dans l’émergence des élites capitalistes)
n’est qu’une explication mineure et insuffisante pour expliquer la
maximisation des profits engendrée par le système de production
capitaliste. Il explique que la dynamique du capitalisme est aussi due à
la mobilité sociale. C’est l’ascendance de nouvelles élites dont les
routes conventionnelles avaient barré l’accès au prestige et au pouvoir,
ainsi que l’affaiblissement de la société traditionnelle elle-même qui
finalement ont permis à certains de ses membres la recherche d’une
certaine avance matérielle et du pouvoir politique.
Les implications du changement social que le capitalisme permet est à
mille lieues des pérorassions de nos philosophes. Pour eux, Dupuy comme
son serviteur Aeschimann, la reconsidération de l’économie doit se
faire en la transcendant, c’est-à-dire en l’évinçant au profit de la
politique (que j’imagine sans trop me forcer, dirigiste et
confiscatoire, basée sur des prélèvements fiscaux dont la logique est
peu transparente puisque basé implicitement sur les principes partisans
des partis).
Bien que cette revue critique de l’ouvrage de Dupuy échoue à faire
une démonstration d’une critique de l’économie, le lecteur se trouve
devant un dilemme. D’abord, il devra faire confiance à la revue critique
sans que son auteur ait disposé des outils de la critique pour se faire
une opinion informée [].
Ensuite, et ce qui est plus inquiétant, toutes les idées présentées ne
sont qu’une longue enfilade de préjugées mal dégrossis qui montrent une
inculture économique et une incurie philosophique. Alors, à quoi
ressemblerait un questionnement valable ?
La question sérieuse que Dupuy pourrait susciter est la suivante :
pourquoi les questions économiques semblent-elles impératives pour
appréhender les changements de notre société ? []
Pour répondre à cette question, deux éléments complémentaires doivent
être pris en compte : 1- Si des non-économistes veulent traiter
d’aspects qu’ils considèrent délaissés par les économistes, alors ils se
doivent de connaitre les problématiques économiques de notre temps. Et
non pas comme le font Dupuy et, comme le relaie aveuglément Aeschimann,
de se borner à recycler des clichés éculées des sciences sociales des
années 30. 2- Les recherches passées et en cours, faites par des
universitaires sérieux, doivent être rapportées par les journalistes
critiques spécialisés, afin de nous les faire connaître.
Chacun sait qu’il n’y a pas
un problème de l’économie, de la même façon que
la politique ne peut en être
la
solution. La revue critique d’Aeschimann ne répond pas à ces deux
questions préalables, ce qui interdit aux lecteurs d’aboutir à une
décision éclairée concernant le libéralisme et ses critiques. Nous avons
affaire à une simple idéologie de bas étage. On peut arriver à cette
conclusion en notant que le problème économique, technique n’est pas
isolé de façon convenable, ce qui rend impossible d’entrevoir des
solutions (politiques ou non) valables. Et c’est sûrement dans ce flou
conceptuel que Dupuy a écrit son livre à grands coups de déclarations
gratuites appelées, en France, « philosophiques ».
Bien que le sujet du livre de Dupuy soit de peu d’importance, il
reçoit une couverture médiatique solide, ce qui ne manque pas de
m’interroger sur l’obscurantisme de nos média nationaux. Je ne suis pas
loin de me demander à quel jeu manipulatoire les lecteurs du
Nouvel Observateur
sont conviés à leur insu ? Non seulement la question de Dupuy, mal
formulée ne fait pas partie des discussions centrales de l’économie et
de ses critiques aujourd’hui mais, en dépit de la non-existence de tel
questionnement sur la scène internationale, il est légitime de se
demander si les relais « d’information » dont ses idées bénéficient ne
sont pas simplement disproportionnés [] ?
2- Le libéralisme prolonge et développe insidieusement la dépossession des savoirs de la population
Nous sommes ici en plein délire communiste avec l’ouvrage de Bernard Stiegler
États de choc. Bêtise et savoir aux XXIème Siècle.
Il réussit le coup de force de ne pas traiter de la technologie mais
d’en utiliser une version dégénérée où il arrive à conclure que les
développements technologiques successifs ont prolétarisé les classes
sociales. En dépit du fait que la « prolétarisation des classes
sociales » ne veut absolument rien dire, il est possible que l’auteur
cherche à défendre un certain élitisme culturel dont il doit être
évidemment l’incarnation. Aeschimann n’émet aucune critique sur cet élan
déclamatoire sur la « prolétarisation » alors que la faiblesse même de
l’argumentaire m’aurait fait hésiter, en tout premier lieu, à inclure
cet ouvrage dans une revue critique du libéralisme.
Il semble que les contradictions de cet auteur sur le rôle de la
technologie dans l’innovation sont particulièrement sévères s’il pense
qu’il peut faire l’économie du problème « résiduel » de Robert Solow.
Celui-ci stipule que l’augmentation de la production dans les années 90
n’est pas seulement due à l’augmentation des « inputs » (capital inclus)
mais s'explique par l’effet de l’innovation technologique. On pourrait
se permettre de suggérer à Stiegler que toutes recherches sérieuses sur
le rôle de l’innovation et sa relation à l’économie devraient considérer
autrement que verbalement le problème du « résidu » de Solow.
« L’état de choc » de Stiegler est une vague resucée du concept de Naomi Klein « la stratégie du choc » [], qui,
in fine,
n’est qu’une élaboration intellectuelle de coin de table. Cette
élaboration réitère les clichés éculés du marxisme universitaire
français des années 50 qui combine maladroitement la prolétarisation
comme perte de savoir induite par le choc machiniste et le Freudisme
selon lequel la pulsion libidinale serait une explication valable de
l’économie ! []
Une information plus précise aurait permis à Stiegler de calmer son
verbe et de savoir qu’Ernest Dichter, dans les années 30 à 60, avait
développé des techniques inspirées de la psychanalyse de Freud pour
perfectionner les recherches marketing aux USA appliquées aux goûts des
consommateurs [].
La raison qui me pousse à donner cet exemple, c’est qu’il permet de
souligner un contraste entre une opinion vague et moralisatrice sur
l’économie (Stiegler) et la connaissance de procédés marketing qui a
certainement rapproché l’économie réelle des recherches plus
psychologiques (Dichter). Cependant, on perçoit bien que les
« intellectuels et autres journalistes » dont nous avons affaire ne se
soucient que très tangentiellement de faits réels, encombrant pour le
surréalisme idéologique de leur rhétorique.
3- Le libéralisme social et politique doit contrebalancer le néolibéralisme économique débridé
Éric Aeschimann présente le nouvel ouvrage de Serge Audier
Néolibéralisme(s) dont l’auteur est présenté comme le « grand spécialiste français du socialisme d’inspiration libérale ». Notre critique du
Nouvel observateur
affirme même que c’est le deuxième livre de l’auteur, ce qu’une
recherche rapide sur Wikipedia dément immédiatement comme le neuvième
livre de l’auteur [].
Éric Aeschimann retient que la gauche a négligé le libéralisme
(social) politique sans que nous soyons renseignés sur ce que cette
notion comprend [].
Pourtant, au-delà des grandes déclarations sur le « socialisme libéral
», une recherche rapide nous conduit sur un autre ouvrage de l’auteur
« le socialisme libéral » qui accouche d’une souris intellectuelle
puisque son idée se réduit à une autre hypocrisie moralisatrice qui
consiste à dire que le libéralisme social est né en opposition au
libéralisme économique qui fait confiance aveuglément au mécanisme du
marché et, qui bien sûr, ne se soucie pas des injustices sociales.
À part le fait que des généralisations de ce niveau font la part
belle aux jeux de langage les plus incontrôlables et incontrôlés, on en
arrive à la conclusion inutile et inexacte qu’il existe (a) un
libéralisme social qui contrebalance le méchant libéralisme économique
pur et dur [] ; sans articulation claire avec (b) un socialisme libéral représenté par John Rawls et sa
Theorie de la justice (1971) et
Libéralisme politique (1993). Malgré les approximations qui feraient douter n’importe quel universitaire digne de ce nom [] quant au label autoproclamé de « socialiste libéral », la rumeur est tout de même bien relayée par nos média nationaux [].
Cependant, bien que de nombreux auteurs (libéraux ou non) se soient
posé la question de la conciliation entre liberté individuelle et
solidarité sociale, la forme philosophique de la question ne garantit
pas sa validité. Le problème aujourd’hui n’est pas de savoir si les
auteurs libéraux (ou qui traitent de et/ou critiquent la question
libérale) soient préoccupés par les questions sociales [],
mais si les non libéraux proposent des avancées significatives sur les
questions sociales, auxquelles les libéraux n’auraient pas déjà pensé
(et si oui, lesquelles et en quels termes ?).
Cependant, Serge Audier ne fait que répéter des élucubrations pour
racheter un socialisme éculé en perdition. Ainsi, ces « socialistes
libéraux » sont effectivement doctrinairement socialistes. Ils veulent
que l’État réglemente le travail des enfants, des femmes, des ouvriers,
garantisse un salaire minimum et soit un État-providence qui assure la
sécurité et couvre les risques de maladie, de vieillesse ou encore le
chômage. Il est entendu que cet État assure prospérité par la
redistribution indirecte du capital. Il semblerait que qu’Audier se
trompe de siècle [].
Tous les lecteurs de cet article vivent dans une époque ou toutes ces
garanties précitées sont pleinement mises en œuvre. Est-il encore utile
de rappeler à ces « intellectuels » que nous ne sommes plus dans les
conditions historiques du XIXe siècle où les "questions sociales" se
trouvaient façonnées par les choix idéologiques des conservateurs et des
socialistes de l’époque. Le problème aujourd’hui est comptable, que ces
mauvais philosophes le veuillent ou non. La couverture étatique a un
coût et des sources de financement. Les politiques français eux-mêmes
veulent éluder la question en évitant que les contribuables réussissent à
mettre en œuvre une approche technique et transparente de comptabilité
nationale. Une façon d’éviter cette approche (qu’au passage les
sociaux-démocrates scandinaves ont mis en place dans les années 30)
c’est de travailler à l’idéologisation de la question du financement de
l’État.
Si Aeschimann, le rapporteur de ces "débats sur le libéralisme" avait
une conscience professionnelle plus aiguisée, il n'aurait pas commencé
par traiter de la question sur le plan idéologique mais se serait engagé
dans un travail autrement plus difficile qui consiste à savoir si le
questionnement de James Buchanan dans
Public principles of public debt
(1958) est applicable à la situation française. Buchanan se demandait
quels sont les effets réels du remboursement de la dette notamment sur
la consommation des ménages, l’épargne et sur la structure même de la
production. Le problème technique est réel puisque la comptabilité
nationale est généralement holistique en ces matières. En effet, la
question est autrement plus sérieuse et demande de sortir des
élucubrations philosophiques faciles de nos rhéteurs nationaux.
Et pourtant, on y revient avec Pierre Dardot et Christian Laval et leur dernier ouvrage
Marx, prénom Karl [] qui
nous offrent une autre déclinaison à trois francs du concept
d’exploitation marxiste. Il ne s’agit pas d’exploitation par le capital
prédateur du surplus de valeur créé par le travail mais l’exploitation
subjective (!), c’est-à-dire la monétarisation des aspects subjectifs de
notre vie tels que les sentiments, le désir, le salut ou encore le
savoir. Est-ce que notre critique du
Nouvel Observateur va
enfin identifier et critiquer ces mauvais jeux de mots ? Bien au
contraire, il va les trouver profond pareillement que la NRF et
France-Culture qui s’emploient, eux, à les diffuser le plus largement
possible, les faisant passer pour des summums de la pensée contemporaine
[].
Sur le plan de la critique, on peut seulement conclure que la pensée
de nos deux philosophes est une régression intellectuelle caractérisée.
En effet, comme France-Culture le suggère sur son site, la question
brulante à laquelle ces auteurs veulent répondre est : « comment nous
libérer du capitalisme, de cette forme historique qui est devenue
« monde », sans être condamnés à le subir encore longtemps, au prix de
ravages de tous ordres dont nous ne faisons aujourd'hui qu'entrevoir
l'ampleur ? » Nous sommes contraints de constater que l’abrutissement
fait effectivement des ravages.
Heureusement qu’en philosophie, on ne compte pas seulement sur notre
production parisienne, puisque Éric Aeschimann nous propose de lire le
philosophe allemand Peter Sloterdijk avec son dernier livre
Repenser l’impôt. Pour une éthique du don démocratique. L’auteur
propose de changer le principe de la fiscalité et notamment en
reconsidérant la relation entre le contribuable et l’État. Il est
notable que ce type de réflexion figure parmi celles dont les libéraux
se préoccupent non pas seulement en théorie mais aussi en pratique (en
mettant en place des fondations comme l’
Ifrap []
qui cherche à évaluer l’efficacité des politiques publiques).
Sloterdijk considère qu’il devrait y avoir une part de volontariat dans
l’impôt puisque ce dernier devrait être considéré comme une contribution
du citoyen à la vie de la communauté. Il contraste cette idée avec le
fait que l’impôt est plus souvent perçu comme une obligation vexante
plutôt qu’une approche du don. Il y a certainement une réflexion à mener
dans cette direction mais cela suppose que les mécanismes de
l’imposition soit efficaces, justes et flexibles (condition nécessaire
pour pouvoir éventuellement parvenir à l’attitude bienveillante du
contribuable envers la nation ou la communauté (régionale ou
municipale)). L’implication de ce type de pensée eu égard à notre
système d’imposition rigide et centralisé semblerait une évidence. Pas
pour Éric Aeschimann, qui lui préfère juger que l’argument de l’auteur
est insuffisant. Il ne s’aventure jamais sur la question épineuse en
France de l’économie de l’État mais préfère divaguer sur
« l’exploitation de l’homme par l’homme » ( ?) et la confusion entre
« l’impôt sur le revenu et les prélèvements obligatoires ».
En fait, Aeschimann échoue à produire une revue critique de la
littérature qu’il a sélectionnée. Il jette des mots sur le papier sans
se soucier de leur signification. Mais la technique du non sens est bien
rodée. Et la raison en est la suivante. Même si le lecteur sort confus
de cette revue critique ou ignorant des idées qui y sont
superficiellement exposées, Éric Aeshimann ne manque pas de pourvoir la
conclusion que le lecteur doit finalement retirer de tout cela : un
moralisme débilitant []
qui doit finir en un bulletin de vote clairement exprimé. Je cite la
dernière phrase de son article en guise de confirmation de cette
observation : «
Sloterdijk appelle un monde où il serait plus
glorieux d’offrir que de prendre et nous enjoint de renoncer à « la
conviction commode selon laquelle le comportement humain est
majoritairement guidé par de basses motivations. » Et si c’était d’abord
ainsi que la gauche devait se distinguer de la droite ? »
Conclusion : le journalisme idéologique est le symptôme de l’échec de la culture
Les media nationaux, se révèlent incapables de produire de
l’information digne de ce nom. Ils propagent même, ce qui est très
visible dans le cas de cette critique littéraire, une version tronquée
et biaisée du libéralisme dont je mets au défi tous lecteurs de cette
revue parue dans le
Nouvel Observateur d’en retirer une
connaissance compréhensive. Pour paraphraser Jean-François Revel, les
lecteurs de quotidiens français continuent d’être les otages de
« l’échec de la culture ». Celui-ci décrit les préjugés qui accompagnent
cet échec comme le fruit de « la vision canonique de notre monde », où
« il y aurait d’un côté les intellectuels, les artistes, les écrivains,
les journalistes, les professeurs, les autorités religieuses, les
savants, qui défendraient depuis toujours, envers et contre tous, la
justice et la vérité, et de l’autre coté, les puissances du mal : les
pouvoirs, l’argent, les fauteurs de guerre, les affameurs et les
exploiteurs, la police, les racistes, fascistes et dictateurs,
l’oppression et les inégalités, la droite en général et un peu la
gauche, dans un petit nombre de ses déviations éminemment passagères et
atypiques. Cette vision prévaut avec d’autant plus de facilité, que les
moyens de communication, dans les démocraties, sont par définition entre
les mains de ce qu’elle flatte. » []
Le problème est que ces sources de communication auprès du public
opèrent sur le mode d’un ralliement à une opinion plutôt que la
présentation d’une information avérée. Elles font par exemple d’Éric
Aeschimann un agent de propagation de désinformation dont la carrière
universitaire mais aussi les succès de librairie dépendent de son
exposition aux média nationaux.
Ces réseaux de média nationaux travaillent avec une approche
idéologique de l’information. Non seulement nous sommes témoin de la
négation de l’information elle-même mais de la construction et du
maintien d’une prétention intellectuelle qui est inversement
proportionnelles aux informations factuelles que tous ces messieurs
possèdent. Les producteurs de connaissance et leur succès professionnel
dépendent à la source []
d’accord idéologique, porte d’entrée à un réseau national de diffusion.
On peut se demander si ces travestis d’information vont continuer
encore longtemps pour tout ceux qui, comme moi, aimeraient vivre dans
une démocratie moderne ?
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Notes :