TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

mardi 14 juin 2011

Ne laissez pas tomber la Grèce : l'appel de Theodorakis

Le Comite Consultative du Mouvement de Citoyens Indépendants, créé à l’initiative du compositeur, penseur et homme politique grec Mikis Theodorakis, lance un appel aux Européens : en laissant la Grèce s'effondrer, c'est toute l'Europe qu'on assassine ! 

Les journalistes seraient-ils enclins à apprécier « l’idéologie allemande » des PIG’S, qui nous présente le destin de la Grèce comme le résultat de la fainéantise et de la roublardise de son peuple ? En tout cas, un rideau de fer constitué de désinformation et d’ignorance, à tous les sens du terme, s’est édifié entre les évènements en Grèce et l’information du public.
Le premier mérite de l’appel de Mikis Théodorakis, que nous publions ci-dessous, est d’appeler à abattre ce mur. Oui, nous méritons d’être mieux informés sur ce qui se passe en Grèce. La puissance des manifestations notamment, a été occultée dans les médias.
Il existe une deuxième raison de diffuser cet appel. En exigeant des Grecs qu’ils vendent à l’encan – dans les pires des conditions - les trente plus grosses entreprises du pays, en attendant de solder le Parthenon et les îles, l’Union européenne est en train de massacrer le berceau de l’Europe, le pays qui est au fondement de sa culture et de ses arts.

L’aventure grecque n’interpelle pas seulement les Européens sur le manque de solidarité qui entoure son fonctionnement. Elle devrait remettre en question le poids tout à fait exorbitant des agences de notation, l’absurdité d’une politique monétaire qui s’aligne sur les pays les plus prospères au détriment de ceux qui suivent, la bêtise des règles d'un Traité européen qui plombe les pays en difficulté au lieu de les aider à sortir la tête de l’eau. Une phrase de l'écrivain résume tout : « Si vous autorisez aujourd’hui le sacrifice des sociétés grecque, irlandaise, portugaise et espagnole sur l’autel de la dette et des banques, ce sera bientôt votre tour. Vous ne prospérerez pas au milieu des ruines des sociétés européennes. Nous avons tardé de notre côté, mais nous nous sommes réveillés. Bâtissons ensemble une Europe nouvelle ; une Europe démocratique, prospère, pacifique, digne de son histoire, de ses luttes et de son esprit.»
Alors, vive Theodorakis !

Philippe Cohen
Merci à Gérard Filoche pour nous avoir signalé cet appel

Aux citoyens indignés de Grèce et d'Europe

« Nous saluons les dizaines de milliers, voire les centaines de milliers de nos concitoyens, jeunes pour la plupart, qui se sont rassemblés sur les places de toutes les grandes villes pour manifester leur indignation à l’occasion de la commémoration du mémorandum (accord cadre signe entre le gouvernement grec, l’UE, le FMI et la BCE, en Mai 2010 et renouvelé depuis régulièrement),  demandant le départ du gouvernement de la Honte et de tout le personnel politique qui a géré le bien public, détruisant, pillant et asservissant la Grèce. La place de tous ces individus n’est pas au Parlement, mais en prison.

Nous saluons les premières Assemblées générales qui se déroulent dans les centres de nos villes et la démocratie immédiate que s’efforce de découvrir le mouvement inédit de notre jeunesse. Nous saluons les travailleurs de la fonction publique qui ont entrepris manifestations, grèves et occupations pour défendre un Etat qui, plutôt que le démantèlement prévu par le FMI, a désespérément besoin d’une amélioration et d’une réforme radicales. Par leurs mobilisations, les travailleurs de l’Hellenic Postbank, de la Régie nationale d’électricité et de la Société publique de loterie et de paris sportifs défendent le patrimoine du peuple grec qu’entendent piller les banques étrangères, par le truchement de leur gouvernement fantoche à Athènes.

Le pacifisme exemplaire de ces manifestations a démontré que lorsque la police et les agents provocateurs ne reçoivent pas l’ordre d’intervenir, le sang ne coule pas. Nous appelons les policiers grecs à ne pas être les instruments des forces obscures qui tenteront certainement, à un moment donné, de réprimer dans le sang les jeunes et les travailleurs. Leur place, leur devoir et leur intérêt est d’être aux côtés du peuple grec, des protestations et des revendications pacifiques de celui-ci, aux côtés de la Grèce et non des forces obscures qui dictent leur politique au gouvernement actuel.

Un an après le vote du mémorandum, tout semble attester son échec. Après cette expérience, on ne peut plus s’autoriser la moindre illusion. La voie qu’a emprunté et continue de suivre le gouvernement, sous la tutelle des banques et des instances étrangères, de Goldman Sachs et de ses employés européens, mènent la Grèce à la catastrophe. Il est impératif que cela cesse immédiatement, il est impératif qu’ils partent immédiatement. Jour après jour, leurs pratiques révèlent leur dangerosité pour le pays. Il est étonnant que le procureur général ne soit pas encore intervenu contre le Ministre de l’Economie et des Finances, après les récentes déclarations tenues par ce dernier sur l’imminence de la faillite et l’absence de ressources budgétaires. Pourquoi n’est-il pas intervenu suite aux déclarations du président de la Fédération des patrons de l’industrie et de la commissaire européenne grecque Mari Damanaki sur une sortie de l’euro ? Pourquoi n’est-il pas intervenu contre le terrorisme de masse avec lequel un gouvernement en faillite, sous le diktat de la Troïka [UE - FMI - BCE], tente une nouvelle de fois d’extorquer le peuple grec ? Par leur catastrophisme, leurs allusions tragiques et tout ce qu’ils inventent et déblatèrent pour effrayer les Grecs, ils ont réussi à humilier le pays dans le monde entier et à le mener réellement au bord de la faillite. Si un chef d’entreprise s’exprimait de la même façon que le fait le Premier ministre et ses ministres lorsqu'ils parlent de la Grèce, il se retrouverait immédiatement derrière les barreaux pour malversation grave.

Nous nous adressons aussi aux peuples européens. Notre combat n’est pas seulement celui de la Grèce, il aspire à une Europe libre, indépendante et démocratique. Ne croyez pas vos gouvernements lorsqu’ils prétendent que votre argent sert à aider la Grèce. Ne croyez-pas les mensonges grossiers et absurdes de journaux compromis qui veulent vous convaincre que le problème est dû soi-disant à la paresse des Grecs alors que, d’après les données de l’Institut statistique européen, ceux-ci travaillent plus que tous les autres Européens !

Les travailleurs ne sont pas responsables de la crise ; le capitalisme financier et les politiciens à sa botte sont ceux qui l’ont provoquée et qui l’exploitent. Leurs programmes de « sauvetage de la Grèce » aident seulement les banques étrangères, celles précisément qui, par l’intermédiaire des politiciens et des gouvernements à leur solde, ont imposé le modèle politique qui a mené à la crise actuelle.
Il n’y a pas d’autre solution qu’une restructuration radicale de la dette, en Grèce, mais aussi dans toute l’Europe. Il est impensable que les banques et les détenteurs de capitaux responsables de la crise actuelle ne déboursent pas un centime pour réparer les dommages qu’ils ont causés. Il ne faut pas que les banquiers constituent la seule profession sécurisée de la planète !

Il n’y pas d’autre solution que de remplacer l’actuel modèle économique européen, conçu pour générer des dettes, et revenir à une politique de stimulation de la demande et du développement, à un protectionnisme doté d’un contrôle drastique de la Finance. Si les Etats ne s’imposent pas sur les marchés, ces derniers les engloutiront, en même temps que la démocratie et tous les acquis de la civilisation européenne. La démocratie est née à Athènes quand Solon a annulé les dettes des pauvres envers les riches.Il ne faut pas autoriser aujourd’hui les banques à détruire la démocratie européenne, à extorquer les sommes gigantesques qu’elles ont elle-même générées sous forme de dettes. Comment peut-on proposer un ancien collaborateur de la Goldman Sachs pour diriger la Banque centrale européenne ? De quelle sorte de gouvernements, de quelle sorte de politiciens disposons-nous en Europe ?

Nous ne vous demandons pas de soutenir notre combat par solidarité, ni parce que notre territoire a été le berceau de Platon et Aristote, Périclès et Protagoras, des concepts de démocratie, de liberté et d’Europe. Nous ne vous demandons pas un traitement de faveur parce que nous avons subi, en tant que pays, l’une des pires catastrophes européennes aux années 1940 et nous avons lutté de façon exemplaire pour que le fascisme ne s’installe pas sur le continent.

Nous vous demandons de le faire dans votre propre intérêt. Si vous autorisez aujourd’hui le sacrifice des sociétés grecque, irlandaise, portugaise et espagnole sur l’autel de la dette et des banques, ce sera bientôt votre tour. Vous ne prospérerez pas au milieu des ruines des sociétés européennes. Nous avons tardé de notre côté, mais nous nous sommes réveillés. Bâtissons ensemble une Europe nouvelle ; une Europe démocratique, prospère, pacifique, digne de son histoire, de ses luttes et de son esprit. Résistez au totalitarisme des marchés qui menace de démanteler l’Europe en la transformant en tiers-monde, qui monte les peuples européens les uns contre les autres, qui détruit notre continent en suscitant le retour du fascisme. »

Le Comite Consultative du Mouvement de Citoyens Indépendants. « L’ Etincel » (*)

Athenes, 26 Mai 2011
(*) Créé à l’initiative de Mikis Theodorakis

La vie des autres

Quel décalage entre le défilé de nos jours ordinaires et cette corrida de l'actualité qui, épisode après épisode, jette dans l'arène et sacrifie pour nous séduire des puissants corrompus, des politiques pervers et des moralisateurs-tricheurs rendus fous par l'irrépressible attraction des caméras. Quelle distorsion entre la vraie vie des vraies gens et ce monde arrogant qui ne regarde que les rois et les reines. Ce monde qui ne laisse aucune place à l'éducation populaire, aucune chance à la culture urbaine, ce monde qui ne propose aucune alternative à la domination de l'argent et dans lequel BHL fait figure d'idéal intellectuel. Dans la vie des autres, ceux pour qui le monde n'est ni le FMI, ni l'orgie de richesses, c'est l'injustice qui est insultante.

Que ceux qui ont de l'argent le dépensent n'est pas un scandale. Ce qui l'est c'est que, par une étrange cécité, la pauvreté des pauvres nous soit devenue banale. C'est d'oublier de porter notre regard sur ceux qui travaillent sans gagner leur vie. À scruter le monde par le seul oeilleton de l'économie, le droit à l'humain est devenu un accessoire et les solitudes ont été ensevelies sous les états d'âme des princes étalés à la Une.

La société fonctionne comme une mécanique de sélection des élites qui, tout à leur endogamie, ne refont plus le monde et feignent d'ignorer que la politique ce n'est pas choisir des hommes mais de choisir des idées. Le discours de nos dirigeants s'adresse à des électeurs, à des consommateurs, rarement à des femmes et à des hommes. On parle du vivre ensemble comme d'une matière scolaire mal définie et la solidarité de la communauté nationale est classée parmi les cancers. Le débat sur la répartition de la richesse n'existe plus et nous croyons encore que la rénovation des quartiers qui ne brasse pas les populations et n'intègre pas, peut faire fonction de politique de la ville.

Le rideau de l'indifférence et des non-événements a estompé hier la douleur d'un gosse mort seul, sans l'argent pour acheter son traitement. Il a flouté aussi la souffrance de ceux qui en rentrant d'un petit boulot vont coucher dans leur voiture ou dans un carton. Nous ne sommes plus que des éléments statistiques. L'homme est un document pour l'homme.

Un minimum de morale politique

L’affaire Ferry n’aurait pu être qu’anecdotique si elle n’avait concerné que la probité de l’ancien ministre de l’Education nationale. Mais elle va bien au-delà de cela. Nul ne conteste, en effet, l’honnêteté du philosophe, ni la régularité juridique de son détachement administratif ou la prise en charge de sa rémunération par l’université, et demain par Matignon. Pas d’hypocrisie : c’est une pratique courante pour tous les gouvernements de la V e République, et quand elle exerçait le pouvoir, la gauche n’a pas été en reste pour recourir à ce genre particulier de petits arrangements entre amis.

Ce qui choque, c’est le bricolage. Indigne d’un État moderne qui devrait pouvoir éviter ces financements en dérivation ou, à défaut, être en capacité d’exercer un contrôle plus strict sur cette utilisation de l’argent public. Le scandale serait plutôt là. Car si certaines des fonctions qui sont ainsi rémunérées correspondent à un réel travail pour la nation, d’autres ne sont que postes de convenances où certaines personnalités de la République peuvent tranquillement pantoufler avec une fiche de salaire à la fin du mois. De Gaulle avait raison de railler l’éventail infini de ces comités Théodule qui ne servent à rien sinon à pondre des rapports promis au placard voire au classement vertical. Sans compter les comités et autres missions de circonstance qui refont des études déjà faites et bien faites mais oubliées ou délaissées du seul fait d’avoir été commandées par un autre gouvernement.

Au moment où l’exécutif réclame des efforts aux Français et quand la majorité s’interroge sur les abus supposés des bénéficiaires du RSA, la France ne peut se permettre de tolérer que des émoluments publics soient versés sans réelle contrepartie. L’opinion refuse désormais que ces facilités profitant à une toute petite caste politique passent en pertes et profits. Quant à la morgue des bénéficiaires qui n’ont même pas la décence de reconnaître le privilège dont ils profitent, elle ne passe plus.

Les temps changent et ils laisseront de moins en moins d’espace aux fantaisies du pouvoir, surtout quand elles sont financières. Tout s’accélère et le mouvement impose désormais un minimum d’exemplarité aux hommes et aux femmes qui exercent des responsabilités politiques.

Un phénomène européen qui a désormais un symbole : voilà même que la championne de la combinazione, l’Italie, se rebelle ! Elle, qui pendant si longtemps préféra fermer les yeux sur les incroyables libertés prises par Silvio Berlusconi face à la justice de son propre pays, a jeté un non massif à la figure de son Premier ministre arrogant qui osait prêcher l’abstention. C’est bien le signe, encourageant, que nos sociétés informées ne veulent plus accepter ni l’impunité, ni l’opacité illégitime. Ce n’est pas de la philosophie. Juste un minimum de morale.

Exception


Qui connaît Bernard Tapie en Chine, aux Etats-Unis ou au Nigéria ? Beaucoup plus de monde qu’on ne le pense... Car le Phénix national s’est immiscé dans la bataille pour la direction du Fonds monétaire international. C’est de lui, de ses relations réelles ou supposées avec Madame Lagarde et notre Président, que dépend en effet la succession de Dominique Strauss-Kahn. Aujourd’hui, trois magistrats diront si une enquête doit être ouverte contre la ministre de l’Economie, lui bloquant peut-être ainsi la route de Washington. Et franchement, l’on se met un peu à la place des Chinois, des Américains et des Nigérians: que doivent-ils penser de ces «frenchies», qui leur créent un scandale mondial avec la sexualité de DSK, puis les embrouillent avec une sombre affaire d’escroquerie à la sauce radicale ? Mais ça, Mesdames et Messieurs, que cela plaise ou déplaise, c’est l’exception française !

Il faut sauver Asia Bibi

« Mon cachot n'a pas de fenêtre, et je n'ai pas vu le soleil depuis trois mois, témoigne Asia Bibi, mère de famille pakistanaise et ouvrière agricole, condamnée à mort pour blasphème (1). Depuis que je suis isolée, je ne sors plus jamais de ces quatre murs et personne n'est autorisé à entrer pour nettoyer. [...] Chaque jour, je vais chercher tout au fond de moi la force de tenir, je me bats pour garder un peu de dignité. »

Voici deux ans, le 14 juin 2009, Asia Bibi travaillait dans les champs d'un exploitant agricole avec les autres femmes du petit village d'Ittan Waki, au Pendjab. Soudain, une foule démontée s'approche, réclame sa mort en l'accusant d'avoir insulté Mahomet. À l'origine du drame, une dispute qui dégénère : ayant bu l'eau du puits, elle fut accusée de rendre le gobelet impur...

Elle est traînée devant l'imam du village : « Si tu ne veux pas mourir, tu dois te convertir à l'islam. Es-tu d'accord pour te racheter en devenant une bonne musulmane ? » « Non, je ne veux pas changer de religion. [...] Je n'ai pas insulté le Prophète », répond-elle. Elle sera battue, jetée en prison, puis condamnée à mort au terme d'un étrange procès.

Le musulman Salman Taseer, gouverneur du Pendjab, et le chrétien Shabbaz Bhatti, ministre des Minorités, prennent sa défense. Tous deux seront assassinés. Tous deux voulaient abolir la loi contre le blasphème, qui condamne à mort ceux qui sont accusés d'avoir insulté Mahomet. Les musulmans en sont les premières victimes.

La mort à petit feu

Un mollah a promis 500 000 roupies à ceux qui la tueraient. Même en prison, elle n'est pas en sécurité car des condamnés à mort se font assassiner. De plus, ses conditions d'emprisonnement sont inhumaines. Combien de temps va-t-elle tenir ? Elle vit dans un cachot si petit qu'elle peut toucher les murs en étendant les bras. À côté de sa couche, un trou tient lieu de sanitaire. Elle souffre du froid, de l'humidité, de l'insalubrité... Ce genre de traitement, sous couvert de la protéger, la conduit à la mort avant même que sa cause ne soit entendue en appel. C'est comme si la sentence des mollahs était en train d'être appliquée à petit feu.

À cette torture, s'ajoute un autre drame : toute sa famille est menacée. Son mari comme ses enfants doivent se cacher. Pourtant, du fond de l'enfer, Asia Bibi trouve la force de résister à la haine et d'appeler ses enfants à se tourner vers l'amour et la vie : « Il faut que l'humanité embellisse, qu'elle progresse. [...] Dieu n'est qu'amour et il ne peut être responsable de la folie des hommes, de toute la haine du monde. [...] À mes enfants... Je veux que, quoi qu'il arrive, ils parviennent à construire leur vie et à transmettre tout l'amour que je ressens pour eux. Ils sont comme des graines d'espérance et d'amour, dont j'espère qu'ils vont donner un jardin florissant. »

Les conditions de détention d'Asia Bibi sont inhumaines. Sa vie est en danger. Il est nécessaire de la transférer au plus vite dans un lieu de vie digne et de lui permettre de faire valoir son innocence. La liberté de conscience et la liberté religieuse sont les fondements de la paix. La loi contre le blasphème, qui tue tant de musulmans et de chrétiens, n'est pas digne de ce grand pays.



(1) Blasphème, Asia Bibi et Anne-Isabelle Tollet, Oh ! Éditions. Les droits d'auteurs servent à la défense d'Asia Bibi.

A quel jeu jouent les agences de notation ?

Alors qu’elles n’avaient pas vu venir les crises précédentes, Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch sont soupçonnées de poursuivre leur entreprise de déstabilisation de la zone euro. Mais en s'en prenant cette fois aux pays les plus solides. A quoi jouent les agences de notation ? s'interroge Libération. 

Les agences de notation veulent-elles la peau de l’euro? Après avoir dégradé à tour de bras, depuis dix-huit mois, les dettes publiques des pays périphériques de la zone euro, dont certaines ont été ramenées au rang d’obligations pourries, elles menacent désormais de déclarer la Grèce en défaut de paiement.
Pourquoi? Parce que les Etats européens ont osé envisager une participation volontaire des institutions financières privées (banques, assurances, fonds de gestion, etc.) au sauvetage de ce pays. Une façon d’interdire une solution qui permettrait de sauver la Grèce d’une faillite qu’elles estiment, pur hasard, quasi certaine.
Comme si les marchés n’étaient déjà pas suffisamment nerveux, les agences s’attaquent aussi au club très fermé des Etats notés AAA, la note la plus élevée (ils sont quatorze). Elles ont ainsi annoncé au cours de ces dernières semaines que la France ou encore l’Autriche pourraient perdre, à plus ou moins long terme, leur triple A qui leur permet de se financer à moindre coût sur les marchés.
Mais la zone euro n’est pas la seule visée par cette frénésie: dans la foulée, elles ont menacé de dégradation les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Beaucoup d’économistes se demandent à quel jeu jouent les agences. "Si l’actif le plus sûr, la dette américaine, n’est plus sans risque, on change de monde", juge Laurence Boone, professeure d’économie à l’Ecole normale supérieure de Cachan (Val-de-Marne).
Les agences prennent le risque de déstabiliser la planète financière qui sera privée de placements sûrs, ce qui pourrait précipiter une nouvelle crise mondiale. Même si les agences répondent qu’elles font le travail pour lequel elles sont payées et que le marché n’a pas besoin d’elles pour se faire une religion, deux études démontrent leur responsabilité directe dans l’instabilité financière actuelle. Elles émanent du Fonds monétaire international (FMI) – étude datée de février – et de la Banque centrale européenne (BCE) – étude publiée il y a quelques jours.
Dans les deux cas, la conclusion est la même: les dégradations, qui ratifient les craintes du marché autant qu’elles les suscitent, ont un effet direct sur les investisseurs qui exigent automatiquement des taux d’intérêt plus élevés pour se couvrir du risque supplémentaire. Surtout, dans un marché de la dette très intégré comme l’est celui de la zone euro, ces dégradations ont un effet déstabilisateur sur l’ensemble des autres pays, y compris les mieux notés. En particulier parce que leurs établissements financiers possèdent de la dette de tous les pays de la zone euro: une dégradation affecte donc automatiquement leur solvabilité.

Les agences tentent de faire oublier leurs erreurs... en dégradant

Les agences ont non seulement été incapables de voir venir la crise américaine des subprimes en juillet 2007, des produits notés triple A jusqu’au jour de leur effondrement, mais aussi de prédire la crise de la dette souveraine de la zone euro, comme le souligne le FMI. Une erreur qu’elles tentent depuis de faire oublier par une frénésie de dégradations.
L’historique est accablant: pendant dix ans, les agences, en particulier les trois géants du secteur, Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, ont systématiquement ignoré les problèmes structurels des économies périphériques. Ce n’est qu’à partir de décembre 2009, soit après que le gouvernement grec a reconnu avoir menti sur l’ampleur de son déficit public, que le cycle des dégradations a commencé.
A l’époque, la Grèce était notée A, soit la cinquième meilleure note sur une échelle en comportant une vingtaine. Dix-huit mois plus tard, elle se retrouve au rang d’obligation pourrie: le 9 mai, Standard & Poor’s a dégradé la note grecque en obligations spéculatives, suivies le 31 mai par Fitch, et le 2 juin par Moody’s. La descente aux enfers de l’Irlande et du Portugal a été identique, même si leur dette se situe encore juste au-dessus du niveau spéculatif.
Tout comme les canards sauvages, les agences volent en groupe. A chaque fois, elles dégradent un pays à quelques jours d’intervalle et livrent au mot près les mêmes analyses. Elles suivent souvent les peurs du marché, mais elles les anticipent aussi, ce qui donne de belles prédictions autoréalisatrices. La dégradation oblige les investisseurs à vendre en vertu des règles prudentielles, ce qui fait baisser la valeur des obligations et confirme le marché dans sa peur d’un effondrement de la dette…
La zone euro et le FMI ont mis la Grèce, l’Irlande et le Portugal, en mobilisant plusieurs dizaines de milliards d’euros, à l’abri d’un défaut qu’ils écartent politiquement. "Mais, pour les agences, l’aide assure seulement la liquidité pour un an et non la solvabilité", explique Laurence Boone. C’est notamment pour cela que les agences estiment que la probabilité de défaut de la Grèce est "d’au moins 50%" d’ici trois à cinq ans. Au risque de déstabiliser toute la zone euro. La Commission européenne n’entend pas laisser faire.

Un an a passé…pour rien

Le 13 juin 2010, les Belges se rendaient aux urnes et donnaient au pays une double majorité: au Nord, les nationalistes flamands, au Sud, les socialistes francophones. Depuis, et malgré d'innombrables tentatives, le pays est toujours sans gouvernement. Et la presse belge célèbre sans joie ce premier anniversaire.
Il y a tout juste un an, la Belgique se prenait une "grosse claque" , selon les termes du Soir : pour la première fois, les nationalistes flamands gagnaient les élections parlementaires. Avec d'un côté les 27,8% de la Nieuwe-Vlaamse Alliantie (Nouvelle Alliance Flamande, N-VA) de Bart de Wever, premier parti en Flandre, de l'autre les 37,6% du Parti socialiste (PS), qui domine la Wallonie, le pays se retrouvait déchiré entre deux partis et deux conceptions communautaires du pays.
Un an après, aucun accord de gouvernement n'a pu être trouvé — en dépit des nombreuses missions de "conciliation", "médiation" et autre "exploration" — et l'exécutif se limite aux affaires courantes. Les Belges quant à eux, s'ils sont pour beaucoup lassés et dépités d'une situation qu'ils jugent inextricable, restent paradoxalement toujours confiants dans la capacité de leurs leaders à finalement trouver une issue à la crise.
Pour l'éditorialiste du Soir, la Belgique survit, mais "elle est juste… un peu moins belge:

En un an, en effet, les francophones ont fini par partager au moins une conviction commune avec le nord du pays: nous sommes deux populations qui vivent sous le même toit mais en partageant peu de choses communes. Vrai, faux? On ne se pose plus la question désormais, on a acté. Même si cela n’est toujours pas le prélude à une séparation: elle reste une menace, et non un désir ou un projet.
La Belgique n’est plus vécue comme un mariage mais comme une cohabitation. En un an, les francophones ont fini par acter ce que les Flamands majoritairement leur répètent depuis des mois: nous devons gérer les choses différemment, car nos situations, nos envies, nos politiques sont différentes. […]
La longueur des négociations a, de plus, ancré dans la vie de tous les jours cette certitude que l’on pouvait, au fond, vivre heureux chacun chez soi. Les gouvernements régionaux assurent, prennent les décisions qui font tourner le quotidien. Et voilà soudain les Wallons qui se sentent très wallons, quasi capables comme les Flamands de rouler tout seuls. C’est illusoire, évidemment, car nombre de problèmes qui sont à charge du fédéral ne sont plus ou pas réglés. […]
Le plus étrange dans cette situation est qu’alors que chacun est désormais convaincu par la nécessité de réformes qui donnent à chaque région davantage d’autonomie, un accord communautaire paraît plus que jamais impossible […]
Ce qui bloque? Une négociation avec un parti nationaliste dont les exigences sont fluctuantes et placées très haut. Et qui empêche les autres partis flamands de 'craquer'. Et, sachant depuis hier que la N-VA affiche 33 % d’intentions de vote et que De Wever atteint les 53 % de taux de popularité, on se dit qu’il n’y a pas de raison que ça change. Fatigant, inquiétant et désespérant.
Côté flamand, l'éditorialiste du Morgen Yves Desmet explique pour sa part qu’un an après les élections, non seulement les négociations se trouvent au point mort, mais aussi les rapports de force politiques:


La base de l’échiquier est restée la même, les deux mêmes formations politiques restent les forces dirigeantes: le PS et la N-VA gagnent même en électorat grâce à leur immobilisme et leur entêtement.
Malgré cette impasse, Desmet remarque que la confiance des citoyens dans la politique de leur pays s’est renforcée: "même si rien ne se conclut, l’on trouve qu’ils font du bon travail". Il voit deux raisons pour expliquer ce paradoxe:
Pour la première fois depuis bien longtemps, la politique ne porte plus sur 'rien' ou sur des mesquineries, mais sur des choix instrumentaux et lourds qui pressent. […] Mais en même temps, un sentiment de fausse sécurité s’installe. Car même au bout d’un an sans gouvernement, ce pays continue à marcher, l’économie reprend, et personne n’a l’impression dans son entourage habituel de vivre dans un ‘failed state’ ["Etat raté", en anglais dans le texte]. Si tout semble tourner de façon automatique, pourquoi ne pourrait-on pas se permettre de continuer cet entêtement et cet immobilisme pendant un petit bout de temps?
Et tandis que la Libre Belgique consacre sa une au le leader nationaliste flamand, De Standaard a demandé à des personnalités flamandes d'envoyer un message à Bart De Wever et à Elio Di Rupo. Ces lettres, écrit l'éditorialiste, montrent qu'il n'y a:
qu'incompréhension et frustration du fait de l’incapacité des deux leaders à mettre de l’eau dans leur vin. Il y a de la peur sur ce qui va suivre et de l’agacement sur l’immobilité de ceux qui étaient appelés à donner une autre tournure à l’histoire." En fait, note De Standaard, les lecteurs nous disent que "nous devons tous payer le prix fort d’un an de ‘couteaux tirés’.

Les agences de notations dépréciées

RTR2D8EM_Comp Les agences de notation veulent-elles la peau de l’euro ? Après avoir dégradé à tour de bras, depuis dix-huit mois, les dettes publiques des pays périphériques de la zone euro, dont certaines ont été ramenées au rang d’obligations pourries, elles menacent désormais de déclarer la Grèce en défaut de paiement. Pourquoi ? Parce que les Etats européens ont osé envisager une participation volontaire des institutions financières privées (banques, assurances, fonds de gestion, etc.) au sauvetage de ce pays. Une façon d’interdire une solution qui permettrait de sauver la Grèce d’une faillite qu’elles estiment, pur hasard, quasi certaine.

Comme si les marchés n’étaient déjà pas suffisamment nerveux, les agences s’attaquent aussi au club très fermé des Etats notés AAA, la note la plus élevée (ils sont quatorze). Elles ont ainsi annoncé au cours de ces dernières semaines que la France ou encore l’Autriche pourraient perdre, à plus ou moins long terme, leur triple A qui leur permet de se financer à moindre coût sur les marchés.
Mais la zone euro n’est pas la seule visée par cette frénésie : dans la foulée, elles ont menacé de dégradation les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Beaucoup d’économistes se demandent à quel jeu jouent les agences. «Si l’actif le plus sûr, la dette américaine, n’est plus sans risque, on change de monde», juge Laurence Boone, professeure d’économie à l’Ecole normale supérieure de Cachan (Val-de-Marne). Les agences prennent le risque de déstabiliser la planète financière qui sera privée de placements sûrs, ce qui pourrait précipiter une nouvelle crise mondiale. Même si les agences répondent qu’elles font le travail pour lequel elles sont payées et que le marché n’a pas besoin d’elles pour se faire une religion, deux études démontrent leur responsabilité directe dans l’instabilité financière actuelle. Elles émanent du Fonds monétaire international (FMI) - étude datée de février - et de la Banque centrale européenne (BCE) - étude publiée il y a quelques jours.
RTR2N6O0_Comp Dans les deux cas, la conclusion est la même : les dégradations, qui ratifient les craintes du marché autant qu’elles les suscitent, ont un effet direct sur les investisseurs qui exigent automatiquement des taux d’intérêt plus élevés pour se couvrir du risque supplémentaire. Surtout, dans un marché de la dette très intégré comme l’est celui de la zone euro, ces dégradations ont un effet déstabilisateur sur l’ensemble des autres pays, y compris les mieux notés. En particulier parce que leurs établissements financiers possèdent de la dette de tous les pays de la zone euro : une dégradation affecte donc automatiquement leur solvabilité.
Les agences ont non seulement été incapables de voir venir la crise américaine des subprimes en juillet 2007, des produits notés triple A jusqu’au jour de leur effondrement, mais aussi de prédire la crise de la dette souveraine de la zone euro, comme le souligne le FMI. Une analyse que partage Michel Barnier, le commissaire européen chargé du Marché intérieur et des Services : «Je pense même qu’elles sont l’une des causes de la crise parce qu’elles ont mal évalué les risques. Elles ne sont pas les seules à s’être trompées, mais elles ont clairement échoué dans leur mission», a-t-il déclaré hier à Libération. Une erreur qu’elles tentent depuis de faire oublier par une frénésie de dégradations.
L’historique est accablant : pendant dix ans, les agences, en particulier les trois géants du secteur, Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, ont systématiquement ignoré les problèmes structurels des économies périphériques. Ce n’est qu’à partir de décembre 2009, soit après que le gouvernement grec a reconnu avoir menti sur l’ampleur de son déficit public, que le cycle des dégradations a commencé. A l’époque, la Grèce était notée A, soit la cinquième meilleure note sur une échelle en comportant une vingtaine. Dix-huit mois plus tard, elle se retrouve au rang d’obligation pourrie : le 9 mai, Standard & Poor’s a dégradé la note grecque en obligations spéculatives, suivies le 31 mai par Fitch, et le 2 juin par Moody’s. La descente aux enfers de l’Irlande et du Portugal a été identique, même si leur dette se situe encore juste au-dessus du niveau spéculatif.
RTR2NED8_Comp Tout comme les canards sauvages, les agences volent en groupe. A chaque fois, elles dégradent un pays à quelques jours d’intervalle et livrent au mot près les mêmes analyses. Elles suivent souvent les peurs du marché, mais elles les anticipent aussi, ce qui donne de belles prédictions autoréalisatrices. La dégradation oblige les investisseurs à vendre en vertu des règles prudentielles, ce qui fait baisser la valeur des obligations et confirme le marché dans sa peur d’un effondrement de la dette…
«On peut se poser de sérieuses questions sur le rôle qu’elles jouent dans la crise de la zone euro, observe Barnier. Et notamment si elles tiennent compte de l’existence d’une solidarité financière considérable.» La zone euro et le FMI ont mis la Grèce, l’Irlande et le Portugal, en mobilisant plusieurs dizaines de milliards d’euros, à l’abri d’un défaut qu’ils écartent politiquement. «Mais, pour les agences, l’aide assure seulement la liquidité pour un an et non la solvabilité», explique Laurence Boone. C’est notamment pour cela que les agences estiment que la probabilité de défaut de la Grèce est «d’au moins 50%» d’ici trois à cinq ans. Au risque de déstabiliser toute la zone euro. La Commission européenne n’entend pas laisser faire. Et Barnier d’agiter un premier carton jaune : «Il faut réguler les agences bien davantage qu’elles ne le sont aujourd’hui.»