TOUT EST DIT

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vendredi 11 octobre 2013

Dégel avec l'Iran

Dégel avec l'Iran

Pour dîner avec le diable, dit le proverbe, il faut une longue cuillère. C'est, depuis des années, la méthode adoptée par les grandes puissances occidentales vis-à-vis de Téhéran. Symbole depuis 1979 de la dérive théocratique que peut prendre l'islam politique. Pilier central de « l'axe du mal » dénoncé par la dynastie Bush. Objet de sanctions internationales de plus en plus sévères depuis trois ans. L'Iran était jusqu'ici le Satan du Moyen-Orient. L'infréquentable, par définition.
Si l'on en juge par les bruissements perceptibles à Téhéran, la longueur de la cuillère est en train de se rétrécir singulièrement. Lors de l'assemblée générale des Nations unies, en septembre, le nouveau président iranien, Hassan Rohani, a confirmé la nouvelle ligne qu'il entend incarner. En assouplissant sa position sur le dossier nucléaire, l'Iran espère desserrer l'étau des sanctions. Prélude à une possible normalisation de ses relations avec l'Occident.
Ce nouveau climat répond à une volonté des deux parties. L'Iran, parce que les sanctions pétrolières, bancaires et commerciales imposées par la communauté internationale depuis le début de l'an dernier ont eu un impact important. Ses revenus du pétrole ont été divisés par deux. Sa monnaie a subi une forte dévaluation. Provoquant une inflation socialement dangereuse pour tout régime. L'Occident, parce que le nouveau désordre régional auquel le Moyen-Orient est livré donne à Téhéran une place particulière. Notamment dans le conflit syrien.
Stable dans une région balkanisée
Lorsque les régimes arabes étaient encore suffisamment solides à Bagdad ou Damas, l'Iran était essentiellement perçu comme un acteur antagoniste d'Israël. Avec la balkanisation de la région, c'est l'un des rares États encore debout. La stabilité a un coût intérieur, mais en diplomatie c'est parfois une valeur en soi. Surtout dans le conflit syrien, qui mêle le drame humanitaire à l'impasse politique. La guerre en cours a montré les horreurs du régime Assad, mais aussi le risque que la prolifération des groupes djihadistes fait courir à toute la région. Washington, Paris et Londres ont mis plus de temps à le mesurer que Moscou, mais le reconnaissent désormais.
Derrière le conflit chiite-sunnite souvent évoqué, un bras de fer plus classique est en cours entre l'Iran d'un côté, et l'Arabie Saoudite de l'autre. Et c'est là que l'hypothèse de la chute d'Assad peut rendre Téhéran particulièrement utile. Ce que les Iraniens n'ignorent pas et qu'ils monnaient chèrement.
Dès lors, derrière la poignée de main échangée par les présidents Hollande et Rohani, ou le coup de fil du président iranien à Barack Obama, c'est l'anticipation d'un dégel auquel nous assistons. Si accord il y a, la semaine prochaine à Genève, sur le dossier nucléaire iranien, la normalisation pourrait connaître une brusque accélération.
Depuis des mois, les grands groupes pétroliers ainsi que quelques grands constructeurs automobiles l'anticipent. En dépêchant leurs émissaires. Américains et Français se livrent, en coulisse, une véritable compétition industrielle pour prendre pied le premier sur ce marché de 80 millions d'habitants. Total est dans les starting-blocks. General Motors damerait volontiers le pion à Renault, après que la fermeté française sur les sanctions eut déjà coupé l'herbe sous le pied de Peugeot, l'an passé. Tout cela n'est pour l'heure que bruissement. Mais les mollahs semblent, chaque jour, de moins en moins infréquentables.

Le FN et les partis populistes européens sont-ils aujourd'hui les seuls à proposer une offre politique claire sur l'Europe ?


Selon un sondage Ifop pour "Le Nouvel Observateur", le Front national arrive en tête des intentions de vote pour les élections européennes de 2014. Mais le FN est loin d'être la seule formation anti-européenne à réaliser une telle percée. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a prédit jeudi que les élections européennes de 2014 seraient «extrêmement difficiles» en raison de la montée des populismes.

-Selon un sondage Ifop pour Le Nouvel Observateur, le FN arrive en tête des intentions de vote pour les élections européennes de 2014. Cette percée des partis populistes s'observe un peu partout en Europe. Comment l'expliquez-vous ? Est-elle due à une réelle audience des thèmes défendus par ces partis ou à un déficit de vision de l'Europe des partis traditionnels ? 

Guy Hermet : L’hostilité à l’Europe est ancienne dans les milieux populaires, ainsi que la détestation de l’euro. Le FN n’est pas la première formation populiste à se classer en tête. Le Parti du Progrès norvégien a par exemple souvent dépassé les travaillistes ou les partis "bourgeois". Mais partout, l’anti-européisme "primaire" des populistes s’est trouvé dopé par la crise économique qui a aggravé la diabolisation de Bruxelles. Le défaut de vision des partis traditionnels est ancien. Ils ont gâché, étouffé le processus européen par leurs conceptions toujours étroitement nationales, ou bien bêtement angélique (consolider la démocratie) de la fuite en avant dans l’élargissement. Plus l’Europe est large, plus elle est incomprise et rejetée.

Éric Verhaeghe : Déjà, je n'aime pas l'expression "parti populiste", qui est en soi totalement stigmatisante. Les populistes, ce sont ceux qui flattent le peuple par ses bas instincts. Cette appréciation est souvent à géométrie variable. Par exemple, endetter une économie pour être réélu, au lieu de réformer, c'est de mon point de vue un populisme extrême. Je dirais même que l'acte premier du populisme est celui-là : je vous mens et j'hypothèque l'avenir pour un gain immédiat. C'est tout de même cette stratégie qui est au pouvoir en France depuis 30 ans, et je n'entends ni Pierre Moscovici, ni la gauche bien-pensante, ni les autres s'en offusquer. 

A propos du Front national, je dirais plutôt qu'il s'agit d'un parti nationaliste, c'est-à-dire un parti convaincu que le peuple français, c'est une nation, c'est-à-dire un ensemble de gens - pour ainsi dire une ethnie. Il s'oppose radicalement à ceux qui considèrent que le peuple français s'incarne en une cité républicaine plutôt qu'en une nation. Rappelons que, sous la Révolution française, étaient considérés comme citoyens tous ceux qui adhéraient aux valeurs de la révolution, sans distinction d'origine ou de lieu de naissance. La cité contre la nation, l'Idée contre le sang, voilà quel fossé, quelle rupture, le Front national révèle. 

Vous avez raison de souligner que beaucoup de pays européens sont traversés par ce fossé. Paradoxalement, il se vérifie dans tous les pays qui ont connu un mouvement de type fasciste dans les années 1930. Ce mouvement existe en Italie, en Hongrie, en Bulgarie, mais aussi aux Pays-Bas, en Belgique, et de façon camouflée en Allemagne. Chez nos voisins allemands, ce mouvement a la particularité d'être intégré à la vie politique officielle. Je vous recommande d'interroger un député CSU sur sa conception de la famille, de l'Europe, du peuple allemand, et vous serez surpris... par la virulence de certains propos, que l'on fait semblant de ne pas voir et de ne pas entendre en France. Au nom d'une amitié franco-allemande qui n'existe que dans le fantasme de certains Français.

La question est de savoir pourquoi, après bientôt 60 ans de construction européenne, après 10 ans de monnaie unique, l'Europe est traversée par un regain de ces nationalismes, dans un espace politique qui s'est largement construit sur l'idée qu'il en serait le tombeau. Manifestement, la construction européenne a raté une marche, ou une étape dans son développement.
Gérard Bossuat : Ma réponse est celle d’un historien du monde contemporain, réfléchissant toujours en ayant le long terme à l’esprit. Un certain populisme d’extrême-droite s’est déjà manifesté dans les années 1930 en France. On sait ce qu’il a produit en Allemagne puis dans les territoires occupés par l’Allemagne nazie, entre 1940 et 1945. Le désespoir lié à la crise économique et à la lenteur de réaction des institutions républicaines a désarçonné l’esprit public. Malgré les protections sociales bien plus fortes dans nos années du XXIe siècle que dans les années 1930, existe un sentiment de peur face à l’avenir, d’insécurité nourri par la perte de repères sociaux et culturels traditionnels, d’hébétude parfois du fait d’une mondialisation destructrice (déficit religieux, éclatement du modèle familial classique, séductions et inquiétude de la mondialisation, ralentissement de la machine à produire de la croissance et de la promotion sociale, doutes sérieux sur le modèle occidental de consommation, incapacité à répondre vite aux urgences environnementales).
La montée des populismes, dont le Front national en France, est parallèle à la dégradation du consensus sur le sens à donner à notre vie collective dans le monde d’aujourd’hui. Le temps des certitudes de l’Europe de la fin du XIXe siècle est loin.
La responsabilité des élites politiques, intellectuelles, médiatiques est engagée. Le dialogue politique actuel entre la majorité et l’opposition est inexistant, souvent infantile. Face à un nouveau pouvoir installé depuis mai 2012 et porteur d’un grand espoir, les citoyens s’impatientent, espérant un changement immédiat de leur situation personnelle : plus d’emplois, plus de logement, plus de pouvoir d’achat, moins de dettes, plus d’influence de l’Europe et de la France dans les relations internationales. Alors que des solutions sont proposées, qu’une politique est mise en place qu’on peut contester intelligemment et sans doute amender, dont les effets ne peuvent être immédiats, une sorte d’impatience incontrôlée s’exprime sans retenue, nourrie de phrases assassines répercutées par des médias à l’affût du scandale, encouragée par des tribuns inconscients qui sont les porte-paroles des populismes dont on a vu les fruits amers dans l’histoire : l’étranger est responsable de nos maux, l’Etat tond  les travailleurs, les dépenses publiques de solidarité sont inutiles, les politiques sont des voyous. Un tel programme ne tient pas la route. La France ni l’Europe ne peuvent devenir des citadelles contre le flot du monde.
Raphaël Liogier : Je crois d'abord que l’on n’a pas très bien réalisé que nous ne sommes pas uniquement face à une poussée du Front National mais face à une transformation profonde de l’échiquier politique qui a permis l’émergence d’une mouvance populiste de fond, sur le point de devenir majoritaire, dans l’ensemble de l’Europe occidentale. Mais on ne peut pas comprendre ce que cela signifie si l’on n’explique pas préalablement ce qu’est le populisme. Cette notion a en effet été passablement galvaudée ces dernières années pour désigner un peu tout et n’importe quoi. Dans mon livre (Ce populisme qui vient, Textuel, septembre 2013) j’essaye donc tout d’abord de clarifier son sens.
Le populisme n’est pas équivalent à la démagogie, qui, elle, consiste banalement à tenter de faire plaisir à un maximum d’électeurs pour être élu ou se maintenir au pouvoir : c’est une tendance pour ainsi dire naturelle de toutes les démocraties. Le populisme n’est pas non plus le fait d’être plus proche du peuple, de ses préoccupations concrètes. C’est le fait d’invoquer le Peuple comme un tout homogène, et de parler en son nom, de prétendre être directement connecté à lui. Le populiste remet ainsi toutes les structures intermédiaires en cause, les élites, et même les institutions démocratique qui ne seraient pas réellement représentatives de la « vérité du peuple » dont il est pénétré. Le populiste devient dès lors incritiquable.

Qui pense aujourd'hui l'Europe ? Hormis les partis populistes, quelle est actuellement l'offre politique en Europe ? Que proposent les partis traditionnels ? Quelles sont les visions qui s'affrontent ?

Éric Verhaeghe :  Il me semble que l'Europe ne correspond plus à une pensée construite, mais à un dogme officiel d'un simplisme extrême, porté par les élites françaises avec une sorte de passion destructrice qu'il faudra bien un jour explorer. En France, émettre des nuances, des réserves sur le projet européen, par nature ou tel qu'il est conçu, c'est encourir le risque de l'excommunication et du mépris. Cette pensée unique est absurde, et ce dogmatisme explique une grande part de la montée des nationalismes. Ce sont les europhiles qui rendent impossible tout débat sur l'Europe, et poussent dans l'extrêmisme tous ceux qui voient bien que l'euro conçu comme prolongement du mark a engraissé les épargnants allemands, mais amaigri et même ruiné tous les autres. Regardez les Grecs. Regardez les Espagnols et les Portugais, regardez les Italiens. Et plus près de nous, quoiqu'ils en disent, regardez les Hollandais. Ceux-là sont un bon exemple. Ils se croient germaniques et collent à un ordre germano-centré qui les met peu à peu sur la paille. 

Pour ma part, je n'ai pas de doute sur la compatibilité d'un projet européen avec la tradition française. Simplement, les formes retenues pour ce projet depuis 1986, par Jacques Delors et l'Acte Unique, puis imposées par la réunification allemande, ne sont plus acceptables par la France et doivent donc être profondément modifiées. 

Historiquement, la France a toujours été, en Europe, plus grande et plus influente qu'elle ne l'est aujourd'hui. Les frontières naturelles de la France vont jusqu'au Rhin, au Nord, et jusqu'à Bilbao, au Sud. Historiquement, nous entretenons des relations étroites avec les territoires catholiques germanophones, qui sont plus proches de nous que de la Prusse. Nous n'aurions jamais dû accepter que l'Allemagne réunifiée choisisse Berlin pour capitale. Chaque fois que Berlin la prussienne a étendu son influence sur la Rhénanie, la France en a pâti. 

Reprenez l'histoire contemporaine de l'Europe: tant que l'Allemagne de l'Ouest était séparée de la Prusse, le projet européen était cohérent et prospère. Du jour où l'Allemagne de l'Ouest est retombée dans l'expansionnisme prussien, l'Europe a perdu son point d'équilibre et est devenue invivable.
Raphaël Liogier : C’est bien parce qu’il n’y a plus d’offre politique forte, concrète, reposant sur une vision cohérente de l’avenir que les partis populistes attirent de plus en plus de monde. Nous vivons aujourd’hui dans une ambiance de défense culturelle générale. Même la laïcité n’est plus un principe juridique libéral mais est devenu un morceau du patrimoine national à défendre au même titre que le château de Versailles. Nous voyons bien qu’elle a perdu tout contenu positif. Dans les années 30 le populisme se structurait autour d’édifices idéologiques stables, certes monstrueux mais stables ; aujourd’hui, dans notre société de consommation où les informations circulent à grande vitesse, il n’y a plus d’édifice idéologique, mais des châteaux de sable opiniologiques qui se construisent et se déconstruisent sans cesse, au grès des sondages, des modes de plus en plus volatiles.
La seule chose qui reste est le sentiment d’avoir à défendre notre culture, quel que soit le contenu que l’on donne à cette culture. C’est ce qui explique que les deux ennemis personnels du populiste (l’ennemi impersonnel du populiste est la "mondialisation") sont d’un côté les minorités ethnoculturelles et de l’autre les bobos, autrement dit les élites multiculturalistes héritières de mai 68… parce qu’ils mettraient en péril l’intégrité de cette culture que nous avons tant de mal à définir positivement mais que nous cherchons néanmoins, éperdument, à défendre. Dans la société opiniologique, le populisme est devenu fluide, il s’insinue partout dans la plupart des partis classiques (contrairement aux années 30 où il ne concernait que des partis spécifiques). Par ailleurs ce populisme liquide finit par ronger insidieusement les libertés individuelles. Le véritable antagonisme, aujourd’hui, me semble être le populisme d’un côté fondé sur le protectionnisme culturel général (qu’il provienne de la droite ou de la gauche) et de l’autre le libéralisme (qu’il soit de droite, plutôt accès sur l’économie, comme de gauche, plutôt accès sur les moeurs).   
Guy Hermet : Les partis traditionnels n’osent plus invoquer ou évoquer l’Europe, alors que ce fut la seule valeur réellement porteuse sur le marché politique. Et les populistes n’ont bien entendu qu’un message négatif, en attendant d’être au pouvoir ou d’en approcher. Ils risquent de changer alors.
Gérard Bossuat : Qui pense l’Europe ? Au risque de trop simplifier, personne ! Dans les années 1950 on pensait l’Europe soit comme membre d’un espace atlantique à l’Ouest, soit comme espace d’expansion du bonheur à la soviétique. Les Etats de l’Ouest européen reconstruisaient et modernisaient leurs économies en s’inspirant de l’économie de consommation capitaliste mais en cherchant à s’unir, soit pour rationnaliser la production et faire plus de profits mais pour augmenter aussi le niveau de vie des populations, soit pour créer une solidarité européenne propre à résister à l’URSS et aux tentations dominatrices des États-Unis. Les premières formes d’unité européenne, du plan Schuman à la CEE et Euratom, témoignèrent d’une capacité d’innovation renouvelée par Monnet et Schuman. Le projet du général de Gaulle d’une Europe européenne, indépendante et maitresse de son destin dans un monde en gestation permanente et d’une France capable de se hausser au niveau de son plus beau destin historique était une façon de penser l’Europe. La réconciliation franco-allemande en fut l’illustration la plus féconde.
L’offre politique pour l’unité de l’Europe, ce qui signifie en fait donner un sens, un idéal à l’action européenne dans la mondialisation est nulle. Elle est en panne, paralysée par des considérations d’intérêts politiciens nationaux ou régionaux.
Les débats sur une offre politique européenne de valeur à moyen terme devraient porter sur la mobilisation des énergies pour réussir la transition économique et écologique, sur la mobilisation en faveur des valeurs qui unissent les Européens : nos fameux droits de l’homme, universels et applicables partout quelles que soient la culture ou la religion, et ainsi éviter la honte de Lampedusa. Il faut faire que la relation économique Nord-Sud soit profitable aux deux parties et négocier des accords interrégionaux permettant à chaque grande région du monde de définir ses relations avec les autres de façon à protéger les intérêts économiques des populations. Quand les citoyens seront-ils interrogés sur la pertinence ou non d’une défense commune européenne et sur les conséquences financières qui en conditionnent la réalité ? Le sujet brûlant d’un fédéralisme communautaire européen applicable à une partie seulement des pays  membres de l’Union, puisque certains s’y refusent obstinément sera-t-il enfin proposé aux citoyens européens ? Une fois les débats terminés, une fois des solutions clairement élaborées, contradictoires peut-être, qui aura le courage de faire voter les citoyens pour trancher ?
Sur le court terme, penser l’Europe c’est, concrètement, pour les partis de gouvernements et le gouvernement français, agir auprès des gouvernements de l’Union pour engager des politiques de relance immédiates qui donneront du travail aux chômeurs, pour assurer la sécurité aux frontières de l’Union, pour engager la jeunesse sur les voies de l’innovation scientifique, pour poser des actes de solidarité avec les plus pauvres en Europe et hors d’Europe, parce que tous nous avons reconnu, par traité, voté à la majorité , que l’Union c’est la liberté, la dignité, la démocratie, la tolérance, l’égalité hommes-femmes et la solidarité.
La France peut se donner ces objectifs à court terme et à long terme, transformer en actes les principes des traités européens, inciter les peuples européens et leurs gouvernements à les défendre. Elle est en état de le faire, après qu’elle ait  tenté et réussi parfois l’impossible avec Briand en 1929, De Gaulle et Churchill en 1940, Schuman et Monnet en 1950, Spaak, Beyen, Pinay, Maurice Faure et Mollet en 1957 , sans aller jusqu’à Delors. Qui peut avancer un tel tableau en Europe ? 

Les populistes sont-ils finalement les seuls à proposer une vision globale de l'Europe, même si celle-ci est négative ?

Raphaël Liogier : Les partis populistes se nourrissent de cette angoisse du déclin, de cette blessure narcissique, pour exister, et même pour se placer au centre de l’échiquier. Ce sentiment de plus en plus persistant en Europe d’être encerclé par le monde permet au populiste d’avoir pour unique programme de défendre le peuple contre ces ennemis quels qu’ils soient. D’où le rejet systématique de la mondialisation que l’on trouve dans tous les sondages sur le continent européen, et que  l’on trouve seulement sur le continent européen dans de telles proportions !
Le populiste peut ainsi venir de la droite, ce sera ce que j’appelle un réactionnaire progressiste (par exemple Marine Le Pen), ou de la gauche et ce sera alors un progressiste réactionnaire (par exemple Manuel Valls). Marine Le Pen a en partie raison lorsqu’elle dit ne pas être d’extrême droite, puisqu’elle a abandonné la logique classique de l’extrême droite portée par son père, mêlant nationalisme d’un côté (défense des valeurs traditionnelles occidentales) et libéralisme économique de l’autre (version poujadiste, défense des petits commerçants pouvant aller jusqu’à prôner la suppression de l’impôt sur le revenu). Marine Le Pen se dit aujourd’hui clairement anti-libérale au contraire, anti-mondialisation, et même socialiste puisqu’elle n’ira plus, comme son père, critiquer le socialisme en tant que tel, mais dira que François Hollande n’est pas un vrai socialiste, qu’il ne s’occupe pas assez des pauvres, des laissés pour compte. Elle est clairement devenue réactionnaire progressiste pour rassembler à droite et à gauche et arriver ainsi au pouvoir. En cela elle ne fait que suivre les partis populistes européens qui sont arrivés au pouvoir par cette stratégie : au Danemark ou en Hollande par exemple pendant un temps. Dans d’autres pays leur scores augmentent d’année en année : en Autriche, en Suisse, et même au Royaume-Uni avec l’United Kindom Independance Party. 
Éric Verhaeghe : Les populistes-nationalistes sont les seuls - et c'est étrange, car ils le font à leur manière - à proposer deux mesures qui changent la donne en Europe.Première mesure: ralentir le mouvement de transfert des souverainetés nationales vers une entité technocratique que personne ne comprend ni ne contrôle. Deuxième mesure: entrer dans l'ère de l'approfondissement après une longue phase d'élargissement. Quand le FN propose de repenser l'actuel espace Schengen, ce n'est rien d'autre qu'un appel à l'approfondissement de la coopération européenne, avant d'en élargir le champ. 

Pour être totalement franc, vous dites que cette vision est négative parce que vous vous arrêtez à l'actualité immédiate. Mais, dans les années 1990, il existait encore une forte proportion d'europhiles, en France, qui défendaient le principe de l'approfondissement de l'Europe, avant tout élargissement. La pensée unique a eu, depuis lors, raison d'eux. Au-delà de ces péripéties décennales, regardons l'histoire de l'Europe sur 300 ou 400 ans - ce qui commence à être une unité de mesure et de comparaison raisonnable. L'Europe de 1913 était profondément nationaliste, mais elle était à de nombreux égards plus intense, plus ouverte, qu'elle ne l'est aujourd'hui. Regardez l'Europe de 1830 : les frontières existaient, mais le romantisme unifiait le continent. On peut tout à fait construire une Europe unie, mais avec des frontières.
Guy Hermet : Les partis traditionnels n’osent plus invoquer ou évoquer l’Europe, alors que ce fut la seule valeur réellement porteuse sur le marché politique. Et les populistes n’ont bien entendu qu’un message négatif, en attendant d’être au pouvoir ou d’en approcher. Ils risquent de changer alors.
Gérard Bossuat : Les populismes n’entreront jamais dans un vrai débat européen sauf à réduire l’Europe à une série d’entités s’entrechoquant les unes les autres. Même les dictatures profèrent un récit fondateur, expriment une vision globale. Les populismes ramènent le débat sur l’héritage unitaire et sur les projets à  des invectives contre l’Europe et contre l’ouverture d’esprit au nom de la protection des populations d’un pays ou d’une région. Ils ne veulent pas faire comprendre à ceux qui y adhèrent que nos Etats européens sont petits et sans efficacité mondiale. Cette constatation été faite depuis longtemps par le fondateurs de l’unité européenne. Leur philosophie de l’action a été ratifiée par les faits. Que pèse l’Europe désunie face à la Chine ? Les populismes disent, que ce soit en France, en Hongrie, en Grande-Bretagne, en Belgique et aux Pays-Bas, en Italie et même en Allemagne, que le salut de la communauté nationale est en péril face aux menaces du monde. Or la France et l’Europe unie peuvent encore rappeler les valeurs auxquelles nous pouvons nous accrocher solidement et poser des actes imaginatifs pour développer le monde ou pour le pacifier.
Les populismes sont incapables de penser la grandeur de la France hors d’un retour au passé. Ils ont un problème avec l’histoire, se référant à des situations obsolètes parce que passées. Ils sont incapables de faire comprendre la complexité du monde et réfléchir aux meilleures façons d’exercer une influence. Il faut croire que les valeurs auxquelles ils se référent, le sang et la race, la terre ancestrale, la conservation du passé sont incapables de préparer leurs adhérents à se confronter au monde. Quel que soit leur succès, il sera passager car la réalité du monde les écrasera un jour. 

D'une certaine manière, cette poussée populiste peut-elle être salutaire ? Va-t-elle obliger les partis traditionnels à repenser l'Europe ? 

Éric Verhaeghe : Je fais partie de ceux qui pensent que l'Europe ne peut pas se construire contre son histoire, ni contre ses peuples. Tout projet européen doit être enraciné, comme on dit. Cette vivacité existe, mais elle n'est pas prise en compte par les partis de gouvernement. Le creuset commun de l'Europe depuis 2500 ans, et même un peu plus, ce sont des valeurs indo-européennes où, pour aller vite, l'homme se trouve, comme disaient les druides, au centre du cercle. Le principe même du projet européen est d'avoir forgé un ordre idéal, mais aussi social et politique, où les valeurs individuelles et collectives sont conciliées de façon suffisamment harmonieuses pour que chacun se sentent libre tout en participant à une construction commune, garante de la prospérité. 

Est-ce que la Commission européenne répond à cette exigence ? Non, parce qu'elle a rompu le lien entre le citoyen et le pouvoir. Peut-elle reconstruire ce lien en l'état du projet européen ? Je ne crois pas. En réalité, la Commission ressemble beaucoup au gouvernement sous Charles Quint : un grand machin internationaliste, mariant la carpe et le lapin, beaucoup trop vaste pour avoir une quelconque légitimité aux yeux des citoyens.
Guy Hermet : Elle est salutaire. J’ignore si elle obligera les partis traditionnels à repenser l’Europe (ils comptent en définitive peu de vrais "Européens"), mais elle renouvellera le débat démocratique et l’intérêt des citoyens pour les affaires publiques et même les partis et les élections. Le jeu politique ne se pourra plus se limiter au "FN bashing" substitué au "PC bashing" de naguère.
Gérard Bossuat : Je voudrais croire qu’elle l’est ou le sera. La crise financière des Etats du Sud a été salutaire en ce sens que les Européens ont créé des mécanismes de stabilisation, imparfaits mais réellement efficaces. Elle est salutaire si au lieu d’entendre seulement les cris d’effroi face aux morts de la Méditerranée, les 28, sinon tous, du moins une partie d’entre eux, conduits par la France, créent et financent une garde-côte européenne et s’entendent avec les pays d’origine pour contrôler les migrations. Elle est salutaire si en décembre, une défense européenne est réveillée de sa torpeur par les 28, non pour faire la guerre mais pour l’empêcher, ce qui demandera des efforts financiers. Elle est salutaire si le gouvernement français, tout en avançant vers la solution des problèmes de société et économique ou financiers graves, décide de faire une politique européenne courageuse.
Les partis politiques traditionnels ne peuvent rester sans voix même si des intérêts électoraux municipaux sont en jeux. Nous attendons tous une grande politique  innovante pour l’Union. Seules la France et l’Allemagne peuvent s’y atteler. Dans ce cas tous les partis de gouvernement, même d’opposition, doivent s’entendre pour engager le débat et trouver des solutions pour sauver l’Europe…et la France.

Comment les partis traditionnels peuvent-ils (re)construire un discours audible sur l'Europe ?

Éric Verhaeghe : Il faut impérativement changer le statut de la BCE. Il n'est pas réaliste de maintenir un euro fort dans un monde concurrentiel où nous savons que certains facteurs, comme le coût du travail, ne sont pas élastiques. Ou alors on explique clairement que l'euro est juste un faire-valoir pour l'industrie allemande, et un livret d'épargne pour les retraités allemands. 

Au-delà de cette question circonstancielle, mais qui a son importance, il faut reprendre à zéro la question des valeurs européennes et de leur sens. En particulier, il faut savoir si l'Europe a vocation à devenir une fédération sous domination allemande, si le centre de gravité de la fédération doit être déplacé vers l'ouest, ou s'il faut limiter l'Europe à un système de gestion du droit de la concurrence, qui laisse les autres sujets en dehors de son champ d'action.
Raphaël Liogier : C’est à vrai dire très difficile. Il faudrait réussir, par exemple, à constituer une véritable fédération européenne, quels que soient les choix de société qui présideraient à celle-ci, plus libérale ou plus sociale… Mais pour cela, il faudrait arrêter de rester figé dans la nostalgie des grandeurs nationales européennes de jadis, que ce soient celles de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la Hollande, etc. Il faudrait sortir de cette nouvelle obsession des identités nationales, au profit de la construction d’une véritable identité continentale.  

Vaste programme !

Vaste programme !


Elle est vraiment terrible, cette propension de nos ministres successifs de l'Éducation nationale à vouloir faire à tout prix… école. Pas un qui ne conçoive son passage rue de Grenelle sans laisser sa marque et, accessoirement, son nom. L'ennui est que les ministres passent et que leurs réformes trépassent. Ce ne serait pas grave si les victimes de cette « réformite » aiguë n'étaient pas les enfants transformés en cobayes permanents. Impossible d'évaluer les bienfaits d'une réforme sans la laisser s'installer dans la durée et sans donner aux enseignants le temps de se l'approprier. En fait, la vraie réforme dont aurait besoin notre système scolaire serait celle de la stabilité.
Cela n'empêche pas Vincent Peillon de nourrir de grandes ambitions à travers son projet de refondation de l'école. Nullement échaudé par les difficultés (niées) de la mise en 'uvre des rythmes scolaires, il a installé hier le Conseil supérieur des programmes chargé de revoir le contenu des enseignements, de la maternelle au collège. Ce sera en l'occurrence la troisième refonte en dix ans des programmes du primaire.
Comme à chaque fois, ce ne sont pas les bonnes intentions affichées qui manquent. On veut croire au souci de transparence et d'indépendance proclamé. Il est pourtant à craindre que le large processus de concertation engagé auprès des enseignants n'aboutisse à un inextricable fatras de propositions dictées par les intérêts corporatistes. En ayant dénoncé la réforme « vieille école » de Xavier Darcos en 2008, Vincent Peillon risque de rouvrir une regrettable guerre idéologique.
Certes, l'école doit faire face aujourd'hui à l'hétérogénéité sociale accrue de la population scolaire. Il faut y répondre sans que la lutte contre les inégalités n'aboutisse à un nivellement par le bas et une ignorance généralisée. Vincent Peillon réalisera-t-il la synthèse entre « républicains », adeptes des apprentissages fondamentaux dans une école « lieu de savoir », et les « pédagogistes », partisans de la découverte des compétences dans une école « lieu de vie ». Cela constitue, en soi, un vaste programme.

Un calcul risqué

Un calcul risqué

Le Canard enchaîné d’hier nous révèle, en haut de sa page 2, comment le pouvoir socialiste mise aujourd’hui sur un deuxième tour de la présidentielle de 2017 Hollande/le Pen pour sauver la réélection du président. Celle-ci semble en effet inévitable dans un tel cas de figure : malgré ses progrès dans les sondages et les élections partielles, le fn se heurte à un plafond d’environ 70% des Français qui excluent radicalement de voter un jour pour lui. Cette stratégie électorale expliquerait beaucoup de choses : des choix politiques qui plaisent aux militants socialistes mais aggravent l’exaspération de nombreux français, sur la répression de la délinquance, l’immigration, la fiscalité et les poussent vers un vote protestataire ; une formidable promotion médiatique du fn dans les médias et la presse socialiste (voir la couverture hallucinante du Nouvel Obs de cette semaine). Il faut bien convenir que ce calcul, habile, mitterrandien, a de bonnes chances de réussir. Dans quelles conditions peut-il être mis en échec?
-          Cesser ou taire de toute urgence les querelles de personnes entre les républicains modérés (« la droite ») qui conduisent à l’abîme. En 2016-2017, à l’approche des élections présidentielles, il sera grand temps de s’entendre soit sur le candidat le mieux placé dans les intentions de votes, soit sur un système de sélection de type « primaires », et d’ éviter ainsi le risque d’un déchirement suicidaire.
-           La mise en place, dans les deux ans qui viennent, d’un programme solide, précis, ambitieux, audacieux, et novateur, sur les sujets de l’Europe et de Schengen, les frontières, la sécurité, l’immigration, l’emploi, l’entreprise, la réindustrialisation, l’énergie (gaz de schiste), la défense, la fiscalité, susceptible de déclencher une dynamique favorable, en réaction à la situation dramatique du pays.
-          La lucidité et la clarté dans la politique d’opposition, en dénonçant le stratagème en cours: les électeurs ont absolument horreur de tout ce qui leur apparaît comme un double-jeu, une manœuvre électoraliste et en tirent les conséquences dans l’isoloir (exemple d’avril 1997).
-         Se garder du piège de la provocation, de l’ostracisme, et de l’agressivité envers les électeurs potentiels  du fn,  dont beaucoup n’ont rien d’extrémistes mais sont motivés par l’écœurement et la révolte, parfois des situations personnelles épouvantables, tout en répondant par des propositions réalistes à leurs inquiétudes ou leurs souffrances.
Le calcul initial pourrait alors, dans ces conditions, se retourner contre le pouvoir socialiste, placé dans la position de "l’arroseur arrosé". Dans un scénario à la Lionel Jospin 2002, nous aurions alors un PS absent du second tour. Une telle sanction ne serait que justice aux yeux de la France et des Français et ouvrirait sans doute la voie à une recomposition générale de la vie politique française.