Au bout de vingt minutes, une phrase déclenche les premiers applaudissements : "Je souhaite une nouvelle élection, mais je propose que les deux protagonistes ne se représentent pas !" Arnaud Robinet, jeune élu UMP de la Marne, n'a pas besoin de citer
de noms pour réveiller la colère de son auditoire. De ces deux-là, de
Jean-François Copé et de François Fillon, les militants ne veulent plus entendre parler.
Ici, à Reims, ils se sont majoritairement prononcés en faveur de
l'ancien premier ministre lors du scrutin du 18 novembre pour la
présidence de l'UMP, à l'instar de leur député âgé de 37 ans, qui a
rejoint le nouveau groupe parlementaire filloniste.
SOMBRE LISTE
Ce soir, près de 80 personnes sont assises sur les chaises en plastique alignées devant l'estrade, entre quatre murs jaune et vert un peu défraîchis, sous la lumière blafarde des néons encastrés dans le haut plafond. On s'appelle par son prénom, on se tutoie, on se fait la bise. Mais on ne sourit pas. En fond de salle, un militant (qui souhaite rester anonyme) se lève et déroule au micro une sombre liste : "On a perdu les grandes villes, le Sénat, les régions, l'Assemblée, la présidentielle, les départements et aujourd'hui, on a aussi perdu la face ! Ils ne sont plus crédibles, ils ne sont plus légitimes."
MAUVAIS VAUDEVILLE
"Ils", ce sont MM. Copé et Fillon, deux acteurs d'un mauvais vaudeville qui ne fait plus rire personne. A l'annonce du dernier rebondissement de la journée – "ils" n'ont (toujours) pas trouvé d'accord –, les répliques fusent : "Ah, les guignols !" ; "On peut pas les virer du parti, eux ? !"
"Très très déçue", Françoise, 61 ans dont vingt-cinq de militantisme, en a presque les yeux rougis. "Il n'y a pas de dignité, ils ne nous respectent pas. Pour moi, c'est dehors !", dit-elle en secouant la tête. Préférant elle aussi rester anonyme, elle lâche : "Ils sont au service du parti, pas de leur ego. Ils sont ridicules, ils ont tout gâché..."
"Pour moi, ils sont cuits !", approuve René Malet, militaire de carrière à la retraite. "C'est pire qu'une crise, il y a déjà trois morts : Copé, Fillon et Juppé. Je ne reconnais pas mes valeurs !", martèle cet ancien secrétaire départemental de l'UMP, tendance gaulliste, qui "allait coller des affiches avec son père en 1958".
"Je partage votre colère", répond Arnaud Robinet. Débarrassé du costume-cravate de mise dans l'Hémicycle, le député arbore un look décontracté, jean et gros pull sur un polo à col ouvert. A demi assis sur un coin de table, la jambe pendante, il écoute, acquiesce, tempère. Son collègue de la troisième circonscription, Philippe Armand Martin, venu en renfort, se charge de chauffer la salle. Le député de 63 ans, lui aussi pro-Fillon, tonne : "Il faut qu'ils partent tous les deux ! L'élection doit avoir lieu dans deux mois ! Il faut supprimer les procurations !"
"DISQUALIFIÉS"
Aux questions techniques, M. Robinet s'efforce de répondre avec pédagogie. Est-il vrai que la commission interne chargée de valider les résultats, la Cocoe, était partisane ? Et qu'est-ce que c'est que cette commission de recours ? Pourquoi a-t-elle été saisie, et par qui ? Au deuxième rang, un vieux monsieur cherche à comprendre : il a en main les statuts de l'UMP, et lit au micro les conditions de saisine de ladite commission.
Peu à peu, la parole se libère. Les militants ne lèvent plus la main, ils s'interpellent, ils refont le match, remontent à la présidentielle, blâment Nicolas Sarkozy d'avoir "laissé le parti sans leader naturel". Le ton monte, des copéistes se dé
Après tout, "les patrons, c'est vous !", lance un homme aux deux députés. Gérard Regnier, "entré dans les mouvements gaullistes en 1960", accuse : "Nous sommes en droit d'attendre de vous, députés, que vous passiez un coup de balai ! Il faut vous réunir dans une salle et désigner un président intérimaire !"
"COMME LES SOCIALISTES"
M. Robinet évacue la question en demandant aux militants s'ils veulent "une nouvelle élection bientôt". L'un d'eux voudrait signer une pétition le soir même. "Et si on faisait payer un euro, comme les socialistes ?", propose un autre, avant que René Malet, l'ancien militaire, ne relance : "Il est temps de se demander s'il ne faut pas aller à Paris leur botter le train !"
La réunion a duré une heure et demie. Du fond de la salle, l'équipe de M. Robinet lui fait des signes. Il est temps d'arrêter, "sinon, on en aurait pour encore des heures...", glisse l'un d'eux.
Au dernier rang, Andrée Roussia, cheveux bien peignés et maquillage pimpant, écoute silencieusement depuis le début. En fin de rencontre, cette Reimoise au look BCBG prend la parole ; sa voix est tremblante mais forte et plonge la salle dans un silence ému, presque inconfortable. Son discours est confus, mais il suffit d'une phrase pour le comprendre : "Moi, j'ai 72 ans, et c'est la première fois que je prenais une carte d'un parti parce que j'y croyais." Elle n'y croit plus.
masquent, mais assurent de toute façon que les deux candidats sont "disqualifiés".