Entrer en guerre est une chose. En sortir, une autre. La réunion de Londres consacrée à l’avenir de la Libye a surtout laissé entendre que l’issue était aussi lointaine qu’incertaine. Car la coalition internationale est devant une impasse que les grands stratèges ne semblent pas avoir vue. Et choisir une autre option pour contourner l’obstacle serait aller au-delà de la résolution 1973 de l’ONU, avec le tollé que l’on imagine. Déjà, les États arabes, alliés si précieux sur un plan psychologique, semblent fléchir depuis que l’OTAN a pris les commandes : seuls sept pays sur les 24 de la Ligue arabe étaient représentés à la conférence.
Pourtant, la maîtrise du ciel libyen est acquise. Les troupes de Kadhafi sont stoppées en rase campagne par l’aviation de la coalition et, aussitôt, les forces « rebelles » s’emparent du terrain. Mais, faiblement armées, elles se débandent dès que l’artillerie « loyaliste », à l’abri dans les villes et villages - donc impossible à détruire sans énormes « dégâts collatéraux » -, tonne. Aujourd’hui, la situation est à peu près la même qu’il y a deux semaines : les volontaires de Benghazi restent bloqués devant Syrte et sont sur le point de perdre leurs récentes conquêtes.
Alors, que faire ? L’engagement au sol est totalement exclu à Washington où Barack Obama ne veut pas répéter les erreurs commises en Irak… et doit être soulagé de voir les Européens, essentiellement les Français et les Britanniques, assumer la responsabilité politique des opérations. Théoriquement aussi, l’ONU interdit cette escalade que représenterait un débarquement de soldats occidentaux, bien que la résolution soit ambiguë puisque tout peut être mis en œuvre pour protéger les populations civiles. N’en déplaise à Alain Juppé, armer l’insurrection relève de la même difficulté car il faudrait déployer des instructeurs sur place. De toute façon, ce ne serait envisageable que si la communauté internationale reconnaissait le « Conseil national de transition ». Jusqu’à présent, seuls la France et le Qatar ont franchi ce pas.
Le flou domine et dominera tant que Mouammar Kadhafi s’accrochera à Tripoli. Lui offrir un exil comme le suggère la diplomatie italienne paraît illusoire : le « guide », adepte de la terre brûlée, ne partira pas volontairement. Ses affidés trop compromis non plus. Négocier un vrai cessez-le-feu avec couloirs humanitaires, selon une initiative turque, relève aussi de l’utopie. Rome et Ankara, pour des raisons diverses, cherchent surtout à se démarquer du volontarisme franco-britannique… tandis que Berlin fait profil bas. Et il ne faut pas négliger d’autres facteurs en Libye même où des rivalités ancestrales opposent la Tripolitaine et la Cyrénaïque. Une partition de fait n’est pas à exclure, avec à l’ouest le drapeau vert de la « Jamahiriya » et à l’est la bannière de l’ancienne monarchie du roi Idris. Sous un régime plus démocratique à Benghazi, peut-être pro-occidental… et garantissant l’accès au pétrole.
Mais une partition mènerait à un désastre politique face aux opinions arabes. Toute l’opération conduite pour secourir le peuple libyen se résumerait vite à une guerre pour le pétrole…