Bernard Kouchner : « Je ne suis pas encore viré »
Les rumeurs le donnent partant lors du prochain remaniement gouvernemental prévu en octobre. Certains parient sur son remplacement par le maire de Bordeaux, Alain Juppé, déjà passé par le Quai d’Orsay dans le gouvernement Balladur de 1993 à 1995. En délicatesse avec Jean-David Lévitte, le Monsieur Diplomatie de l’Elysée, Bernard Kouchner se veut détendu : « Cela fait trois ans et demi qu’on m’annonce sur le départ et je suis encore là.
Je ne vais pas me rouler par terre de désespoir en lisant ceci ou cela dans la presse. Je ne suis pas propriétaire de mon poste, ce n’est pas un siège qui m’appartient. Je suis à la disposition du président de la République et du Premier ministre. Je note cependant que la politique étrangère de la France est écoutée, que beaucoup de réformes ont été entreprises, beaucoup de travail accompli. De nombreux pays nous consulte sans arrêt. Parfois, je me dis que ça me ferait du bien de souffler, c’est un poste passionnant mais éprouvant. Quoi qu’il en soit, si l’on fait la moyenne de la longévité de mes prédécesseurs au Quai d’Orsay, je me situe déjà dans une fourchette haute. Cela dit, je ne suis pas encore viré et, si je reste, j’en serai ravi, on verra bien (rires). »
BERNARD KOUCHNER
samedi 31 juillet 2010
Les pluies insuffisantes suscitent de mauvaises récoltes. Les mauvaises récoltes ne remplissent pas assez les greniers. Et les greniers vidés trop vite et trop longtemps avant la récolte suivante provoquent la disette... Ce cycle brutal s'est hélas reproduit au Mali, au Tchad, en Mauritanie et tout particulièrement au Niger. Des centaines de milliers de familles souffrent de malnutrition.
Si l'on en parle en ce moment, c'est parce que notre été (qui à Bamako correspond à la saison des pluies) coïncide avec la période de soudure entre deux récoltes de mil ou de sorgho, deux céréales qui, là bas, sont au cœur de l'alimentation rurale. Quand elles manquent ou sont vendues trop cher, le Sahel est à la peine.
La crise ne se résume pas à de mauvaises conditions climatiques. Il peut y avoir crise alimentaire alors que des stocks existent. La spéculation orchestrée par les usuriers, les carences dans les réseaux de distribution, la gestion calamiteuse des réserves sont aussi ravageuses qu'une mauvaise saison des pluies.
Les États jouent insuffisamment leur rôle régulateur, ce qui accélère l'exode rural, renforce le poids des importations et accroît les dépendances.
Le cynisme serait de se rassurer en se disant que l'on n'en est heureusement pas au niveau catastrophique de la grande sécheresse des années 1970-75. C'est exact, mais cette comparaison ne doit pas mener à l'inaction. La malnutrition est moins spectaculaire, moins tragique que la famine, mais ses conséquences à long terme ne sont pas moindres. Un bébé mal nourri sera entravé dans sa croissance physique et mentale, avec un risque d'altération de sa scolarité et donc de sa capacité à s'insérer efficacement dans le monde du travail. Les malnutritions à grande échelle d'aujourd'hui peuvent être les crises sociales ou les carences de demain.
Cette crise est par essence une crise de la pauvreté. Dépourvues de revenus, privées des mécanismes compensateurs semblables à ceux que nous connaissons en France grâce aux allocations sociales, les familles modestes du Sahel sont en première ligne de la précarité mondiale. L'amortisseur politique n'est pas une spécialité africaine. Raison de plus pour que la solidarité se mette en marche. La solidarité nord-sud, bien entendu, mais également, là où elle est possible, la solidarité sud-sud. Car à côté de la très grande pauvreté apparaît une Afrique émergente qui ne doit pas s'exonérer du devoir d'entraide.
Dominique Jung
La lucrative vie posthume des stars Le business des chanteurs disparus se porte bien. Gérer leurs droits est une affaire de pros.
Faire du neuf avec du vieux. Le Billboard américain a annoncé en novembre que son hit-parade intégrerait désormais tous les disques, quelle que soit leur année de sortie. Motif ? «Les événements de 2009.» En clair, la mort de Michael Jackson le 25 juin. En France, les ventes du King of Pop ont représenté à elles seules 7% du souffreteux marché du CD au troisième trimestre.
«Des chiffres aussi élevés sont liés à de fortes ventes en grandes surfaces alimentaires, qui ne commercialisent presque plus de musique en temps normal», précise André Nicolas, responsable de l'Observatoire de la musique.
L'autre événement de 2009, l'opération de remastérisation des Beatles, en septembre, a permis d'écouler sur trois mois en France 200 000 albums et 25 000 coffrets, un chiffre d'affaires supérieur à 8 millions d'euros. Sur la décennie, leur compilation One a été l'album le plus vendu aux Etats-Unis. Un jackpot pour EMI et... les héritiers Jackson, qui détiennent avec Sony les droits d'édition des Fab Four.
En 2009, Michael Jackson et John Lennon figuraient d'ailleurs dans le classement Forbes des célébrités disparues générant le plus de revenus avec respectivement 90 et 15 millions de dollars, aux côtés d'Elvis (55 millions) et Jimi Hendrix (8 millions). Le florissant business des chanteurs morts s'est diversifié, des box Beatles sans inédits ni live aux produits pour des fans absolus, comme les coffrets Alain Bashung (27 CD) ou Miles Davis (70 CD). Le dernier cri des «Pléiades» musicales est la numérisation : la start-up française Record Memory a mis en vente 30 000 intégrales Beatles dans une grosse clé USB en forme de pomme. Un «objet de collection», vendu 240 euros, plus cher que le coffret classique. Pour les ayants droit, l'héritage ne se limite pas aux pourcentages sur ces sorties. «Les albums ont longtemps été la source de revenus principale d'icônes comme Lennon ou Jackson, mais on constate une montée des revenus liés à l'interprétation», décrypte le consultant américain Barry Massarsky. Même si un allongement est à l'étude, les albums perdent leur copyright cinquante ans après leur sortie en Europe. Alors que les droits d'auteur et d'édition des chansons durent plus longtemps. Résultat : une floraison d'initiatives, de la scène (spectacle Joe Dassin fin 2010) aux lieux de culte (projets de mémorial Jackson ou d'un «Clocloland» dans l'Essonne), en passant par le grand écran, qui stimule les ventes : après Ray, La Môme ou Gainsbourg (vie héroïque), sorti le 20 janvier, on annonce des films sur Sinatra, Montand et la Callas. Sans oublier les pubs et le merchandising. «La multiplication des exploitations ne doit pas salir l'image ou abîmer le répertoire, avertit néanmoins le producteur Thierry Saïd, qui gère la carrière posthume de Joe Dassin. On a refusé de faire des housses de couettes ou des CD offerts avec des surgelés.» Le mieux est encore de posséder les droits d'édition. Fin novembre, Jeune Musique, qui assure la coédition d'une trentaine de titres de Claude François, a été rachetée par iWay, un holding associant le label Because au patron de Free, Xavier Niel, qui a pris 15% du capital. A la clé, une pépite : les droits de Comme d'habitude, chanson française la plus exportée grâce à l'adaptation américaine, My Way. «Ce genre de catalogue est un evergreen : il génère le même niveau de revenus chaque année et peut connaître de bonnes surprises», analyse Fabrice Nataf, le PDG d'EMI Publishing, qui détient un autre lot de tubes de Cloclo. Alors que le business Claude François génère une dizaine de millions d'euros les grandes années, Jeune Musique a réalisé sur son dernier exercice un chiffre d'affaires de 570 000 euros.
Ses nouveaux propriétaires sont confiants : un film sur le chanteur est en projet ainsi que des reprises de haut vol, notamment par Prince. Une stratégie sécurisée à long terme : Comme d'habitude attendra soixante-dix ans après le décès de son cocompositeur Jacques Revaux, encore en vie, pour tomber dans le domaine public.
(Total des ventes en France à fin 2008, en millions d'albums et singles) SOURCE : INFODISC
Claude François
20,8 millions
Des quatre majors, seul EMI n'a pas l'auteur d'Alexandrie, Alexandra à son catalogue.
Joe Dassin
15,4 millions
Disques, spectacles, émissions de télé sont prévus pour 2010 à l'occasion des 30 ans de sa disparition
Dalida
13 millions
La chanteuse a connu son dernier pic de vente en 2007, année des 20 ans de sa mort.
Tino Rossi
10 millions
Tombé dans le domaine public, l'enregistrement de Petit Papa Noël est reproduit sur des dizaines de compilations.
Mike Brant
9,9 millions
Comme les quatre artistes qui le précèdent, l'interprète de Laisse-moi t'aimer a vendu plus de singles que d'albums.
Pierre Bachelet
9,2 millions
Ses héritiers partagent les droits de son plus grand tube, Les Corons, avec le parolier Jean-Pierre Lang.
Georges Brassens
8,7 millions
Universal détient les masters, mais plusieurs éditeurs commercialisent les albums libres de droits.
Jacques Brel
8,4 millions
Barclay (Universal) a vendu 56 000 intégrales en France depuis le 25e anniversaire de sa mort, en 2003.
Daniel Balavoine
6,5 millions
Son dernier album, Sauver l'amour, sorti trois mois avant son décès, en 1986, reste le plus vendu à ce jour.
Serge Gainsbourg
5,9 millions
Le film Gainsbourg (vie héroïque), de Joann Sfar, pourrait stimuler ses chiffres de vente.
Jean-Marie Pottier
Débat sur les retraites, polémique autour du care, hésitations sur la prise en charge de la dépendance du grand âge : le vieillissement se trouve à plusieurs titres au centre de l'actualité politique et sociale. Les chiffres sont connus : les plus de 75 ans représentaient 3,8 % de la population française en 1950, contre 8,8 % en 2010 et probablement 10,5 % en 2025. L'espérance de vie à la naissance était de 64 ans pour les hommes (69 ans pour les femmes) en 1945, elle est, pour une fille née en 2009, de 84,5 ans (contre 77,8 ans pour un garçon). L'espérance de vie pour les personnes de 60 ans est de 22 ans pour les hommes et de 27 ans pour les femmes1. Ce vieillissement s'effectue aussi pour une large part en meilleure santé, puisque la durée de vie sans difficulté majeure de santé s'allonge elle aussi : en 2003, l'espérance de vie (à 65 ans) sans incapacité représente 79 % de l'espérance de vie totale pour les femmes et de 75 % pour les hommes, chiffre qui augmente plus vite que l'espérance de vie elle-même (en 1981, elle ne représentait que 63 % pour les femmes et 53 % pour les hommes2). C'est donc bien du temps libre en bonne santé qui est gagné collectivement.
Cette bonne nouvelle décline ses effets dans plusieurs dimensions : elle signifie un changement du rapport de chacun à son propre parcours de vie, elle induit une transformation des relations entre les générations, elle impose une adaptation de nos mécanismes de solidarité.
Les injustices de la réforme des retraites
Si les chiffres aident à objectiver un mouvement continu et insensible, ils sont aussi trompeurs. Ils peuvent en effet donner l'impression que l'approche par les âges permet de saisir au mieux nos parcours de vie. Or, le débat sur les retraites l'a montré une fois de plus, se focaliser sur les âges, c'est retenir un critère largement insuffisant pour déterminer la situation de vie d'une personne. En faisant du paramètre de la limite d'âge pour partir à la retraite (qui devrait progressivement passer de 60 à 62 ans en 2012 selon les souhaits du gouvernement) l'enjeu d'un affrontement avec les syndicats et l'opposition, le gouvernement (qui s'est bien gardé de toucher aux régimes spéciaux) a escamoté les sujets les plus importants pour l'équité de la réforme.
En effet, concentrer la réforme sur le changement de la limite d'âge, c'est tout d'abord esquiver la question du nombre d'annuités de cotisation. De nombreuses situations inéquitables en résultent (d'où l'accent mis par la Cfdt par exemple sur la question de la pénibilité). Tout d'abord, certains salariés, qui ont commencé jeunes, auront déjà cotisé tous les trimestres qu'ils doivent (164 trimestres, c'est-à-dire 41 annuités en 2012 puis 41,5 annuités en 2020) avant de parvenir à l'âge légal auquel ils pourront demander à partir en retraite. Ils surcotisent donc, alors même qu'ils ont sans doute occupé, ayant commencé jeunes, c'est-à-dire sans faire d'études longues, un poste d'ouvrier ou d'employé, peu valorisé et mal payé3. Autre cas de figure, une majorité, par lassitude ou par manque de perspective, choisira de partir dès 62 ans, sans avoir cotisé suffisamment, en subissant une décote proportionnelle au nombre d'annuités manquantes. D'autres enfin seront obligés de travailler jusqu'à 67 ans s'ils veulent éviter une décote tout en restant pénalisés par leur carrière incomplète qui se traduit, quoi qu'il arrive, par une retraite partielle. Ce sera le cas surtout des personnes dont la carrière professionnelle aura été discontinue.
Or, pour les jeunes actifs, les carrières sont de plus en plus discontinues : la carrière stable chez un employeur unique n'est plus la norme. Les situations de salariés ayant connu des hauts et des bas, des périodes d'inactivités forcées, des parcours instables, morcelés et précaires (avec des temps partiels subis, de l'intérim...) se multiplient. Elles touchent bien sûr avant tout les personnes faiblement qualifiées et les femmes qui occupent des emplois à temps partiel et connaissent des parcours plus hachés que les hommes en raison des congés maternité (même si, dans le projet actuel, l'indemnité journalière de maternité sera intégrée dans le salaire de référence pour le calcul de la retraite) et de la garde des enfants. Caler tous les parcours sur un même âge, c'est feindre qu'on se situe encore dans la continuité d'une économie d'après-guerre dans laquelle la montée du salariat avait permis de normaliser une grande part des parcours professionnels. Pour les générations montantes, la norme de parcours s'est défaite, les trajectoires sont plus personnelles et l'effet d'inégalité lié à un mauvais calibrage des droits est plus fort.
Mais surtout, « travailler plus longtemps » n'est qu'un slogan sans contenu dans la situation actuelle du marché du travail. Celui-ci, en effet, est particulièrement défavorable aux seniors en France, le consensus implicite choisi depuis le lancement des préretraites depuis le milieu des années 1970 étant qu'il valait mieux faire sortir du marché du travail les plus âgés pour favoriser l'entrée des plus jeunes. Le résultat, paradoxal, en est que la France parvient à cumuler l'un des plus faibles taux d'activité des 15-24 ans (32,2 % en 2008) en Europe (la moyenne européenne est cinq points au-dessus) avec un taux d'activité des 55-64 ans (38,3 % en 2008) inférieur à la moyenne européenne (celle-ci étant de 45,6 %4) ! On exclut les salariés aux deux bouts de l'échelle des âges. Les salariés quittent aujourd'hui en moyenne le marché du travail à 58,5 ans, passent trois années de galère dans des dispositifs de transition (chômage avec dispense de recherche d'emploi, handicap, préretraites, maladies de longue durée...) et ne commencent à toucher leur retraite qu'à partir de 61,6 ans. À quoi rime, dès lors, de demander aux salariés de travailler deux ans de plus, entre 60 et 62 ans, alors même qu'il est si difficile pour les salariés de se maintenir sur le marché du travail au-delà de 60 ans ? Et que dire de la limite de 67 ans, qui apparaît bien théorique, puisque les efforts consentis pour encourager les entreprises à maintenir les seniors dans l'emploi ne sont pas à la hauteur ? En réalité, on se prépare à ce qu'un nombre croissant de salariés prenne leur retraite sans bénéficier d'un taux plein parce que leur parcours aura été discontinu, qu'ils seront découragés par le marché du travail, considérés comme trop chers par leurs employeurs ou insuffisamment performants5.
Ce découragement est amplifié par les incertitudes entourant la solidité de notre système de retraites : comme les précédentes, la réforme actuelle est surtout consacrée à assurer le financement à court terme et le prochain rendez-vous est déjà fixé à 2018 car, dans les projections liées à la réforme, l'équilibre n'est garanti que jusqu'en 2020 (dans le meilleur des cas, puisque le gouvernement établit ses projections à partir d'hypothèses macroéconomiques pour 2014-2020 pour le moins optimistes : taux de chômage à 6,7 %, taux de croissance à 2,2 %). Quelles règles seront applicables au-delà de 2018 ? L'angoisse entretenue par le manque de consensus sur notre système des retraites amplifie la fuite anticipée du marché du travail, les salariés saisissant toutes les occasions de départ précoce, de peur d'avoir à payer plus cher les ajustements qui restent toujours à venir... On continue ainsi à réduire la participation des seniors au marché du travail, tout en affichant l'objectif inverse ! Mais il induit aussi un scepticisme croissant chez les jeunes salariés sur les avantages d'un système par répartition et fait progresser la représentation favorable à la prévoyance individuelle.
Bref, une autre logique aurait pu prévaloir, faisant des annuités la seule référence, indépendamment de tout critère d'âge, ce qui aurait évité la trompeuse simplicité d'un âge couperet unique. Prendre en compte les parcours, ce serait aussi avoir une meilleure garantie des droits pour des salariés qui, ayant changé plusieurs fois de travail, relèvent de plusieurs régimes différents (on les appelle les « polypensionnés ») dont le nombre ne saurait manquer d'augmenter dans une économie qui célèbre la mobilité. Cela signifierait aussi se redonner une vue d'ensemble du salariat et des parcours professionnels, au lieu de traiter séparément la question de l'entrée difficile dans le monde du travail pour les jeunes, les inégalités de parcours entre homme et femme, l'aménagement des fins de carrières... car tout cela ne forme que des points de cristallisation d'une même question générale qui est la dislocation des normes du travail, l'individualisation des parcours sociaux et la déstabilisation croissante d'un système de protections pensé pour des ensembles homogènes et stables. À l'inverse, toutes les propositions de reconstruction d'un projet de solidarité durable soulignent l'importance de l'articulation, à tous les temps de la vie, du temps de formation, du temps de travail et du temps de repos6.
L'ingratitude des aînés ?
Cet exemple des retraites montre que nous n'avons pas encore pris la mesure des transformations, pour l'ensemble du cycle de vie, de l'allongement de la durée de vie : il ne s'agit pas seulement de faire glisser des trimestres, mais prendre en compte la manière dont notre rapport aux temps de la vie se transforme, dès lors que l'existence se prolonge au-delà de quelques années de retraite, dans un temps qui ne doit pas cependant apparaître vide, dénué de sens social et de relations.
Une autre limite de la focalisation sur l'âge est de réduire l'équilibre financier des retraites à un ratio entre actifs et inactifs (il était de 2,2 actifs pour un inactif en 2005, il pourrait être de 1,4 en 20507). Le sujet est beaucoup plus large et touche aux solidarités entre les générations. L'âge donne en effet une position abstraite de l'individu, dont la situation sociale dépend aussi de son appartenance à une génération. Celle-ci peut être plus ou moins favorisée en fonction des opportunités qui étaient ouvertes au moment où elle est née, puis entrée dans la vie active : les classes d'âge qui entrent sur le marché du travail dans une période déprimée en ressentent les conséquences sur l'ensemble de leur parcours. À l'inverse, ceux qui sont portés par la conjoncture bénéficient de cet élan favorable de manière durable8. Mais cet effet ne prend véritablement sens pour les générations que les unes vis-à-vis des autres.
Il faut donc s'interroger sur les relations entre les générations d'actifs aujourd'hui et celle des inactifs : quelles sont les solidarités qui s'exercent de l'une à l'autre ? Il faut distinguer celles qui relèvent de mécanismes publics de solidarité (indemnisation du chômage, santé, retraites...) et celles qui relèvent de transferts privés intrafamiliaux. Les transferts publics sont ascendants, c'est-à-dire qu'ils passent des jeunes et des actifs aux retraités et au grand âge. Ils sont en volume beaucoup plus importants que les transferts privés qui sont descendants, c'est-à-dire qu'ils vont des parents et grands-parents vers les enfants et petits-enfants. Les tranferts publics ascendants sont en outre en partie redistributifs tandis que les transferts privés descendants prolongent les inégalités familiales9. En un mot, les mécanismes de solidarité sont aujourd'hui beaucoup plus favorables aux vieux qu'aux jeunes. Cela est largement dû à notre incapacité collective à faire évoluer nos systèmes de solidarité en fonction des nouvelles difficultés sociales apparues pour les nouvelles générations : « La jeunesse est la variable d'ajustement des réformes ratées de la droite et la gauche10. » L'actuelle réforme des retraites le montre bien puisqu'elle ne garantit pas le système à long terme et qu'elle dilapide les ressources du fonds de réserve des retraites qui devait garantir la solidarité intergénérationnelle. Une réforme équitable aurait pu mettre à contribution les retraités dans le sauvetage des retraites, en alignant par exemple la fiscalité des retraités sur celle des actifs11. Un nouvel arbitrage défavorable à mettre au crédit de la « génération dorée » des trente glorieuses ? On peut en effet faire une lecture de ces choix collectifs en termes de rapports de force, montrant la facilité avec laquelle la génération la plus nombreuse, celle du baby-boom, peut imposer ses choix aux autres :
À elle, la croissance, les contrats à durée indéterminée, l'optimisme politique, la révolution des mœurs et, désormais, les vieux jours à l'abri du besoin. Aux générations suivantes, le chômage, la précarité, la dette publique et, pour tout horizon, une pension écornée12.
Ce mouvement n'a d'ailleurs rien de proprement français et concerne tous les pays qui ont vécu de manière proche la croissance d'après-guerre :
La « génération 1 000 € » en Espagne et en Italie, ou encore la « génération 700 € » en Grèce racontent la même histoire. D'un bout à l'autre du monde développé, du Japon aux États-Unis en passant par le Royaume-Uni, des voix se font entendre pour attirer l'attention sur de nouvelles « générations sacrifiées » ou pour dénoncer l'emprise croissante du grey power (le « pouvoir grisonnant »13).
Mais cette approche, si elle a le mérite de pointer des inégalités qui restent souvent invisibles, reste incomplète car les solidarités entre générations ne sont pas synchrones. On ne peut en effet simplement comptabiliser les transferts entre actifs et inactifs pour tenter d'établir une équation juste.
L'échange entre générations se fait en réalité toujours à trois puisque chaque génération est prise entre celle qui précède (les ascendants) et celle qui suit (les descendants). Pour raisonner en termes de transferts justes, il faudrait dès lors pouvoir faire le bilan de tout ce qu'une génération reçoit des deux générations qui l'entourent et de tout ce qu'elle leur transmet (on peut recevoir aussi bien de ses parents que de ses enfants, la solidarité familiale s'exerçant dans les deux sens). L'équité complexe qui se met en place dans ce jeu à trois consiste non pas à donner autant à une génération qu'on a reçu d'elle mais plutôt à donner à la génération suivante ce qu'on a reçu de la précédente. Si, selon le proverbe, on ne fait qu'emprunter le monde à ses enfants, il n'en reste pas moins qu'on l'a aussi hérité de ses parents. C'est en transmettant quelque chose à ses enfants qu'on rend ce qu'on a reçu de ses parents. La solidarité intergénérationnelle ne fonctionne donc pas selon la logique d'un contrat à deux mais d'un échange à trois où la dette qu'on a contractée vis-à-vis de ses ascendants (qui ont œuvré directement à l'éducation, au soin... mais aussi à enrichir une vie collective par des institutions pérennes, un patrimoine durable, l'acquisition des connaissances, l'aménagement de l'espace, etc.) est remboursée aux descendants. Cette conception de la solidarité a formé la doctrine sociale de la République dès le solidarisme de Léon Bourgeois et Célestin Bouglé au tournant du xixe siècle14. Chacun participe à un système de solidarité collectif non en fonction d'un contrat ou d'un pacte fondateur (comme dans la fiction libérale) ni au terme d'une lutte des classes (comme pour les socialistes) mais parce qu'il est, dès sa naissance, débiteur de ses prédécesseurs, qui ont aménagé le monde pour lui. Il ne pourra se libérer de sa dette qu'en faisant un don à son tour aux générations qui le suivent.
À la différence des situations familiales qui existaient au xixe siècle, où les trois générations n'avaient guère le temps de se côtoyer, celles-ci sont maintenant contemporaines les unes des autres plus longtemps, au point que la solidarité intergénérationnelle peut maintenant s'exprimer directement des grands-parents aux petits-enfants (pour les successions par exemple ou les gardes). La génération intermédiaire se trouve dès lors dans une situation différente : son rôle n'est plus de transmettre de ceux qui ont disparu vers ceux qui ne sont pas encore là. Elle supporte concrètement parfois la charge des aînés qui commencent à subir la dépendance et des jeunes qui n'ont pas encore pris leur indépendance : on l'appelle la génération « pivot ». Avec l'allongement de la durée de vie, il faudra même, de plus en plus fréquemment, apprendre à organiser une solidarité entre quatre générations vivant de manière contemporaine, c'est-à-dire qui ont traversé les unes et les autres dans des situations différentes les aléas de près d'un siècle de vie collective : comment imaginer de départager les effets d'aubaine et les malchances des uns et des autres (en prenant en compte des facteurs aussi différents que les conflits, les crises, la dégradation de l'environnement, les progrès de la médecine, etc.), tout en maintenant une solidarité entre tous ?
Le concept d'équité intergénérationnelle reste d'un usage délicat dans la mesure où le changement historique empêche de définir une situation égalitaire de référence par rapport à laquelle on pourrait juger des écarts de revenus, de patrimoine ou de bien-être. En même temps, cette incommensurabilité ne doit pas servir de prétexte pour ne rien faire15.
Les reculs de l'autonomie
Le grand âge n'est donc pas seulement une expérience individuelle, même si elle est trop souvent vécue dans la solitude. La manière dont il se déroule dépend aussi des choix collectifs, en particulier le partage que nous faisons entre temps libre et temps de travail, solidarité publique et aides privées, protections liées au statut et protections accompagnant la mobilité... Le projet du présent dossier est bien de montrer la variété des questions attachées au vieillissement, au-delà des froides statistiques de la démographie, tout en mettant l'accent sur le temps de vie qu'il constitue et qui reste à imaginer. Il touche donc à l'expérience de l'âge, au changement des relations médicales, aux transformations des parcours individuels, à la mutation de la vie familiale, aux formes de la solidarité entre les générations. Après des dossiers sur la relation médicale, la fin de vie, l'hôpital, le lien familial, il nous a semblé indispensable de traiter pour lui-même ce sujet de société qui reste le plus souvent refoulé parce qu'il met mal à l'aise.
Nous abordons donc tout d'abord les choix collectifs qui nous attendent. Avant tout, que dit la médecine sur l'évolution du vieillissement ? À l'encontre des déclarations fracassantes à destination des médias prédisant une poursuite de l'allongement de l'espérance de vie, il apparaît, selon la présentation de Jean-François Toussaint et de Bernard Swynghedauw, que nous atteignons un plafond : les courbes antérieures ne vont pas se prolonger, nous touchons bien à des limites des possibilités humaines. Autre idée reçue qu'un examen plus précis remet frontalement en cause : la conviction selon laquelle le vieillissement met en péril l'équilibre de nos comptes sociaux en imposant une croissance démesurée de nos dépenses de santé. En réalité, ce n'est pas le vieillissement de la population qui contribue le plus à l'augmentation continue des frais médicaux. Brigitte Dormont montre ainsi que le débat sur le financement est beaucoup plus ouvert qu'on ne le dit habituellement, qu'il ne relève en tout cas d'aucune fatalité et qu'il invite à des choix collectifs qui restent à expliciter.
Si l'objectif de l'autonomie des individus doit rester prioritaire, le choix du lieu de vie (institution/domicile), soulignent Alain Franco et Vincent Rialle, va en partie déterminer les coûts et les types de prise en charge (professionnelle/familiale) qui vont se développer dans un avenir proche. Il aura aussi un impact, souligne Bruno Arbouet, sur les emplois de service liés aux soins apportés aux personnes âgées. Une comparaison européenne, avec le regard de Dominique Gaudron et Renaud George, met en perspective nos propres difficultés et souligne l'importance des villes, à la fois comme lieux de vie et comme espace de solidarité de proximité, dans la prise en charge du grand âge. Mais tous ces sujets ont aussi une répercussion sur les liens familiaux et, au-delà, sur la manière dont les solidarités intergénérationnelles s'organisent à mesure que l'espérance de vie augmente. Que signifie le projet d'autonomie quand les dépendances familiales, à tous les âges, s'affirment dans beaucoup de domaines ?
Mais ces sujets collectifs ne doivent pas faire oublier que la vieillesse est aussi un moment à vivre. Ce qu'ont oublié un peu vite ceux qui fustigent le débat sur le soin, lancé par Martine Aubry, considérant qu'il manifeste une incapacité à penser les sujets importants de la période : le vieillissement appelle en effet, notamment parce qu'il peut signifier des situations de dépendance, une autre conception de nos choix de solidarité. C'est pourquoi il s'agit bien d'un débat fondamental - qui n'est certes pas clos en ce qui concerne les choix qu'il appelle à faire - qui nous contraint à regarder en face des situations que les politiques sociales classiques ne prennent pas bien en charge et même les limites de la logique de prestation qui domine l'État-providence. Il nous impose aussi de revoir la relation médicale, quand elle n'a plus affaire à l'autonomie du patient mais à la perte de soi dans la démence sénile (Benoît Pain). Bref, c'est un défi d'ensemble pour nos conceptions, un défi de culture, souligne Robert William Higgins qui montre à quel point ce sujet traverse, parfois à notre insu, nos représentations les plus diverses et ne doit pas être enfermé dans une spécialité technique ou une sous-catégorie de la prise en charge médicale. Mais il ne suffit pas que nous apprenions à mieux prendre soin de la vieillesse, nous pouvons aussi apprendre quelque chose d'elle, poursuit Corine Pelluchon, notamment une autre perception de notre rapport au monde et au temps. D'ailleurs, pour Guy Samama, l'expérience du vieillir n'est pas le propre d'un âge, il se fait à tout âge car nous vieillissons dès notre premier jour et l'épreuve du temps est une sensation de tous les âges. Et, aussi amère que soit cette vérité, elle est l'expérience même de la vie, qui passe, s'enfuit et s'échappe.
Marc-Olivier Padis
Je remercie Nathanaël Dupré la Tour et Guillaume le Blanc pour l'aide qu'ils m'ont apportée à la préparation de ce dossier.
1. « Espérance de vie à divers âges », Insee, 2010, www.insee.fr
2. E. Cambois, A. Clavel et J. M. Robine, Dossier solidarité et santé, 2006, Drees, no 2.
3. Le gouvernement a prévu de maintenir le dispositif « carrières longues » négocié par la Cfdt en 2003, qui permet aux salariés ayant commencé à travailler avant 18 ans de partir entre 58 et 60 ans, à condition d'avoir comptabilisé tous leurs trimestres plus deux ans.
4. Chiffres de l'Insee, taux d'emploi par âge dans l'Union européenne.
5. Pour la génération née en 1970, 93 % des assurés ne pourront pas liquider leur retraite à taux plein à 60 ans, soulignent Olivier Ferrand et Fabrice Lenseigne, « Réformer les retraites : quelles solutions progressistes ? », www.tnova.fr, 28 mai 2010.
6. On passe aujourd'hui 21 années en études, 40 ans au travail, 20 ans en retraite.
7. « Projections 2005-2050 », Insee première, juillet 2006.
8. Louis Chauvel, le Destin des générations, Paris, Puf, 1998.
9. Claudine Attias-Donfut, « Rapports de générations. Transferts intrafamiliaux et dynamique macrosociale », Revue française de sociologie, no 41-4, 2000 ; Luc Arrondel et André Masson, « Solidarités publiques et familiales », dans Daniel Cohen (sous la dir. de), Une jeunesse difficile. Portrait économique et social de la jeunesse française, Paris, Éd. rue d'Ulm, 2006.
10. L. Chauvel, « L'année de naissance idéale est 1948 », entretien dans Libération, 15 juin 2010.
11. O. Ferrand et F. Lenseigne, « Réformer les retraites : quelles solutions progressistes ? », art. cité.
12. Éric Aeschimann, « Au bonheur des baby-boomers », Libération, 15 juin 2010.
13. Thierry Pech, « Les générations à la peine », hors-série, Alternatives économiques, no 85, 3e trimestre 2010, p. 4.
14. Voir notamment la réédition, présentée par Marie-Claude Blais, de Léon Bourgeois, Solidarité. L'idée de solidarité et ses conséquences sociales, éd. Le Bord de l'eau, coll. « Bibliothèque républicaine », 2008 et Serge Audier, Léon Bourgeois. Fonder la solidarité, Paris, Michalon, coll. « Le bien commun », 2007.
15. Luc Arrondel et André Masson, « Solidarités publiques et familiales », dans D. Cohen (sous la dir. de), Une jeunesse difficile..., op. cit., p. 110.
L'acteur législatif s'est récemment prononcé sur les conditions d'exercice du métier de psychothérapeute. Désormais, un temps de formation et des garanties juridiques seront exigés de la part de ceux qui prétendent recevoir des patients en psychothérapie à l'exception des seuls médecins psychiatres.
Certains en ont conclu, non sans rappeler les travaux de Michel Foucault sur le pouvoir médical, que cette faveur traduisait une recrudescence de la volonté de médicaliser la folie. Ce qui est discutable dans la mesure où le plus frappant est l'absence quasi totale d'un débat sur la folie dans notre société. Comme si celle-ci, au-delà des droits et de l'approche disciplinaire, était absente, hors présence, hors jeu, refoulée...
Les années de l'antipsychiatrie, les années Laing, les pratiques de rue dans les villes italiennes, le rôle de La Borde ou d'autres institutions légendaires sont oubliés et passés littéralement à la trappe. La folie ne donne plus guère à penser et les lits pour malades mentaux sont démesurément réduits alors même que les sciences cognitives ont pris le dessus au sein des facultés de médecine en charge de la formation des rares psychiatres. Rien ne vaut une bonne connaissance du cerveau et des médicaments ad hoc, parler de la douleur, celle qui rend fou parce que insupportable, fait perdre du temps et de l'argent. On aurait bien du mal à refaire aujourd'hui le numéro d'Esprit publié en 1952, porté entre autres par le psychiatre Henri Ey, intitulé Misère de la psychiatrie. On peinerait à promouvoir encore les expériences de psychiatrie de secteur valorisées dans cette revue par Jacques Hochman dans les années 1970.
Pourtant, un paradoxe n'est pas suffisamment pris en compte. La folie est évacuée des institutions et des discours mais elle est omniprésente autour de nous. Il n'est pas indispensable d'être un psychothérapeute averti pour observer que la maladie mentale se promène désormais dans les rues. En ce sens, nous vivons involontairement l'expérience italienne des années 1970 qui avait mis les malades mentaux dans les rues. Si le président Sarkozy s'en prend d'abord aux récidivistes sexuels et craint les passages à l'acte, il ne se préoccupe guère de ces fous errants qui traînent leur misère corporelle et psychique dans les rues, il ne s'y intéresse que s'ils « pètent les plombs » et deviennent violents.
Les économies à opérer dans le service public médical justifient-elles de mettre tous les maux sur le même plan ? Les médicaments sont-ils une contrepartie suffisante à l'absence d'écoute et de paroles ? Mais que représente donc cette société qui jette dehors ceux qui ne se sentent pas bien et ne leur offrent comme espaces d'accueil provisoires, comme aux toxicomanes, que des prisons devenues des jungles humaines ?
Telle est la situation : on vit dans un monde apparemment sans folie alors même que fous et malades mentaux font peur car ils sont partout et nulle part. Il y a là quelque chose de déroutant dans cette époque qui se veut sans folie, précautionneuse alors qu'elle fonctionne pourtant « à la folie ».
Luc Moullet, un cinéaste iconoclaste, a réalisé récemment La terre de la folie, un film inattendu sur ce qu'il appelle le triangle de la folie (un triangle géographique autour de la ville de Digne dans les Alpes-de-Haute-Provence). Mais on peut lui signaler que la folie est contagieuse et atteint des zones qui ne sont ni rurales, ni montagnardes, ni en déshérence. Les plus hautes solitudes et les souffrances extrêmes ne sont pas le propre des mondes retirés. La folie est là et bien là, elle est le fait d'un monde où il n'y a plus de valeur que l'argent pour se mesurer les uns aux autres puisque « je ne vaux que ce que je coûte ». Dans ce monde de folie qui vit au rythme boursier du Cac 40 et des crises à répétition, le fou est cependant absent puisqu'il ne vaut rien et ne doit donc rien coûter.
Alors qu'on n'en finit plus d'attendre le passage à l'acte du trader fou, les « pétages de plomb » de la finance, il y a une folie globale à l'origine de la chape de plomb qui pèse sur la folie elle-même car on sent bien que cette société disjoncte. Bien des comportements sont qualifiés de fous, à commencer par ceux des pyromanes en tous genres, à la Bourse ou ailleurs, qui ne savent pas que l'argent rend fou.
Une société qui ne sait pas parler de sa folie est un monde qui se croit surhumain et a oublié que la part de folie de chacun d'entre nous, ces zones border-line où l'humain est bancal, est l'affaire de tous. Pour ne pas voir notre propre folie partagée, on met les fous à la rue pour surtout ne pas en parler.
Après une mauvaise campagne agricole en 2009, le Sahel s’enfonce dans la crise alimentaire. Dans cette bande désertique, 10 millions d’Africains sont menacés, principalement au Niger, au Tchad et au Mali. Selon l’Unicef, dans les prochains mois, 860 000 enfants de moins de cinq ans pourraient avoir besoin de « traitements contre la malnutrition », la première cause de mortalité infantile dans cette région.
Cette crise intervient alors que les stocks de la dernière récolte sont arrivés à épuisement et qu’il faut encore attendre l’automne pour la prochaine. Les conditions climatiques défavorables expliquent pour partie cette soudure difficile. Mais c’est loin d’être le seul facteur. Le prix Nobel d’économie, Amartya Sen, qui a commencé sa carrière de chercheur en étudiant les causes des famines en Inde, a depuis longtemps montré que si la malnutrition indique que certains ne mangent pas à leur faim, elle n’est pas nécessairement le signe d’un manque de vivres.
La situation actuelle d’insécurité alimentaire, connue depuis plusieurs mois, a donc des causes structurelles. Elle est révélatrice de problèmes de distribution mais aussi de gestion des ressources disponibles dans le temps et dans l’espace. Mais pour les résoudre, les mesures d’urgence (aide alimentaire, distribution de kits de survie) bien que nécessaires seront toujours en deçà des enjeux.
Dans son encyclique Caritas in veritate, Benoît XVI écrivait : « Le problème de l’insécurité alimentaire doit être affronté dans une perspective à long terme, en éliminant les causes structurelles qui en sont à l’origine et en promouvant le développement agricole des pays les plus pauvres à travers des investissements en infrastructures rurales, en système d’irrigation, de transports, d’organisation des marchés, en formation et en diffusion des techniques agricoles appropriées. » Ces lignes, rédigées un an après les émeutes de la faim de 2008, sont toujours actuelles. Elles en appellent à la responsabilité de tous pour que soit respecté le droit humain de base à une alimentation suffisante et régulière.
Dominique Greiner
YouTube rallonge la durée de ses vidéos
Le site de publication de vidéos YouTube a décidé d'allonger la durée maximale des enregistrements postés par les internautes, de 10 à 15 minutes, rapporte vendredi le site pcinpact.com . L'initiative a été rendue possible grâce à l'amélioration des techniques de filtrage des contenus protégés par le droit d'auteur, explique le site spécialisé. Pour médiatiser ce changement, YouTube a lancé une opération "15 minutes de gloire", permettant aux utilisateurs du site de diffuser une vidéo personnalisée avant le 4 août.
Apple : Pourquoi Steve Jobs a toujours un coup d’avance
A peine lancé, l’iPad est déjà un succès mondial. Et un nouveau jackpot pour la firme californienne. Ses secrets ? Il faut les chercher dans le cerveau du patron, un génie tyrannique.
Le 7 juin dernier, sur les coups de 18 h 30, une vingtaine d’adeptes se sont rassemblés dans un bar du centre-ville de Nantes, le Flesselles, afin d’assister à une retransmission un peu particulière : la présentation par Steve Jobs de la quatrième version de l’iPhone. Pendant près de deux heures, ils ont suivi religieusement l’exposé de leur gourou à San Francisco. Le pire, c’est qu’ils n’avaient que quelques fils d’infos et des photos du show à se mettre sous la dent.
Quel autre P-DG au monde peut ainsi remplir les cafés comme lors des matchs du Mondial ? Pour l’iPad, six mois plus tôt, ce fut le même cirque. A chacune de ses sorties, Steve Jobs jouit d’une couverture médiatique gratuite que Microsoft, Google et Facebook réunis ne pourraient pas même se payer.
Mais comment ne pas faire la ola à chaque nouveau lancement ? En 2001, l’iPod a révolutionné l’industrie musicale. En 2007, l’iPhone a quasiment créé l’Internet mobile. Et l’iPad, en vente depuis avril 2010, bouleverse déjà le monde de l’édition. Autant de best-sellers qui se transforment en cash. En 2009, le chiffre d’affaires d’Apple a atteint 30 milliards d’euros. Soit 108% de plus qu’en 2006. Et, fin mai, Steve Jobs s’est offert la victoire suprême : dépasser en Bourse Microsoft, l’ennemi de toujours. Quel est son secret ? Dans les pages qui suivent, Capital décrypte les multiples facettes du meilleur patron du monde, tour à tour inventeur de génie, manager impitoyable et négociateur redoutable.
A Cupertino, le siège californien d’Apple, le succès n’est pourtant pas monté à la tête du cofondateur. «Je l’ai trouvé détendu, très sympa», témoigne Stéphane Richard, le directeur général d’Orange, qui s’est entretenu plus d’une heure avec lui le 17 mai. «Magic Steve» continue d’avaler des sushis au milieu de ses troupes à la cafète, toujours vêtu d’un Levi’s 501 et d’un sous-pull noir. Sa vie privée n’a pas non plus basculé.
A Palo Alto, la petite cité chic où il réside avec son épouse, Laurene, et leurs trois enfants, il continue d’aller parfois sans garde du corps sur Emerson Street déguster les yaourts macrobiotiques de Patama, la jolie patronne de la boutique Fraiche. Même le vigile en 4 x 4 que nous avions croisé devant sa maison, il y a un an, a disparu.
Le numéro 1 d’Apple n’est d’ailleurs pas le nabab que l’on imagine. Entendons-nous bien, Steve n’est pas pauvre comme Job. Mais sa fortune – 3,8 milliards d’euros, selon «Forbes» en 2009 – ne le classe qu’au 136e rang mondial, loin des 37 milliards de Bill Gates, le fondateur de Microsoft, qui s’est lancé à la même époque que lui, et des 12 milliards amassés par Sergey Brin, le père de Google, de dix-huit ans son cadet.
L’explication est simple : son conseil d’administration a beau le gaver de stock-options depuis son retour chez Apple en 1997, Jobs ne possède que 0,61% de la société qu’il a cofondée avec Steve Wozniak, sa participation s’étant diluée au fil de l’histoire mouvementée de la compagnie. Avec les 5% du capital qu’il s’est offerts il y a treize ans, le prince Al Walid en a largement plus profité que lui . Rageant ? «Ce qui m’intéresse, ce n’est pas d’être l’homme le plus riche du cimetière, mais d’aller au lit en me disant que j’ai fait quelque chose de merveilleux aujourd’hui», avait philosophé Jobs dans un entretien au «Wall Street Journal».
Ces derniers temps, il doit dormir comme un bébé. Début juin, l’iPad avait déjà séduit 2 millions de clients en deux mois de commercialisation. Et le succès de l’iPhone ne se dément pas : au premier trimestre, Apple en a vendu 8,7 millions, deux fois plus qu’un an plus tôt. Son secret ? «Quand les autres se focalisent sur le matériel, eux se concentrent sur l’ergonomie», explique Marc Oiknine, du fonds Alpha Capital Partners.
«Jobs a le facteur “waouh !”», ajoute Randy Komisar, ancien directeur juridique de la firme à la pomme et aujourd’hui capital-risqueur dans la Silicon Valley. Ses produits procurent du plaisir.» Apple est la meilleure illustration qui soit de la fameuse théorie de l’économiste libéral français Jean-¬Baptiste Say – «l’offre crée la demande» – qu’il faudrait presque rebaptiser «loi de Jobs».
Ceux qui assurent aujourd’hui que l’iPad ne répond à aucun besoin ont peut-être raison. Mais ils affirmaient aussi, lors du lancement de l’iPhone, que personne n’irait naviguer sur Internet avec son téléphone portable. Selon un sondage SFR-GroupM réalisé en mars, 4 millions de Français le font désormais tous les jours.
Grâce à la «Jobs touch», Apple se permet de pratiquer des tarifs extravagants. En France, l’iPad 3G, avec un disque dur de 64 gigaoctets, est ainsi vendu 799 euros, contre 498 euros pour la tablette équivalente d’Archos. L’iPhone 3GS était vendu, hors abonnement, 659 euros à sa sortie en juin 2009, alors que le Samsung Wave, qui le surpasse techniquement, sort ces jours-ci à 349 euros.
Et ne parlons pas des ordinateurs. Le MacBook Pro se monnaie près de 2 200 euros, contre 1 600 pour des PC comparables. Ajoutez des dépenses de recherche bien moindres que celles des petits copains – 3% du chiffre d’affaires contre 15% chez Microsoft – et vous avez la recette des profits colossaux qu’engrange la firme à la pomme. Selon les calculs du cabinet iSuppli, Apple réalise par exemple une marge brute de 50% sur l’iPhone quand ses rivaux doivent se contenter de 20 à 40%.
Ses pommiers vont-ils monter jusqu’au ciel ? Steve Jobs voit poindre les soucis. De cannibalisation, d’abord. Une récente étude de Morgan Stanley montre qu’un quart des acheteurs de l’iPad renonceraient à l’achat d’un MacBook, et quatre sur dix à celui d’un iPod touch. Déjà, les ventes du baladeur MP3, boulotté par l’iPhone, ont chuté de 5,5% au dernier semestre. Un sérieux avertissement. Apple vit aussi sous la menace de plusieurs enquêtes antitrust aux Etats-Unis. On le soupçonne, pêle-mêle, de tuer la concurrence dans la musique en ligne ou d’abuser de sa position dominante en refusant que l’iPad lise les vidéos issues de la technologie Flash d’Adobe.
Plus préoccupant, l’image du groupe se dégrade. Quand il verrouille le Web, en interdisant aux plates-formes concurrentes, comme Cydia, de vendre leurs applications sur l’iPhone ou l’iPad. Quand Jobs censure des contenus qu’il juge trop érotiques. Aurait-il changé de camp ? En 1984, il s’était offert une pub pendant le Superbowl dans laquelle il comparait IBM (sans le nommer) à Big Brother. Aujourd’hui, une parodie de cette réclame fait fureur sur le Web. Steve Jobs y est associé au héros de George Orwell. Pour l’instant, elle est encore disponible sur l’iPhone…
De notre envoyé spécial en Californie, Gilles Tanguy
Les bonnes fortunes d’Apple…
Prince Al-Walid
En 1997, le neveu du roi Abdallah avait acquis 5% d’Apple pour 115 millions de dollars. Ils valent cent fois plus.
Bertrand Serlet
Ce Français, vice-président d’Apple, a empoché près de 10 millions d’euros en vendant ses stock-options au printemps.
Steve Wozniak
Essoré par deux divorces et des investissements désastreux, le cofondateur cachetonne dans des conférences.
Ronald Wayne
Présent aux débuts de l’aventure, il regrettera toute sa vie d’avoir vendu ses 10% d’Apple en 1976 pour… 800 dollars.
Lire aussi :Les 50 plus grands patrons de l'histoire
Le blog de Gilles Tanguy : Tech Biz