La situation restait très confuse en Libye, samedi 26 février, au douxième jour de la contestation inédite du régime de Mouammar Kadhafi. A Tripoli, la capitale du pays, les rues étaient quasi-désertes. Seuls des 4X4 des forces loyales circulaient par intermittence au lendemain des tirs contre des manifestants dont six au moins ont été tués. Pas de manifestations à Tripoli. Des tirs ont été entendus dans la nuit et dans la matinée à Tripoli où l'électricité a été coupée dans certains quartiers. Selon plusieurs témoins, le régime de Kadhafi aurait armé les personnes le soutenant pour qu'ils s'en prennent aux manifestants qui contrôlent désormais la majeure partie du pays. Il n'y a pas eu de manifestations anti-régime dans la journée à Tripoli, aucun appel à descendre dans la rue n'ayant été relayé par SMS ou le site Facebook, a précisé un témoin sous couvert de l'anonymat, joint par l'AFP au téléphone. Les habitants s'aventurent le matin dans les rues pour aller acheter du pain ou se rendre dans les stations d'essence.
"Ici, les files sont interminables et l'attente peut durer quatre heures", dit-il. A part cela, les gens sont généralement terrés chez eux.
Après le discours de M. Kadhafi la veille à Tripoli appelant ses partisans à s'armer pour attaquer les opposants,
"des rumeurs avaient circulé sur une attaque des hommes du leader libyen".
"Mais la nuit a été calme, des partisans armés du guide tapant dans certains quartiers sur les portes pour dire aux gens de rester chez eux", a-t-il ajouté. Le régime de Kadhafi
"contrôle toujours Tripoli", a-t-il poursuivi. Mais il a dit que les
"mercenaires" combattant auprès des forces du régime, dont il a été fait état par des témoins depuis le début de la contestation, ont disparu.
"Il n'y a plus de mercenaires, et c'est grave car maintenant ce sont les Libyens qui vont se faire face avec un risque de guerre civile".
Dans la ville de
Zouara, à 120 km à l'ouest de Tripoli, la situation est toujours tendue, les forces pro-Kadhafi encerclant toujours la cité après avoir disparu des rues, selon un témoin.
"La situation est calme mais la ville reste sous contrôle du régime dont les hommes assiègent la cité". Des témoins arrivés jeudi en Tunisie par la route avaient indiqué que Zouara avait été
"désertée par la police et les militaires" et que le peuple tenait la ville.
Plus à l'Est, des
"mercenaires" à la solde du régime ont été héliportés à
Misrata, la 3e ville du pays, et ont ouvert le feu sur le bâtiment abritant la radio locale et sur des manifestants qui se rendaient aux funérailles de victimes des jours de combats de ces derniers jours.
"Les mercenaires sont descendus de deux hélicoptères qui ont atterri dans la cité sportive en construction, dans le quartier de Merbat", a constaté un habitant, partisan de l'opposition, joint par téléphone.
A Benghazi, fief de l'opposition à 1 000 km à l'est de la capitale, l'opposition continuait de s'organiser.
"N
ous coordonnons les comités des villes libérées et de Misrata. Nous attendons que Tripoli en finisse avec le régime de Kadhafi (...) et ensuite, nous travaillerons à un gouvernement de transition", a déclaré
Abdelhafiz Ghoqa, le porte-parole de la
"Coalition révolutionnaire du 17 février".
"Il y a des volontaires qui partent tous les jours pour Tripoli" pour se battre, a-t-il ajouté, soulignant que de nouveaux officiers faisaient défection et rejoignaient les forces anti-Kadhafi.
Seif Al-Islam, fils de Mouammar Kadhafi, s'est exprimé en début de soirée sur la chaîne Al-Arabiya.
"La situation dans les trois-quarts du pays, soit la moitié de la population, est normale (...) excellente", a-t-il assuré dans cette interview. Il a toutefois reconnu qu'il y avait une
"volonté intérieure de changement", exprimée par l'opposition.
"L'incitation vient de l'étranger même s'il y a une volonté intérieure de changement", a dit
Seif Al-islam, souvent présenté jusqu'au début de la révolte comme le futur successeur de son père. Il a en outre affirmé que les manifestants étaient
"manipulés par l'étranger".
"Ce que la nation libyenne vit aujourd'hui a ouvert la porte à toutes les options, et les signes d'une guerre civile et d'ingérence étrangère sont désormais visibles", a-t-il déclaré.
Les évacuations continuent. Des milliers d'étrangers, dont une bonne partie travaille dans les activités liées au pétrole, ont été évacués. Parmi eux, 16 000 Chinois ont quitté le pays, notamment vers Malte. Un avion a décollé de Londres samedi matin pour rapatrier les derniers Britanniques sur place. Par ailleurs, à la frontière tunisienne, le flux des Egyptiens et Tunisiens quittant la Libye ne tarit pas.
15 000 Egyptiens qui ont fui les violences sont toujours bloqués en Tunisie, a annoncé l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Plus de 7 800 migrants de plus de 20 nationalités différentes ont franchi le poste frontière de
Ras Adjir au cours de la seule journée de vendredi, selon l'OIM.
Sur le terrain diplomatique, la pression s'accentue.
"Il semble que Kadhafi ne contrôle plus la situation", a estimé le chef du gouvernement italien,
Silvio Berlusconi, critiqué dans le passé pour avoir reçu avec faste le dirigeant libyen.
Le Conseil de sécurité de l'ONU se réunissait pour la deuxième journée consécutive samedi pour tenter d'imposer des sanctions sévères.
Un projet de résolution évoque des sanctions telles qu'un embargo sur les armes, un autre embargo sur les voyages du colonel Kadhafi et un gel de ses avoirs, selon des diplomates. Il avertit en outre Mouammar Kadhafi que les violences pourraient être considérées comme des crimes contre l'humanité, selon des diplomates.
Le premier ministre britannique et la chancelière allemande
Alngela Merkel ont convenu, samedi matin, que des sanctions devaient être prises à l'égard de la Libye et ce, sans tarder. Paris a mis sous surveillance les avoirs de Kadhafi et de ses proches. Vendredi, le président américain
Barack Obama a signé un décret gelant les avoirs aux Etats-Unis du colonel Kadhafi et de ses quatre fils.
"Le régime de Mouammar Kadhafi a bafoué les normes internationales et la morale élémentaire, il doit être tenu responsable", a-t-il estimé.
En revanche, le Premier ministre turc
Recep Tayyip Erdogan s'est prononcé contre toute sanction à l'encontre de la Libye, estimant que ce serait le peuple libyen qui en souffrirait et accusant les grandes puissances de
"calculs" concernant les ressources pétrolières du pays.
"Toute intervention rendra la situation encore plus difficile. Cela frapperait non pas le gouvernement mais le peuple libyen. Vous ne pouvez pas assurer la paix dans le monde en ayant recours à des sanctions à chaque incident", a-t-il déclaré.