Depuis son élection de décembre 2012, Shinzo Abe, le nouveau Premier ministre du Japon, a amorcé une profonde refonte de la stratégie économique du pays. Après avoir presque remis en cause l'indépendance de la banque centrale du pays - ayant provoqué un départ précipité de son gouverneur qui a souhaité manifester ainsi son désaccord - afin que celle-ci assouplisse sa politique monétaire et son objectif d'inflation, quitte à dévaluer le Yen, pour relancer l'économie, il a annoncé un plan de relance gigantesque représentant 12% du PIB afin d'atteindre 2,3% de croissance entre avril 2013 et mars 2014.
Atlantico : Le gouvernement japonais semble prêt à mobiliser tous les outils non conventionnels pour relancer la croissance du pays qui a enregistré un déficit commercial record en 2012. Après avoir coopéré depuis 2008, les gouvernements sont-ils désormais prêts à jouer "seuls contre tous" pour relancer leur économie ? Politique de Shinzo Abe, montée de Silvio Berlusconi... une guerre économique mondiale est-elle envisageable ?
Simone Wapler : Une "guerre" serait une concurrence déloyale. Les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce ont encadré les règles de la concurrence économique mondiale et limité les barrières douanières. Les taxes douanières préservent un pays d’un envahisseur en pénalisant les importations dans ce pays.
Mais l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001 a bouleversé une confortable routine dans laquelle vivaient des pays qui connaissaient à peu près un même niveau de compétitivité. Cette concurrence est saine puisque de nombreux biens et services nous sont accessibles à des prix plus faibles. Par ailleurs, il ne paraît pas injuste qu’à talent égal ou production de qualité identique, ceux qui travaillent le plus gagnent cette compétition économique. Tous les consommateurs du monde y trouvent leur compte. Combien coûterait un Smartphone fabriqué aux Etats-Unis ou dans la France des 35h et des avantages ?
Maintenant que reproche-t-on au Japon ? Non pas de mettre des barrières douanières mais une concurrence déloyale consistant à faire
baisser le yen. C’est absolument risible !
Le Japon fait exactement ce que font depuis 2008 les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, l’Europe, la Suisse et j’en passe. Il fait exactement ce que veut faire Mario Draghi. Il utilise sa planche à billets. Simplement, il dit, par la voix son premier ministre "premièrement, j’augmente la cadence", "deuxièmement, cette fois, avec ma fausse monnaie, j’achète la dette des autres pays". Car le livret A d’un banquier central, ce sont les obligations souveraines.
Le titre "guerre des monnaies", ça fait vendre, mais ce n’est pas autre chose qu’un réglage du débit de la planche à billets des faux-monnayeurs officiels.
Nicolas Goetzmann : Ce qui est présenté comme une guerre économique mondiale n'est rien d'autre que la sortie de crise. Ce que font le Japon, les Etats Unis, et bientôt le Royaume Uni par le voie de la relance monétaire est un soutien à leur marché intérieur. Le relance monétaire permet au Japon de s'extirper de la stagnation économique qui le frappe depuis 20 ans, non pas en "volant" une part du gâteau aux Européens, mais en agissant sur sa demande intérieure. Si les japonais consomment et investissent plus, c'est un bon signe pour tout le monde, il s'agit de la 3e économie mondiale et ce n'est pas sans effet.
Ce que nous percevons de l'extérieur n'est que la conséquence de cette relance, à savoir une baisse du Yen provoquée par le relèvement des anticipations de croissance et d'inflation de l'économie Japonaise Mais ceci n'a qu'un effet mineur sur les exportations. Le japon produit beaucoup en Chine par exemple, et est de fait également pénalisé par la baisse de sa monnaie. Les inconvénients viennent compenser les avantages.
La seule guerre économique mondiale que l'on pourrait craindre est de répéter les erreurs des années 30. Suite à la dévaluation anglaise de 1931, la France avait mis en place des barrières douanières importantes qui ont eu des effets désastreux. La différence est énorme entre soigner son économie intérieure via la monnaie (qui profite à tous) et pénaliser celle des autres via les barrières douanières
Quelles seraient les conséquences d'une guerre économique mondiale ? Y auraient-ils des gagnants ou uniquement des perdants à terme ?
Nicolas Goetzmann : Encore une fois, si cette soit disant guerre consiste à relancer les économies en modifiant les différentes politiques monétaires dans un objectif de croissance, nous sortirons de la crise. Encore faudrait-il que l’Europe le comprenne. Par contre, et je ne veux pas le croire, si nous entrons dans une guerre de protectionnisme généralisé, la situation empirera.
Concernant les gagnants et les perdants, les choses sont claires. Pour le moment les Etats Unis ont un taux de chômage qui est passé sous la barre des 8%, le Japon est à 4.1%, Le Royaume Uni à 7.7%, et L’Europe est à 12%. Les 3 premiers n’ont pas plus d’inflation que l’Europe alors chercher l’erreur. La politique menée en Europe est-elle la meilleure ? Cela devient grotesque.
Simone Wapler : Après la Grande dépression de 1929, la guerre économique avait consisté à dresser des barrières douanières, ce qui a gelé le commerce mondial et aggravé la crise. Nous "avons tiré les leçons de 1929", nous vantent nos grands planificateurs omniscients qui s’occupent de notre sort durant cette Grande récession entamée en 2008. Évidemment, cette politique de guerre des changes ne résoudra rien. Une dévaluation procure un avantage concurrentiel fugace qu’il faut mettre à profit rapidement, ce qui est faisable par des populations jeunes et une économie dynamique et souple. Mais si tout le monde fait la même chose en même temps, les monnaies sombrent toutes, plus ou moins rapidement. L’avantage temporaire s’évanouit. En revanche subsistent la déconsidération de l’élite, le mépris de la population bernée pour ses grands planificateurs omniscients, l’appauvrissement général…
Alors que les Américains n'hésitent pas à faire fonctionner la planche à billet, le Japon est prêt à diminuer le cours de sa monnaie pour gagner en compétitivité. Dans le même registre, la Chine est régulièrement accusée de maintenir volontairement sa monnaie sous-évaluée. Alors que le cours de l'euro s’accroît face aux autres devises, l'Europe est-elle la dernière zone économique à jouer fair play ? (Comment doit-elle se préparer face aux Etats-Unis, Japon, Chine... ?)
Simone Wapler : Je n’appartiens pas à la caste des grands planificateurs omniscients. Je n’ai donc aucune idée sur ce que devraient faire des pays et encore moins des continents ! Je constate simplement que cette élite dirigeante échoue. Je ne vois pas en quoi créer de la fausse monnaie et en inonder le monde peut améliorer la vie des citoyens. On ne trouve aucune trace dans l’Histoire qui puisse justifier cette politique. En revanche, en tant que citoyen, nous devons nous préparer à ce que ce type d’expérience se termine mal car, dans ce sens, l’Histoire est riche d’enseignements. Le cimetière des "monnaies adossées à rien"
est très vaste et on dénombre pas moins de trente pierres tombales du XXème siècle. L’hyperinflation est une maladie génétique mortelle des monnaies fiduciaires. La Chine vient de battre tous ses records d’importation d’or depuis Hong-Kong. On se demande bien pourquoi…
Nicolas Goetzmann : Au contraire, la zone Euro n’a toujours pas compris qu’elle est dans l’erreur. Comment voulez-vous faire comprendre à un américain qu’il ne doit pas agir sur sa monnaie alors que leur taux d’inflation est plus faible et que leur chômage est 4 points plus bas que le nôtre ? C’est L’Europe qui fait la guerre ici, elle entraine tout le monde vers le bas et accuse le premier qui essaye de s’en sortir de ne pas être fair play.
C’est une course de voiture, l’Europe enclenche son frein à main et trouve que les autres concurrents ne sont pas fair play ? La comparaison est aussi absurde que la situation. L’Euro n’est pas surévalué, il traduit simplement la politique de rigueur menée par la BCE.