samedi 29 octobre 2011
La strauss-kahnie entre rage et amertume
Il paraît que, pour tuer le temps, il joue encore aux échecs. Depuis quelques jours, Dominique Strauss-Kahn attend, place des Vosges, à Paris, sa convocation dans l'affaire du Carlton de Lille, où son nom a été cité par des témoins. Il a pris les devants dès que son nom est apparu dans la presse et demandé à s'expliquer.
"Il est chez lui toute la journée, il tourne en rond", confie un proche. Seul, ces derniers jours. Anne Sinclair est restée dans son riad, à Marrakech. Dehors, ceux qui, à la rentrée encore, criaient à l'"opération politique" quand la justice française examinait la plainte pour "tentative de viol" déposée par Tristane Banon, gardent le silence. Y compris Michel Taubmann, le biographe du futur candidat, l'auteur d'un Roman vrai de Dominique Strauss-Kahn (Editions du Moment) qui devait dire l'histoire officielle. Même Michèle Sabban, la fidèle d'entre les fidèles, celle qui, pour lui, avait endossé toutes les accusations "complotistes", ne répond plus."JE NE VEUX PLUS JAMAIS ENTENDRE PARLER DE CE MEC"
Entre l'ex-favori de la primaire PS et ceux qui se préparaient à devenir ses apôtres, la ligne est définitivement coupée. Un de ceux qui avaient placé en lui ses espoirs et planché depuis des mois sur le scénario présidentiel résume le sentiment d'une strauss-kahnie qui s'avoue trahie : "Je suis très en colère. On a été trompés. Il nous a trompés. Je ne veux plus jamais entendre parler de ce mec." Au lendemain des premières révélations sur le scandale lillois, la phrase a fait florès chez les socialistes : "On devrait édifier une statue à Nafissatou Diallo." "Je ne me dis pas comme certains 'à quoi a-t-on échappé ?', mais bien 'heureusement qu'il n'a pas été élu'", confie Marisol Touraine, strauss-kahnienne et députée de l'Indre et Loire. "Il ne pouvait pas être président. Maintenant, je ne veux plus en entendre parler. C'est derrière moi."
Laurent Fabius a parlé, vendredi 28 octobre, de "tristesse". Sandrine Mazetier, députée de Paris : "C'est plus que de la déception, c'est de la colère. On est tous très marqués par cette affaire. On trouve inimaginable de n'avoir rien su, rien vu. C'est comme dans les dénis de grossesse, où l'entourage immédiat ne voit rien non plus. C'est vertigineux." Même M. Cambadélis ne peut plus le soutenir. Il soupèse une phrase qui, comme toujours chez lui, prend l'allure d'un communiqué. "Aujourd'hui, je ne veux ni l'accabler, ni l'excuser."
Au bord du gouffre, soumis, en conseil fédéral ou réunions de section, aux quolibets de leurs camarades – "franchement, ton Dominique…" – les anciens amis de DSK sont saisis de vertige. Car le scandale les éclabousse un peu, forcément, eux qui ont toujours nié ou refusé de voir la face noire de leur héros. "Les Français doivent se dire, au choix, que nous étions complices, et c'est faux. Ou bien que nous sommes des cons", enrage une élue strauss-kahnienne. Il y a un mois, les fidèles, tels Ramzi Khiroun, porte-parole du groupe Lagardère et proche conseiller d'Arnaud Lagardère, faisaient la leçon aux journalistes : "J'apprends que tu dis que j'ai couvert les frasques de DSK…"
"IL Y AVAIT DEUX DOMINIQUE, ET NOUS NE L'AVONS PAS VU"
Aujourd'hui, à EuroRSCG, Gilles Finchelstein et Stéphane Fouks se taisent. Tous cherchent à plaider leur cause : "Comment peut-on penser qu'on savait qu'il avait un réseau à Lille ? interroge l'un d'eux. Si le cercle politique proche l'avait su, il ne l'aurait pas poussé à se présenter. On n'est pas fous !"
Après l'épisode du Sofitel, ils osaient encore, comme M. Cambadélis, le couple "libre, soixante-huitard". Signe des temps, ils acceptent de parler de "libertinage". Ainsi ce poids lourd de la strauss-kahnie, toujours à la recherche d'explications: "Il y avait chez Dominique une lutte à mort entre la contrainte d'une candidature qui s'imposait à lui, et la pulsion, celle de son mode de vie soit disant libertin. Plus nous avons exercé de contraintes, plus il était obligé d'organiser ses pulsions ailleurs que dans notre espace. Il s'est donc mis avec des gens que nous ne connaissions pas. Tout cela a fini par occasionner une névrose et un personnage clivé. A un moment donné, le disque dur a fondu." Et ce proche conseiller, qui a perdu un mentor et un ami : "Il y avait deux Dominique, et nous ne l'avons pas vu."
Son cercle parisien jure avoir découvert dans le dossier lillois les soirées avec des prostituées dans des établissements parisiens et à Washington, notamment jusqu'au 13 mai, la veille de son arrestation à New York. "Ce qui est sidérant, c'est que c'était très compliqué d'aller voir Dominique au FMI. Et là, on apprend qu'il y avait des flics et des filles qui venaient lui rendre visite", lancent-ils, agacés de comprendre qu'ils ont, en outre, été préférés. Fabrice Paszkowski, chef d'entreprise, militant socialiste mis en examen pour "proxénétisme aggravé en bande organisée et association de malfaiteurs" dans l'affaire du Carlton était l'un des piliers, dans le Pas-de-Calais, du club pro-DSK "A gauche, en Europe !" "Jamais entendu parler", jurent Olivier Ferrand, président de la fondation Terra Nova, et Mme Touraine, qui ont sabordé ce club.
Le commissaire lillois Jean-Christophe Lagarde, mis en examen, pour "proxénétisme aggravé" et "recel d'abus de biens sociaux" ? "On ne connaît pas ces mecs", assurent les proches de DSK. Le député du Finistère Jean-Jacques Urvoas, qui confirme avoir rencontré les deux hommes à la demande de DSK, et pris le premier "pour un flic", assure "tomber de l'armoire". Cruelle ironie de l'histoire pour le secrétaire national du PS à la sécurité, qui en vue de la campagne présidentielle, était chargé d'anticiper les sales coups qui ne manqueraient pas de s'ourdir contre le candidat…
"DOMINIQUE ET ANNE RESTENT DES AMIS"
"D'un Casanova, il est passé à un érotomane, puis d'un coup à un pornographe", cingle une ancienne collaboratrice. Et une députée ralliée à Hollande : "C'est simple, c'est le dégoût." Seuls quelques rares amis du couple acceptent de soutenir encore l'ancien ministre de l'économie, mais toujours en y mêlant sa femme. L'écrivain Dan Frank, chez qui se tenaient début 2011 les réunions préparatoires et qui se rêvait déjà "plume" de la campagne : "Dominique et Anne restent des amis. Et on n'abandonne pas ses amis s'ils sont à terre, quelles que soient les circonstances."
Las ! Même Anne Sinclair n'est plus cette "Antigone" décrite par Ivan Levaï et tant d'autres derrière lui, cet été. L'ancien mari de la journaliste et ami du couple publiait juste avant l'affaire du Carlton un livre insensé : DSK : chronique d'une exécution (Le Monde du 8 octobre). "Je ne vais pas changer de discours maintenant, persiste le dernier avocat de DSK. Je ne regrette rien, ne retire rien à ce que j'ai écrit et dit. J'en conviens, il y a des questions que je ne veux pas me poser. Les péripatéticiennes belges, ce n'est plus de mon ressort. Je suis fermé comme une huître."
A l'époque, DSK, auquel l'ancien patron d'Europe 1 avait soumis ses épreuves, l'avait remercié et félicité. C'était encore l'époque estivale où l'ex-futur candidat à la présidentielle disait à ses amis politiques : "Je m'en veux, pour vous." Une saison a passé, et DSK désormais murmure, paraît-il : "Je n'aurai pas assez de ma vie pour m'excuser."
Steve Jobs : Il se soignait… avec des jus de fruits !
"Il a perdu du temps"
Une obstination qui a duré neuf mois après l’annonce du diagnostic, jusqu’en juillet 2004, au grand dam de ses proches, pétris d’inquiétude. « Steve est venu me trouver quand il tentait de se soigner en mangeant des racines de pissenlit. Je lui ai dit qu’il était cinglé ! », témoigne dans le livre Andy Grove, patron d’Intel.« Il a perdu du temps », confirme le Dr Florence Huguet, cancérologue à l’hôpital parisien Tenon. En effet, son cancer était une tumeur neuroendocrine du pancréas, une affection rare, mais au développement lent et donc souvent soignée avec succès, tandis que le cancer « ordinaire » du pancréas ne laisse guère plus de six mois de survie aux malades. Détectée très tôt chez Steve Jobs, la tumeur aurait pu être retirée avant de se répandre dans son corps. « Le problème, se rappelle sa femme, Laurene, c’est que Steve ne voulait vraiment pas qu’on l’opère. C’est difficile de forcer quelqu’un à cela. » « Les méthodes alternatives sont très bien, mais uniquement en accompagnement d’un traitement médical classique, argumente le Dr Huguet. Pour traiter une tumeur, le moyen le plus efficace à ce jour est d’avoir recours à la chirurgie pour l’enlever. »
Diète de carottes au citron
Steve Jobs n’a pas attendu la fin de sa vie pour entretenir un rapport particulier à la nourriture. L’homme était végétarien depuis les années 1970, après avoir lu Diet for a small planet, une bible prônant l’alimentation sans viande. Il a ensuite régulièrement soumis son corps à des régimes extrêmes, comme le fait de ne manger qu’un seul type d’aliments durant plusieurs semaines : diète de fruits, diète de carottes arrosées de jus de citron… En 2009, après sa greffe de foie, Jobs s’est mis à consommer uniquement des jus de fruits frais. « Il exigeait sept ou huit variétés différentes alignées devant lui, qu’il goûtait avec une cuillère pour pouvoir faire son choix », lit-on dans sa biographie. Puis Jobs reprit ses jeûnes, contre l’avis médical, alors que sa maladie s’aggravait. Il pensait pouvoir atteindre « l’illumination » en s’abstenant de manger…Peut-on chantonner le serrement d’une tête de gendarme entre les fesses rebondies d’une matrone ? Et fredonner qu’on adore les pandores sous forme de macchabées ? Georges Brassens nous invitait à le faire en 1955 avec « Hécatombe ». Mais un Breton qui s’était avisé de l’imiter, cette année, a subi la vengeance des cognes et une condamnation pour outrage… Nous ne nous permettrons pas d’imaginer ce juge criant « Maman » sous les assauts d’un gorille : ce serait retomber dans l’outrage avec Brassens. Mais tout de même, il faut bien convenir que les libertés du temps jadis, comme les dames du même tonneau, ont perdu de leur vigueur. Crier « Mort aux vaches » n’est plus toléré qu’à la campagne, et encore, sous réserve de n’être pas dénoncé à Brigitte Bardot. Mieux vaut donc aujourd’hui, sur les conseils de l’oncle Georges, rester silencieux sur son balcon, à voir passer les cons.
Présidentielle. Copé taille le projet socialiste en pièces
Après la séquence « primaire », la majorité présidentielle tente de reprendre la main. Dans un entretien à Ouest-France, le secrétaire général de l'UMP, Jean-François Copé s'en prend durement aux élus locaux socialistes et à François Hollande.
Pour vous, l'accord européen s'attaque-t-il aux causes de la crise ?
Absolument. C'est d'ailleurs le principal acquis de cet accord historique obtenu par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Pour la première fois depuis le début de la crise des dettes souveraines, nous n'avons pas seulement des mesures de replâtrage. Ça ne veut pas dire que ça règle tout, mais nous avons les quatre piliers structurels pour le moyen terme.
C'est-à-dire ?
Pour que cet accord dure, il y a des contreparties budgétaires. Comment va-t-on faire côté français ?
Je travaille avec Bruno Le Maire à la préparation de notre projet. Mon intuition est que le prochain quinquennat sera celui de la vertu budgétaire. D'ailleurs, il y a dans la feuille de route l'adoption d'une règle d'or pour tous les pays de la zone euro. Il appartiendra aux socialistes de dire ce qu'ils en pensent !
Où trouve-t-on l'argent, en France, pour financer les déficits et rembourser la dette ?
Nous devons à la fois travailler pour améliorer les recettes, mais nous devons aussi impérativement baisser les dépenses inutiles. L'État a fait de gros efforts et n'augmente plus sa dépense depuis près de dix ans. Mais les collectivités locales et, dans une moindre mesure, la Sécurité sociale sont concernées au premier chef. Les dépenses des Régions et des départements socialistes explosent... Pour ne donner qu'un exemple de ce décalage : l'an dernier, l'État a diminué son nombre de fonctionnaires de 35 000, alors que les collectivités locales l'ont augmenté de 38 000 !
Côté recettes, où pouvez-vous « taper » ? La surtaxe sur les hauts revenus rapportera peu...
C'est d'abord une mesure de justice et de solidarité. Mais arrêtons de faire croire que l'on va régler le problème de la dette uniquement en surtaxant les plus fortunés. Ce n'est pas à l'échelle du problème. Au contraire, nous risquons d'encourager les délocalisations des plus fortunés et in fine, ce sont les classes moyennes qui paieront.
Les socialistes proposent de piocher dans les niches fiscales. C'est idiot ?
Ce sont des augmentations d'impôts ! Les déductions fiscales ont été créées pour aider l'économie. Ce serait dommage, par exemple, de supprimer les zones franches dans les quartiers difficiles, le soutien à la création cinématographique ou le crédit impôt recherche. La plus grande niche fiscale, ce sont les allégements de charges sociales. C'est ce qui permet d'être compétitif !
N'y a-t-il rien de bon dans le projet socialiste ?
Nous l'avons chiffré : c'est 255 milliards d'augmentation des dépenses sur cinq ans ! Comment M. Hollande se positionne-t-il sur les 60 000 créations d'emplois publics dans l'Éducation nationale alors qu'il n'en a pas le premier euro pour la financer ? Qu'est-ce qu'il fait sur sa promesse du retour à la retraite à 60 ans ? Ou sur le nucléaire ? Il est tiré vers le bas par sa relation avec Eva Joly qui est plus gauchiste qu'écologiste et qui exige, comme préalable à une alliance avec les socialistes, l'anéantissement de notre filière nucléaire. Être chef de l'État, ce n'est pas simplement faire des bonnes blagues. C'est être capable de prendre des décisions difficiles au service du pays, y compris lorsqu'elles peuvent être impopulaires.
François Fillon a-t-il raison de se parachuter à Paris ?
Je prends acte des choix électoraux du Premier ministre. J'essaie de jouer les Casques bleus. L'image que donne l'UMP à Paris est désastreuse pour notre famille politique. J'ai travaillé avec les élus parisiens à la composition d'une équipe qui créera, je l'espère, une nouvelle dynamique à Paris.
L’heure des Frères a sonné
En Tunisie, ce 23 octobre, en Libye, en Égypte, en Syrie, et peut-être aussi en Algérie, les fondamentalistes gagnent du terrain. Ils se veulent rassurants. Faut-il les croire ?
La capture et la mort de Mouammar al-Kadhafi le 20 octobre à Syrte (blessé, sans doute lynché, il a été tué d’une balle dans la tête) ont mis fin à quarante-deux ans d’un règne sans partage, au terme de près de huit mois de guerre civile (plus de 30 000 morts et disparus). Dès le 23 octobre, le Conseil national de transition (CNT) proclamait la “libération” de la Libye et la nouvelle règle du jeu : la loi coranique (charia) devient la “source essentielle” du droit, « donc n’importe quelle loi contredisant les principes de l’islam est légalement nulle », confirmait Moustapha Abdeljalil, le président du CNT.
L’islam modéré jusque-là pratiqué en Libye sera durci, avec le retour à la polygamie (jusqu’à quatre femmes, sans leur autorisation), l’interdiction du divorce, la répudiation, la lapidation. Une phase de doute commence, la seule certitude résidant dans la place éminente prise par les islamistes au sein du nouveau régime et de ses forces combattantes, notamment à Tripoli. On observe la même évolution en Tunisie, en Égypte et sans doute déjà en Syrie, en Algérie et ailleurs où souffle le vent des “révolutions arabes”. Partout l’heure des Frères musulmans et de leurs cousins fondamentalistes a sonné. En Libye, leur agenda est autant politique que religieux.
Aidés par des fonds venus du Golfe, les plus exaltés d’entre eux croient pouvoir reconstituer un califat islamique. Ancré au cœur de la Méditerranée, face à l’Italie et à la Grèce, enserré entre les deux puissances arabes du continent africain, l’Algérie et l’Égypte, ce nouvel État islamique modifie le paysage géostratégique méditerranéen et nord-africain. L’enthousiasme religieux, l’organisation et la détermination des militants fondamentalistes et leur réputation d’honnêteté annoncent la même évolution en Égypte, à la veille du vote de fin novembre, comme en Algérie où le régime FLN d’Abdelaziz Bouteflika semble à bout de souffle, même si son régime de fer et sa manne pétrolière le préservent du “printemps arabe”.
À sa façon – douce, démocratique, rassurante –, la Tunisie vient d’ouvrir la route à ces changements qui voient progresser partout la charia. Le pays a voté massivement (90 % de participation), ce 23 octobre, pour la première élection libre depuis la chute du régime Ben Ali en janvier. Le parti Ennahda (“Renaissance”) réalise une belle percée. C’était prévu.
L’AKP turc est érigé en modèle au Maghreb
« La situation a changé », disent les islamistes tunisiens, derrière leur vieux chef, Rachid Ghannouchi, 70 ans, revenu à Tunis le 30 janvier dernier, après vingt-deux ans d’exil. Ennahda serait le premier mouvement arabe à réaliser ce que le parti “islamiste modéré” turc AKP a réussi en Turquie, depuis sa première victoire en 2002. S’installer au pouvoir et y rester.
Dans chacun de leurs meetings, placés sous une belle couleur bleu Méditerranée et pas vert islam, les islamistes tunisiens se veulent rassurants. Leur approche de la politique aurait changé, affirment leurs dirigeants. Ils en ont convaincu la diplomatie française, plutôt confiante, comme les propos récents d’Alain Juppé en Égypte et de l’ambassadeur Boris Boillon en Tunisie le montrent.
Les Frères tunisiens – comme en Égypte – affichent un agenda politique national, démocratique, sans aucune intention djihadiste –internationaliste – cachée. Ils se réfèrent en permanence à la Turquie de l’AKP, dont le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a été récemment accueilli à Tunis par les islamistes tunisiens. Mais l’AKP est-il le meilleur exemple à présenter ? Ce parti “islamiste modéré” démantèle en effet le modèle politique national laïc légué par Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne. Ennahda pourrait réserver le même sort à la Tunisie laïque, modèle jugé trop “désarabisé”, c’est-à-dire trop occidentalisé.
On peut faire confiance aux Frères musulmans en Égypte et au parti Ennahda en Tunisie, croire nos diplomates dont on ne sait pas bien s’ils prennent leurs désirs pour des réalités ou si leur analyse est lucide. Il faut aussi écouter ce qui se dit à Tunis et au Caire, dans les milieux laïcs, où on lit et écoute les programmes islamistes, depuis des années. Tous annoncent une poussée du conservatisme religieux – « Pour-quoi s’en priveraient-ils s’ils ont la majorité ? » –, des reculs progressifs sur le statut de la femme, sur les règles du mariage et de l’héritage, sur les vêtements et l’alcool.
L’Égypte et la Tunisie viennent de vivre des coups de fièvre islamistes : des manifestations “spontanées”, plus ou moins violentes, dans les universités, devant la télévision d’État, devant des cinémas ou des bars. Téléguidés ou pas, ces mouvements sont des signaux qui traduisent l’impatience et l’ambition des fondamentalistes. Réprimés durement par les régimes précédents, ils espèrent beaucoup des urnes : leur revanche et l’application des idées pour lesquelles ils ont tant souffert.
Rachid Ghannouchi a pris ses distances avec les plus exaltés de ses “frères”, notamment ceux qui réclament l’instauration d’un nouveau califat : « La Tunisie sera une société démocratique, un modèle pour le monde arabe », a-t-il récemment dit à Istanbul, approuvé par les dirigeants de l’AKP. Modeste, Ghannouchi annonce qu’il veut gouverner au sein d’une coalition, « pour au moins cinq ans ».
Ne pas décrocherPour Nicolas Sarkozy, cela devait friser l’overdose. Négocier avec les Allemands, et pas seulement avec la chancelière, n’est pas tout à fait la partie de campagne dont rêvent les socialistes. Entre la création, le 21 juillet, du Fonds européen de stabilité financière et le plan qui devait être annoncé ce mercredi 26 octobre à Bruxelles, le président français et la chancelière allemande se seront rencontrés à sept reprises en tête à tête ou en session élargie.
Le 19 octobre, à quatre jours du Conseil européen de Bruxelles, le président de la République négociait encore à Francfort, au moment même où son épouse, Carla, était en train de mettre au monde leur fille, Giulia. C’est dire si l’autre accouchement était difficile. Il paraît que les Allemands étaient exaspérés par cette présence inopinée du chef de l’État – et lui-même alors ! Une telle obstination à prolonger de quelques heures, de quelques jours, une négociation pied à pied n’avait d’autre justification que d’éviter absolument toute impasse.
Les marchés financiers y croyaient depuis quinze jours : ils attendaient un accord, en estimant que les Français et les Allemands n’avaient pas le choix. Ou alors, ce serait la déflagration : les investisseurs se seraient mis à attaquer brutalement nos titres. Pour comprendre, encore faut-il savoir ce que sont ces “marchés financiers”, leurs interrogations et leurs réactions. Si nous dépendons d’eux, c’est tout simplement que nous vivons à crédit.
Sous la IVe République, nos ministres des Finances se succédaient à Washington pour y chercher de quoi assurer nos fins de mois. Nous n’allons plus à Washington, mais nous empruntons sur les marchés 220 milliards d’euros par an, ce qui représente trois fois le budget de l’Éducation nationale, quatre fois les crédits militaires. La dette nous coûte 50 milliards en intérêts. Or les deux tiers de ces emprunts sont détenus par des fonds étrangers.
Ces fonds, ce n’est pas de la finance virtuelle, des milliards qui se promèneraient ici ou là au gré des spéculations, c’est de l’argent très concret, celui de caisses d’assurances, de caisses de retraite, c’est le crédit qui fait tourner nos économies. Que veulent-ils ? Acheter de la sécurité, des placements sûrs. Les États européens ne faisaient pas faillite. Mais, depuis la crise grecque, ils peuvent faire faillite. Alors les investisseurs se tournent vers les gouvernements pour leur demander : quels engagements prenez-vous pour ne pas être en défaut de paiement, quelles garanties nous donnez-vous ?
Tout est là : si l’on soutient la Grèce, si l’on accepte de passer la moitié de sa dette par pertes et profits, ce n’est pas par philanthropie. C’est que, si nous ne le faisions pas, nos banques sauteraient sous les effets cumulés de la contagion qui gagnerait les autres dettes souveraines, nous dissiperions notre épargne en surpayant ce que nous devons emprunter. On peut toujours refaire l’histoire, regretter le franc, le “oui” à Maastricht, le temps de l’inflation et des dévaluations, nous n’échappons pas à nos responsabilités et à nos contraintes. La solidarité européenne en est une, elle passe par la solidarité franco-allemande.
Ce que l’on attendait de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel, ce n’était ni un compromis ni une promesse, mais de la détermination. La décision de transformer la gouvernance économique et financière européenne autrement qu’en la confiant au fantomatique M. Van Rompuy. Quand on crée un Fonds européen de stabilité, on ne peut plus attendre trois mois de délibérations et dépendre du vote slovaque, quelle que soit sa légitimité. Cette détermination nous est aussi nécessaire pour aller chercher en nous-mêmes les ressources de la compétitivité afin de cesser de perdre pied dans la concurrence mondiale.
Samedi dernier, Henri Guaino, le conseiller spécial du président de la République, était à Égletons, en Corrèze, sur des terres chiraquiennes devenues celles de François Hollande, pour y annoncer : « Après un long cycle d’endettement, un cycle de désendettement commence. » Propos qu’il accompagnait par cet avertissement : « Si rien n’est fait pour trouver des solutions raisonnables, c’est la colère des peuples qui dictera ses solutions déraisonnables. »
Le cycle du désendettement que la crise nous impose s’inscrit dans nos engagements budgétaires : 23 milliards d’économies cette année, 45 milliards l’an prochain et 58 l’année suivante. Il est en effet urgent de réduire une dépense publique qui dépasse les 56 % de notre production de richesses si nous voulons permettre à nos champions de respirer. Eux ont accompli ces restructurations que l’État commence à entreprendre. Ce n’est pas le moment de décrocher.
Dans une vie antérieure, j’ai été localier en Corrèze et je me souviens du discours de Chirac à Égletons, en 1976, pour le lancement du RPR. Le dégagement inopiné sur un “travaillisme à la française” avait surpris. Du temps s’est écoulé, Chirac a connu le destin que l’on sait et la Corrèze a renoué avec ses ancrages à gauche en se donnant à Hollande.
Les mannes de Queuille ne s’en plaignent pas. Henri Guaino, le conseiller de Sarkozy, a décidé de s’inviter dans la campagne présidentielle, jugeant peut-être que l’activisme des membres du gouvernement et des responsables de l’UMP manque de cohérence, de conviction et de panache. Le goût concomitant de la symbolique et de la bravade lui a suggéré de commencer sa campagne à Égletons précisément, au cœur de l’ancien fief de Chirac, dans le département où Hollande, lors des primaires socialistes, a réalisé des scores staliniens.
C’était ce samedi 22 octobre. Guaino m’ayant convié à titre amical, je l’ai rejoint d’autant plus volontiers que la rumeur ambiante promet une déroute à Sarkozy. Plus personne ou presque ne se risque à le soutenir, ce serait moche de le lâcher. Parmi les fidèles rassemblés autour du maire d’Égletons, Michel Paillassou et de rares élus “de droite”, j’ai reconnu quelques chiraquiens du temps jadis, venus sous le soleil d’automne entretenir les souvenirs d’un long printemps politique entre l’irruption sur nos arpents du jeune cow-boy pompidolien en 1967 et la prise de l’Élysée en 1995. Guaino savait bien que la Corrèze n’est guère sarkozyste, et pas très gaulliste non plus. Il n’en a eu que plus de mérite à se faire longuement acclamer, au terme d’un discours dont l’auditoire a apprécié l’altitude et la tonalité.
Pas de démago, pas de coups bas, juste un parallèle avec Guy Mollet pour camper Hollande en héritier de la SFIO de la basse époque plutôt que de Jaurès et de Blum. Exaltation des vertus “républicaines”, invocation de De Gaulle, de Malraux et de Péguy, défense du bilan de Sarkozy dont il a loué la perspicacité (crise de 2008), le courage (réforme des retraites), l’audace (Libye). Il a dénoncé l’irrespect vindicatif des médias et des politiciens, ce lynchage quotidien sans équivalent sous la Ve République. Guaino n’est pas stricto sensu un politique, et son naturel le porte à brûler ses cartouches. Il peut, il doit donner du souffle à la campagne car son lyrisme sonne juste et aucun discrédit ne le handicape. Il n’est ni usé, ni désabusé. En 1995 dans l’ombre de Chirac, en 2007 aux côtés de Sarkozy, son influence fut bénéfique. Elle le sera encore si les divers “entourages” ne lui tirent pas dans les pattes.
Le comportement de l’équipe de France face aux All Blacks en finale de la Coupe du monde devrait réconforter Sarkozy. Les joueurs et leur sélectionneur se chamaillaient à ciel ouvert comme font jour après jour les ténors de l’UMP. Contre les Tonguiens puis les Gallois, les tricolores ont été aussi calamiteux que l’ensemble des dirigeants de la majorité dans leurs joutes contre les socialistes. Les médias les ont vilipendés, l’opinion a pris ses distances. Les All Blacks avaient gagné tous leurs matchs depuis le début de la compétition, et réglé sèchement leur compte aux Australiens en demi-finale. Bref, la raclée semblait aussi inéluctable que la future déroute de Sarkozy face à Hollande, après ces vagues roses qui ont fini par déloger Larcher du Sénat. Or, Dusautoir et ses équipiers ont pris les Néo-Zélandais à la gorge dans leur antre d’Auckland ; ils auraient amplement mérité une victoire qui s’est refusée par pur caprice des divinités ovales. Humiliation, puis rédemption : ce scénario à la Dostoïevski trahit notre tempérament national ; nous sommes apathiques ou survoltés, misérables ou empanachés. Nos engouements ont la vie courte mais, grâce au ciel, nos désarrois aussi. Rien n’est perdu, surtout quand tout va de mal en pis.
Pendant plus de deux mois, six prétendants à la candidature présidentielle ont monopolisé la scène publique sans aborder la politique internationale, ni l’impact des flux migratoires sur l’avenir de la France. Rien sur l’Allemagne, rien sur la Grèce ; des vœux pieux sur la Chine et les pays émergents. C’était une compétition, soit, il fallait plaire en arrondissant les angles et sans afficher les détestations mutuelles. Mais alors, pourquoi ce délire unanime des commentateurs survalorisant ces “primaires citoyennes” jusqu’à les ériger en modèles de bonnes mœurs démocratiques ? Elles n’auront été qu’un jeu de la fortune télévisuel, ni plus ni moins captivant qu’un concours de beauté.
La Chine à la rescousse... sous conditions
L’Europe développée se tourne vers la Chine en quête de liquidités. Ce qui en dérange plus d’un tant en Europe qu’en Chine. Certains Européens soutiennent que l’UE n’en est pas rendue au point de mendier auprès de Pékin. Apparemment, là-bas, beaucoup estiment que l’UE devrait réclamer des fonds à la Chine, sans pour autant lui proposer de contrepartie.
Le débat fait rage en Chine aussi
En Chine, les débats font rage. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi la Chine devrait tendre la main à l’Europe, quand la ville de Wenzhou se trouve elle-même endettée.Pékin et Bruxelles ne sont pas unis par des liens d’une amitié indéfectible au point de pouvoir tendre sans hésiter la main à l’autre dès qu’il traverse une crise. Les deux camps se livrent pour l’heure à des calculs. Un scénario encore compliqué par les opinions publiques – de part et d’autre, on trouve des analystes qui, au mépris du professionnalisme, préfèrent flatter les bas instincts d’un populisme hystérique.
Peut-être l’ampleur de la participation chinoise au plan de renflouement de la zone euro a-t-elle été décidée au nom de l’intérêt commun, tout en tenant compte de la méfiance mutuelle entre les deux parties.
La Chine ne peut se tenir à l’écart, puisque ses intérêts sont étroitement liés à l’Europe par la mondialisation. Mais d’un autre côté, la Chine ne va pas offrir une “grosse surprise” à l’Europe. Même les économies plus saines au sein de la zone euro répugnent à aider la Grèce. En tant qu’acteur extérieur, Pékin ne peut résoudre un problème que seuls les membres de la zone euro sont en mesure de régler.
Si l’UE tient vraiment à obtenir le financement de la Chine, elle doit envisager d’ouvrir davantage son marché aux produits chinois, tout en acceptant la position de la Chine en tant qu’économie de marché. Si Bruxelles estime qu’il ne vaut pas la peine de passer des “arrangements” de ce type, la Chine ne fera rien pour l’y contraindre.
L'Europe fait figure de pingre
Pour les Chinois, c’est faire preuve d’ignorance que d’établir un lien entre le plan de renflouement de la zone euro et la crise de la dette de Wenzhou. Le premier concerne l’usage que fait Pékin de sa réserve de devises étrangères, qui ne peut pas servir à sauver les entreprises abandonnées par des patrons en fuite à Wenzhou. En tant que puissance mondiale, la Chine devrait aider ceux qui ont été touchés par une crise ou une catastrophe. Les Chinois devraient comprendre qu’un pays qui ne se préoccupe que de ses intérêts en faisant fi de la moralité finira par être détesté.Mais les Européens devraient, eux, s’interroger sur eux-mêmes au lieu de reprocher à la Chine de jouer les pingres. Ils rejettent le système chinois et ne veulent pas exporter de technologies en Chine. Chaque fois qu’une entreprise chinoise investit en Europe, l’opinion publique locale s’enflamme. Ils redoutent que la Chine n’en apprenne trop auprès d’eux et qu’elle n’ait ainsi encore plus de succès. Tout ce qu’ils veulent, c’est se reposer sur leurs anciens acquis tout en restant aux commandes.
Avec une telle mentalité, c’est l’Europe qui fait figure de pingre. Il ne faut pas trop politiser la participation chinoise au plan de renflouement de la zone euro. Elle devrait se dérouler dans un cadre civilisé, dont les règles tacites seraient claires pour les deux parties.
Point de vue
Une contrepartie cher payée
PARIS - Chine: le FESF "perte d'indépendance de l'Europe", pour Bayrou
Le président du MoDem, François Bayrou, a estimé vendredi soir au JT de TF1 que le recours à la Chine pour soutenir le Fonds européen de stabilité financière (FESF) provoquerait une "perte d'indépendance de l'Europe" et "qu'on sera moins armé" dans les relations avec Pékin.
Le leader centriste a jugé que la question était "extrêmement grave et troublante".
François Bayrou a notamment souligné "le jeu que la Chine fait avec sa monnaie, qu'elle sous-estime", faisant baisser les prix des produits chinois, "une concurrence qui n'est pas loyale".
Le président du MoDem a aussi déploré qu'"on (accepte) que la Grèce efface ou en tout cas que la Grèce ne rembourse pas 50% de sa dette".
Conséquence selon lui, un renforcement du "doute" et du "soupçon" à l'égard des autres pays plutôt que de la "confiance". "On est dans la défiance et il n'y a rien de plus contagieux que la défiance, et cela, ça touchera tous les pays, y compris la France", a-t-il estimé.
Le député a regretté que la France "(adhère) à la stratégie de l'Allemagne".
Concernant l'interview télévisée de Nicolas Sarkozy, avec lequel il s'est entretenu mardi à l'Elysée, M. Bayrou a déploré qu'il n'y ait pas d'"avenir" dans le discours du chef de l'Etat.
En revanche, "je veux bien lui faire crédit de ce qu'hier soir il était plus président que candidat en campagne", a déclaré le président du MoDem.
La Grèce caricature Merkel en uniforme nazi
Alors que l'Europe se targue d'avoir trouvé une issue à la crise de la dette et d'avoir sauvé la Grèce de la faillite en réduisant de moitié sa créance, le pays semble avoir pris en grippe Angela Merkel qu'il compare à un officier nazi.
Si tout le monde s'est félicité des accords passés lors du dernier sommet européen, il semblerait que la population grecque n'ait pas apprécié les mesures d'austérité imposées à leur pays en contrepartie d'une réduction partielle de la dette. Ils n'hésitent d'ailleurs pas à comparer le gouvernement d'Angela Merkel, la chancelière allemande, au régime nazi qui occupait le pays durant la Seconde Guerre mondiale.
Angela Merkel est personnellement visée. Traitée de danger public, elle apparaît en uniforme d'officier SS, arborant un brassard dont la croix gammée est aurolée des étoiles du drapeau européen. En dépit d'une réduction de 50% du montant total de leur dette (estimée à 200 milliards d'euro) auprès des banques, les Grecs se montrent furieux des décisions prises lors du sommet européen de mercredi malgré le soulagement du Premier ministre socialiste George Papandreou estimant que les accords évitaient à la mort de la Grèce.
Les partis d'oppositions ont fustigé cet accord historique, furieux de voir leur pays condamné à "neuf années supplémentaires d'effondrement et de pauvreté". Une fureur qui dépasse désormais l'hémicycle du gouvernement et du parlement grec. Outre la photo d'Angela Merkel, de nombreuses satires croquent les représentants du gouvernement grec, que l'on voit la ceinture serrée, en train de reproduire le salut hitlérien, tandis que les touristes allemands qui visitent les monuments historiques de la ville sont accueillis par une population hostile.
L'ingérence de Berlin dans les affaires intérieures grecques a fait renaître une inimitié historique et nombreux comparent celle-ci à la destruction massive du pays par l'armée hitlérienne, il y a plus de 65 ans de cela. (LS)