TOUT EST DIT

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jeudi 14 novembre 2013

Le peuple Grec a déposé sa motion de censure, nous devons organiser la solidarité et la résistance!


Que se passe-t-il en Grèce ? Une dérive pour le moins autoritaire, une répression permanente, quasi-systématique des mouvements sociaux, la mise à bas d’un pays qui sombre dans une crise humanitaire. Responsable de Syriza à Paris, Vangelis Goulas a fait parvenir à l’humanite.fr un texte dans lequel il décrypte la situation dans son pays. Il en appelle à la résistance.
Quinze mois après le verdict du peuple grec, qui, dans les urnes, a ordonné l’annulation  du mémorandum, qui a ordonné de mettre fin aux mesures d’austérité brutales et inefficaces, maintenant nous sommes tous au courant que le gouvernement de Samaras a échoué !
Le Parlement a perdu les dernières traces d’une relative autonomie face aux financiers ; le Gouvernement est soumis aveuglement aux dictats de la troïka après avoir perdu toute souveraineté en votant le mémorandum, cet accord qui traite la Grèce comme une Compagnie et non pas comme un pays, traite les Grecs comme des salariés prêts à être licenciés au nom de la compétitivité de l’économie, traite les Grecs comme une main d’œuvre qui coûte chère et non pas comme des citoyens.
Récession, démolition de tous les droits des salariés de privatisations, licenciements, nouvelles baisses dans les salaires et les prestations sociales, en réponse aux luttes syndicales le gouvernement grec réquisitionne les grévistes en invoquant des lois d’exception, applicables en temps de guerre ou lors de catastrophes naturelles !
La réduction brutale des dépenses publiques de santé et de protection sociale et l’augmentation continue du nombre des personnes privées de couverture sociale crée une situation proche de la catastrophe humanitaire. Fermetures d’hôpitaux et d’écoles, la grande « braderie » des biens publics grecs, mise en vente d’infrastructure publique à un prix scandaleux, le vol en bande organisé de la propriété du peuple. Mise en disponibilité forcée de dizaines de milliers de salariés du public.
Le contrat social mis en place par le bipartisme depuis 40 ans après la chute du régime des colonels a pris fin ! Le peuple subit un régime en pleine dérive autoritaire.
Ainsi à Skouries, au Nord de la Grèce, lieu emblématique des luttes écologiques. L’État grec a vendu les droits d’exploitation d’une surface de 317.000 km2, dans de scandaleuses conditions, à la société canadienne Eldorado Gold et sa filiale grecque, Ellinikos Hrisos (Or grec). La valeur de ces mines est estimée à 12 milliards d’euros, Eldorado Gord n’ayant payé que 11 millions à l’État grec pour leur acquisition. La police, au lieu de protéger les intérêts du peuple, est utilisée comme une armée de mercenaires pour servir les intérêts des colonialistes modernes.
C’est un nouveau Guantanamo ! Des militants kidnappés, battus, sans droit à la présence d’avocat, pendant plusieurs heures, c’est la réponse du gouvernement aux luttes sociales et écologique des habitants de la région qui veulent empêcher la destruction de l’ancien foret des Skouries, planifiée par les prospecteurs d’or.
Récemment le journaliste Costas Baxevanis à relever un scandale de première ampleur : le secrétaire d’état au développement, et responsable d’investissement de l’or dans le pays, a, dans le passé récent et longtemps été cadre dirigeant de la société américaine Fidelity, qui a récemment obtenu, grâce à sa participation dans le groupe d’entreprises «Eldorado Gold» - des licences pour l’exploitation des mines d’or en Chalcidique.
La criminalisation des luttes politiques et syndicales est aussi scandaleuse.
Le gouvernement grec a procédé en juin à la fermeture par décret de l’organisme de l’audiovisuel public (ERT) sous prétexte d’économies. Cette décision, non légitime, entraine le licenciement de 3000 travailleurs.
Cette mesure porte atteinte à la liberté d’expression. L’assemblée générale des travailleurs d’ERT a décidé l’occupation du siège et des studios de l’organisme, ainsi que la poursuite du programme afin d’en informer la population. Des milliers de personnes ont afflué chaque soir autour du siège de la télévision publique.
Il y a cinq mois, ils ont décidé comme des putschistes en légiférant par ordonnance de fermer ERT sans consulter le parlement.
Pendant des mois, ils ont refusé de se conformer à la décision du  Conseil d’État. ERT doit rester ouverte, ils continuent d’être hors la loi car ils n’ont pas soumis au vote du parlement même cette décision par ordonnance.
Hier, de façon provocante, ils ont décidé de donner les licences aux propriétaires de chaînes privées fonctionnant pendant des années avec des permis temporaires qu’ils n’ont jamais payé ils ont par la même occasion donné la propriété publique de fréquences numériques.
Et deux jours plus tard, ils ont envahi avec les forces de police, le bâtiment de la radio publique grecque et de la télévision.
Il ne fait aucun doute qu’ils n’ont plus aucune base sociale, aucune légitimité populaire. Leur seul allié, une petite oligarchie des entrepreneurs qu’ils favorisent par leurs décisions. Mais juste parce qu’ils ont perdu toute légitimité sociale et populaire, ils deviennent de plus en plus dangereux pour la démocratie.
Syriza conformément à l’article 142 du Parlement hellénique, en réponse à l’actuelle intervention autoritaire dans les bâtiments de la ERT a déposé une motion de censure en raison des violations persistantes de la légitimité démocratique et les politiques d’austérité menées par ce gouvernement, ils ont plongé le pays dans le chaos .Le gouvernement des mémorandums et des serviteurs de la Troïka doit partir ! ! ! Hier soir pendant la discussion de la motion de censure le président de SYRIZA premier opposition du pays Alexis Tsipras a prononcé un discours brillant, sans manger ses mots en dénonçant les intérêts des oligarques du pays de manière nominative.
Le premier ministre Samaras sans avoir d’autres arguments a applaudi d’une manière ironique.
Selon la constitution et le règlement intérieur du parlement le discours du chef de l’opposition est suivi par celui du premier Ministre.
Hier soir le discours de  Alexis Tsipras a été suivi par celui du vice-président du gouvernement E. Venizélos et par celui du ministre de la économie Stournaras pour préparer le terrain pour le discours de Samaras, mais toujours pas des arguments, toujours de mauvaise foi et des attaques personnels a A.Tsipras .Discours pour rigoleur mais en même temps pour pleurer. Le discours le plus pathétique par le premier ministre le plus pathétique dans l’histoire du parlement. La dégradation volontaire  de la vie politique et  du parlement.
Ils sont au courant eux-mêmes que ça ne peut pas durée ! Le peuple grec a déposé sa motion de censure, ils doivent lui rendre compte !
Nous appelons à une révolution citoyenne et pacifique, ce gouvernement doit partir.
SYRIZA et les forces politiques qui militons ensemble,  nous devons viser à contribuer de toutes nos forces à la formation et au développement d’un mouvement populaire massif et puissant, un mouvement de résistance aux mesures impopulaires que cherchent à imposer les mémorandums, un mouvement de désobéissance à l’autoritarisme droitier de l’état et du patronat ,nous devons annuler des mémorandums et des lois applicables, mettre en place un plan de relance économique et sociale.
Le grand pari pour Syriza et le peuple de gauche, c’est d’organiser la solidarité, c’est d’accueillir tous ces citoyens qui nous soutiennent pour qu’ils viennent en aide aux plus faibles gravement touchés par les mesures d’austérité.
Aucun concitoyen ne doit manquer de médicaments, d’électricité.
Le peuple grec, la classe ouvrière, les jeunes, les femmes et les immigrés tous ensemble nous devons organiser la solidarité et la résistance : nous devons continuer à nous battre au parlement et dans la rue pour faire reculer et annuler ce pacte budgétaire afin de regagner la souveraineté de notre pays, de retrouver une justice sociale, de faire renaître la démocratie dans son berceau et dans toute l’Europe.
Nous sommes déterminés à gagner : Résistance !

    « Humour » nostalgique

    « Humour » nostalgique


    L’humour et la provocation sont deux domaines où la France excelle. On le sait depuis fort longtemps. Il fut des époques où l’humour conduisait en prison. Les impertinents purent même passer pour les hérauts de la liberté. Leurs descendants ne risquent plus la bastonnade ou la cellule. Cela ne donne pas pour autant le droit de camoufler l’ignominie sous les oripeaux de la caricature.
    La « Une » de Minute s’égare dans les mêmes marigots que certaines feuilles d’avant-guerre. Le débat politique d’alors était souvent brutal. Il a pu tuer, à l’image du suicide de Roger Salengro. Quelques-uns de ces journaux allèrent jusqu’à ouvrir leurs colonnes aux pires théories raciales. On pensait la France d’aujourd’hui vaccinée. Erreur.
    La liberté de la presse est vitale, mais, comme toutes les libertés, elle doit se fixer ses propres limites. Les attaques contre Christiane Taubira les ont franchies en jouant sur les mots et les images. Les journalistes de Minute pensent n’avoir usé que de leur droit à l’irrévérence. La justice devra se prononcer sur ce point. Comparer cette affaire à celle des couvertures de Charlie Hebdo dénonçant les djihadistes musulmans est un argument fallacieux. La lutte contre le fanatisme ne saurait être comparée à un douteux amalgame.
    Pierre Desproges disait que l’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. L’extrême droite veut faire croire que l’on peut rire de tout en faisant n’importe quoi. Pas n’importe quand en l’occurrence. La crise donne des ailes aux extrémistes. La multiplication des attaques contre la garde des Sceaux n’a rien de surprenant. Elle concentre bien des rancœurs, parfois à cause de son militantisme. Ses adversaires, jamais remis de l’élection de 2012, emploient tous les moyens pour prendre leur revanche, quitte, pour certains, à nier les règles les plus élémentaires de la démocratie.
    Les sondages calamiteux pour les partis traditionnels, comme les résultats des élections partielles, alimentent le triomphalisme de ceux qui aimeraient capter le ras-le-bol actuel. On devine même chez certains des penchants pour une croix mal gommée. Ils nous renvoient aux pires moments de notre histoire.

    Entrée dans l'inconnu : le nouveau visage des ressentiments et des tensions qui bouillonnent au sein de la société française


    Les huées visant le président de la République lors des commémorations du 11 novembre témoignent de l'exacerbation des tensions sociales. Radiographie des nouvelles fractures françaises.

    Confronté notamment à la fonde des bonnets rouges, François Hollande a été pris à partie par de nombreux manifestants durant les célébrations du 11 novembre. Une première pour un chef d’État français. Dans une interview avec le New York Times, Barack Obama révélait au printemps dernier son inquiétude quand à l'exacerbation des tensions sociales aux Etats-Unis évoquant même "une lutte des classes moyennes".  Quels éléments permettraient de conclure à une montée des tensions entre groupes sociaux en France ?

    Christophe Noyé : Les périodes de crises économiques sont propices à l’exacerbation des tensions sociales car les fragilités sociales se développent et menacent des groupes jusqu’alors plus protégés. La crise économique que traverse une partie de l’Europe, dont la France, se déroule dans un contexte de volonté des gouvernements de contenir la dette publique. C’est un facteur d’aggravation  des tensions car dans le même temps, la crise provoque une augmentation des besoins sociaux, un recalibrage à la baisse des aides et des publics couverts, et une augmentation de la contribution fiscale des ménages. On peut lire dans certains mécontentements, qui se sont exprimés récemment, la réticence de certaines fractions de la population à poursuivre le financement d’un système dont les bénéfices leurs semblent réservés à une part de plus en plus minoritaire de la population. Il s’agit dans ce cas plus d’une remise en question de la validité du système social dans ses nouvelles modalités que de véritables tensions entre groupes sociaux.
    Jean Spiri : Les tensions sociales sont palpables. Vous vous souvenez du récent rapport des préfets sur les angoisses des Français, un constat qui s’amplifie d’année en année depuis que Jean-Paul Delevoye, alors Médiateur de la République, avait tiré la sonnette d’alarme en décrivant une société fracturée et "usée psychologiquement". Je suis élu local, et l'ensemble de mes pairs ressentent les mêmes inquiétudes sur le terrain, quelle que soit d’ailleurs leur terre d’élection : la France est en état de stress et de dépression. La question que nous nous posons avec inquiétude est : qu'est-ce qui peut faire passer le peuple français de la peur de la dégradation et du déclassement, à la colère dans la rue? Nous voyons des signes inquiétants : les événements du 11 novembre en sont un exemple, le mouvement breton en est un. Quand on rappelle que "la loi est la loi", "la République est intouchable", par exemple sur les réseaux sociaux, les réactions sont de plus en plus violentes, avec comme idée centrale que cette colère doit bien s’exprimer, qu’elle est légitime. Cela veut dire qu’il y a un dysfonctionnement grave dans notre démocratie, une perte de confiance jamais atteinte, et un manque aussi d’autorité. Les responsabilités sont larges : ceux qui feignent de ne pas voir ni entendre, ceux qui oublient que leur rôle est d’appeler au respect de la démocratie et de la République, et non de soutenir des mouvements hors-la-loi. Cependant, je ne crois pas tant qu’il s’agit de tensions entre classes sociales, que de tensions qui parcourt le corps de notre pays, cette classe moyenne majoritaire et de plus en plus fragile. En ce sens oui, c’est plutôt une lutte des classes moyennes, de plus en plus orientée contre un Etat qui est à la fois jugée pas assez protecteur, et en même temps trop étouffant. C’est bien cette demande confuse de nouvelles libertés autant que de nouvelles sécurités que nous sentons monter, et auquel le politique n’apporte pas de réponse. Il est intéressant de voir que l’impôt est devenu le symbole d’une certaine uniformisation des revendications : le ras-le-bol fiscal transcende les clivages sociaux, depuis les entrepreneurs du high-tech jusqu’aux éleveurs bretons, en passant par tous ceux qui payent un peu plus d'impôt sur le revenu, ceux qui ont été aussi soudainement redevables de la taxe d'habitation, ceux enfin qui voient leur épargne menacée rétroactivement de taxes. L’impôt est devenu un symbole non pas seulement par son niveau, mais aussi parce qu’aucune politique qui redonne de l’espoir n’est lisible en face. Alors,  pourquoi respecter cet Etat ? C’est le glissement dangereux qui est en train de s’effectuer.
    Michel Wieviorka : Il ne faut pas confondre exacerbation des tensions entre groupes sociaux et exacerbation entre certains groupes sociaux et le pouvoir politique. Ce sont deux questions différentes. L'exacerbation des tensions sociales qui mettent en cause le gouvernement sont indubitables. On le voit notamment en Bretagne ou à travers la fronde des patrons et des artisans. A chaque fois, c'est le pouvoir politique qui en est la cible. Entre les groupes sociaux eux-mêmes, il est plus difficile de parler de tensions vives.
    Néanmoins on peut affirmer qu'il y a clairement des distances ce qui affaiblit considérablement la thèse de la convergence des luttes qui pourrait déboucher sur une révolte générale. En Bretagne par exemple, il y a d'un côté les bonnets rouges et de l'autre la CGT et le Front de gauche. Même au niveau d'une région, il n'y a pas d'unité des luttes. Il y a des tensions entre certains groupes sociaux et l’État et par ailleurs dans cette société des questions non réglées qui concernent différentes corporations, mais aussi des minorités ou des enjeux religieux.

    Dans leur Atlas des nouvelles fractures sociales en France, Christophe Guilluy et Christophe Noyé présentent une France paupérisée dont la classe moyenne est en train de décliner.  Quelles sont plus précisément ces nouvelles fractures sociales françaises ? Quelles en sont les manifestations les plus concrètes  et comment se sont-elles creusées ces dernières années ?

    Christophe Noyé : La classe moyenne est un pur produit des Trente glorieuses. Dans un contexte de fort développement économique, les classes populaires ont connu au cours de cette période une sensible amélioration de leurs conditions de vie avec une augmentation sensibles de leurs niveaux de ressources mais aussi de bénéfices tirés de l’Etat providence : promotion sociale des enfants par l’école, logement social, protection des salariés, … La crise des années 1970 a profondément bouleversé ce système. Les classes populaires ont aujourd’hui des perspectives plus sombres tant considérant leur propre situation que celle de leur enfants ; la situation des salariés s’est fortement dégradée, les opportunités d’évolution positive pour soi ou ses enfants sont menacées par l’évolution de la structure de l’emploi, la mondialisation renforcée de l’économie. Cette fragilisation directement liée à l’évolution économique du pays se double d’une dégradation de certains systèmes de compensation. C’est par exemple le cas du parc social public, autrefois parc de début de parcours résidentiel, tremplin vers l’accession sociale, il se spécialise progressivement dans l’accueil des plus démunis notamment dans certains quartiers qualifiés aujourd’hui de "ghettos". Pour les ménages qui travaillent mais modestes, il faut faire le choix entre accepter de vivre dans un quartier dont l’image est très dégradée ou partir plus loin dans des secteurs financièrement plus accessibles mais qui contraignent à d’importants déplacements car éloignés des pôles d’emploi. Cette population, que l’on pourrait qualifier de "petites classes moyennes", est particulièrement sensible à l’évolution de son environnement, et peut aussi se sentir délaissée par les pouvoirs publics ce qui nourrit l’abstentionnisme et parfois le vote extrême.
    Jean Spiri : Oui, la classe moyenne est train de sombrerLes petites mesures qui lui permettaient de conserver un pouvoir d'achat raisonnable ont été remises en cause :refiscalisation des heures supplémentaires, remise en cause du statut d'auto-entrepreneur, hausse de l'impôt sur le revenu et sur les sociétés. Le chômage ne les épargne pas. On parle des travailleurs pauvres depuis longtemps. Et des zones entières qui sont en périls : les zones rurales les plus isolées et les quartiers en difficulté, mais aussi, comme je le rappelais dans le livre que nous avons écrit avec Elise Vouvet et Alexandre Brugère, la France périurbaine. Cette France est peut-être le symbole de ces nouvelles fractures ; le premier tour de l’élection présidentielle de 2012 avait révélé que cette fracture territoriale était aussi électorale, avec une forte poussée des extrêmes, en particulier du Front national, localisée entre 20 et 80 km autour des villes. Dans une France qui se sent délaissée, qui est passée d’un modèle d’ascension et de réalisation de soi à une peur de voir ses acquis, son patrimoine, ses revenus rognés de jour en jour, dans une France qui, dans beaucoup de régions, comme l’a montré Laurent Davezies, on vit de plus en plus des transferts et de moins en moins de son système productif propre, le malaise est grandissant. Cette fragilité de la société ne peut être séparés de ses causes : nos difficultés économiques, nos faillites éducatives, notre modèle sociale qui n’est plus adapté. Elle est de plus en plus visible dans ses conséquences qui, en sapant ce qui fait notre unité, menace notre capacité commune à imaginer un redressement, par une méfiance croissante envers une démocratie jugée inefficace, et une République jugée faible, ou à géométrie variable. Les élus locaux étaient encore épargnés par cette méfiance. Ils en sont de plus en plus victimes. J’ai été très touché par le témoignage juste et fort de Bernard Reynes, agressé le 11 novembre, et qui disait en substance que les élus faisaient de leur mieux, qu’ils pouvaient se tromper, mais que personne ne pouvait leur retirer cet engagement à essayer de changer encore et encore la vie de nos concitoyens. Même cette évidence, valable pour la très grande majorité des élus locaux, est aujourd’hui la cible de la méfiance voire de la colère. C’est inquiétant.

    Le risque de fragmentation de la société française est-il important ? Comment cette fragmentation pourrait-elle se manifester - se manifeste-t-elle d'ailleurs déjà ? Et avec quelles conséquences ?

    Christophe Noyé : A priori, on pourrait plutôt considérer que le risque de fragmentation de la société française est moins fort que dans d’autres pays qui ne bénéficient de nos systèmes sociaux redistributifs qui constituent des amortisseurs de crise. Ce qu’il faut peut-être craindre, c’est de voir émerger une remise en question du modèle social français par les populations supposées devoir en bénéficier ; classes populaires et petites classes moyennes.
    Jean Spiri : Cette fragmentation est déjà à l’œuvre, et se manifeste peut-être par le refus de plus en plus grand de penser la société dans sa globalité, pour se concentrer sur ses problèmes – l’épisode des bonnets rouges en est un exemple, la réponse particulière d’un "Plan Bretagne" en est malheureusement un autre exemple. Nous ne pouvons plus avoir un gouvernement qui agit au cas par cas, répondant à l’urgence de l’actualité. Nous ne pouvons plus avoir un président de la République qui répond autant à une actualité de plus en plus éphémère. En ces moments de crise au contraire, je crois que les mots ont de l'importance. Que le chef de l'Etat prenne la parole sur des sujets forts. Récemment, la parole politique s'est perdue dans des sujets particuliers qui ne relevaient pas du registre présidentiel : affaire Leonarda, Cahuzac.. Il nous manque une vision. La fragmentation s’accélère par une dissolution des repères politiques, de la parole, et du temps. Nous n’assumons plus rien : qui osera encore vous dire que l’éco-taxe est une bonne mesure dans le fond ? Pas grand monde à part NKM. Parce qu’il y a un ras-le-bol fiscal à traiter urgemment. Mais l’aura-t-on traité ainsi ? Aura-t-on redonné des lignes directrices ? Ce type de réponses, cette absence de courage, ne font qu’accélérer les forces centripètes à l’œuvre dans notre pays.

    Dans son interview Barack Obama déclarait que sur fond d'inégalités sociales, les tensions raciales pourraient également resurgir. Alors que certains politiques et sociologues s'inquiètent de la montée des communautarismes, les fractures sociales françaises pourraient-elles dégénérer en tensions ethniques ?

    Christophe Noyé : Les situations américaines et françaises sont très différentes et les tensions ne prendraient sans doute pas la forme d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Pour autant, la question de l’immigration, de ses effets sur la société française et, des risques de tensions y compris de nature ethnique doit être posée. L’évolution de certains quartiers des grandes métropoles montrent bien l’existence de mécanismes de ségrégation qui se nourrissent tout autant de la concentration de ménages très modestes issus de l’immigration que du départ de ménages plus solvables issus ou non de l’immigration. Les choix résidentiels des ménages eux-mêmes ne sont étrangers à ces tendances et révèlent certaines réticences au partage de lieux communs. Les sondages montrent bien combien certaines thèses de l’extrême droite se sont largement diffusées dans la société française. Les risques d’exacerbation de ces tendances et de leurs possibles traductions en "tensions ethniques" ne doivent pas être négligés. Mais, pour cela,  il faudrait d’abord sortir du débat stérile qui oppose d’un côté, un discours stigmatisant les populations immigrées et, de l’autre, une vision quelque peu angélique et déconnectée de la réalité.
    Michel Wieviorka : Pour l'instant, on est loin de ce genre d'affrontements. On est dans une situation d'inquiétude où tout le monde voit monter la colère sociale, mais pas des logiques du type de celles que vous décrivez. Il y a des gens qui luttent sur des enjeux précis et relativement circonscrits.
    La société américaine est très différente de la notre. La question raciale y est lancinante depuis sa naissance.  La France a certes été une puissance coloniale, mais ce n'est pas comparable. Par ailleurs, aux États-Unis, la radicalisation n'est pas extérieure au système politique comme avec le FN en France, mais elle est intérieure notamment avec le Tea Party chez les Républicains. Le traitement politique d'un certain raidissement est donc très différent.  
    Jean Spiri : Nous le savons bien, les périodes de crise, de déclassement, sont souvent marqués par le repli, un repli que les populismes ne font qu’encourager. Les fractures territoriales et sociales de notre pays ne sont à l’heure actuelle en rien communautaires. Il existe des tensions, une montée des communautarismes : c’est un sujet que nous devons traiter par un discours fort sur la République, mais c’est un sujet qui est, à mon sens, très loin des fractures et des difficultés que nous évoquions, et qui touchent toutes les communautés. En revanche, c’est le même problème auquel nous sommes confrontés : l’absence d’un discours politique fort, d’une vision, d’un projet qui redonne de l’espoir aux territoires déclassés autant qu’il renforce un idéal national qui dépasse les communautés. C’est donc bien à double travail qu’il faut, en tant que politiques, nous atteler : restaurer la crédibilité de l’action publique, sa lisibilité, son cap ; restaurer la crédibilité du discours national et républicain. Ce travail de Républicain, c'est le travail de Sisyphe ; nous devons perpétuellement le recommencer, perpétuellement rappeler ce qu’il signifie, et dénoncer les moindres dérives. Je suis un élu UMP en désaccord profond avec les orientations économiques de ce gouvernement notamment ; cela ne m’empêche pas de considérer que le président de la République nous représente tous quand il descend les Champs-Elysées le 11 novembre ; cela ne m’empêche pas de penser que les attaques racistes contre la garde des Sceaux sont indignes et dangereuses ; cela ne m’empêche pas de penser que l’on ne s’attaque pas à une politique fiscale par la désobéissance. Sachons reconquérir de part et d’autre les outils du débat démocratique. En arrêtant, à gauche, de ne pas prendre ses responsabilités en renvoyant perpétuellement au quinquennat de Nicolas Sarkozy de façon caricaturale. En arrêtant, à droite, de penser qu’il vaut mieux se taire devant des mouvements d’humeur de plus en plus incontrôlés pour avoir l’espoir de renforcer notre capacité d’opposition. Dans les deux cas, ce sont les mêmes extrêmes que nous faisons monter, des extrêmes qui n’ont aucune solution, la majorité des Français en est convaincue. Mais si nous n’y prenons garde, c’est à la même course à l’abîme que nous risquons tous de travailler.

    Les échecs de François Hollande de A à Z


    De A comme Ayrault, qui subit les attaques contre le fonctionnement de la machine gouvernementale, à Z comme Zorro, les méthodes dont s'approche le chef de l'État, L'Express fait de tour des fiascos de François Hollande. 

    Ayrault

    Le Premier ministre ne maîtrise pas le Parti socialiste ; il ne dirige plus vraiment le gouvernement ; il ne protège plus du tout le président. L'impuissance n'empêche pas la lucidité : Jean-Marc Ayrault voit bien ses ministres étaler leurs états d'âme, mais ne veut pas en rajouter publiquement. Il sent aussi cette mauvaise humeur de l'opinion où l'essentiel passe inaperçu.  
    Dispose-t-il encore de temps ? Il constate qu'il a fallu un an pour trouver un accord de reprise des sites Rio Tinto Alcan (RTA) de Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie) et Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne) par un producteur d'aluminium allemand - et encore un mois de plus pour que la Commission européenne donne son autorisation.  
    Jean-Marc Ayrault subit aussi les attaques contre le fonctionnement de la machine gouvernementale. L'un de ses visiteurs lui a récemment lancé : "Sais-tu pourquoi tu es un moins bon Premier ministre que François Fillon ? Parce que Christophe Chantepy [son directeur de cabinet] est bien moins bon que Jean-Paul Faugère [celui de son prédécesseur]!" Lui-même s'agace d'un président qui a du mal à trancher, qui prend son temps, qui le court-circuite. 

    Bretagne

    "Hollande, démission !" Le désamour entre les Bretons- qui ont voté à 56% pourFrançois Hollande au second tour de l'élection présidentielle - et le chef de l'Etat se hurle dans les rues et sur les routes à quatre voies de Bretagne. On pensait la relation solide, puisque incarnée par trois ministres bretons - Jean-Yves Le DrianStéphane Le FollMarylise Lebranchu - et un conseiller élyséen, Bernard Poignant, par ailleurs maire de Quimper.  
    S'y ajoutent les 22 députés de gauche bretons (sur 27 sièges), dont la marque slogan "Breizh Power" devait servir de paravent à la centralisation. Tout a volé en éclats. "J'espère que Poignant sera viré de la mairie de Quimper aux prochaines municipales", s'agace l'ancien député UMP du Finistère Jacques Le Guen, qui assure que le conseiller bénévole de François Hollande est vu dans son département comme "le monsieur je-sais-tout qui fait le fanfaron sur le perron de l'Elysée".  
    "Pour moi, Poignant est plus français que breton", déclare Ronan Le Flécher, directeur de l'agence de communication Breizh We Can. Dans sa bouche, la sentence ne relève pas du compliment. Un témoin raconte avoir été choqué par le fait que, le 3 août dernier, lors de la messe d'obsèques de l'ancien président de la FNSEA, Jean-Michel Lemétayer, Jean-Yves Le Drian et Stéphane Le Foll ne sont ostensiblement pas allés communier.  
    Reproche choquant vu de Paris, mais révélateur d'une manière de penser que les Bretons du président semblent avoir oubliée. En juin, à Rennes, lors d'une petite réunion de grands entrepreneurs,Jean-Jacques Hénaff, maître du pâté du même nom, alerte ses camarades à propos du "climat insurrectionnel" en train de s'installer dans le Finistère. Seuls les politiques sont restés sourds à ces alertes. Soutien indéfectible de François Hollande, le député socialiste du Morbihan Gwendal Rouillard reconnaît que "la période n'est pas simple". 

    Chômage

    François Hollande, qui a promis d'inverser la courbe du chômaged'ici à la fin de l'année, se raccroche à cette petite lueur d'espoir : entre avril et août, le nombre de demandeurs d'emploi de moins de 25 ans a nettement baissé.  
    Pour l'instant, le mouvement n'est pas suffisant pour être perceptible par les Français - d'autant qu'en septembre la courbe des moins de 25 ans est repartie à la hausse.  
    Et même si la décrue reprend en octobre, elle sera due, pour l'essentiel, aux emplois aidés. Seule une activité vigoureuse assurerait des créations d'emplois durables et permettrait à François Hollande de gagner le pari de son quinquennat. 

    Duflot

    Le cerveau de la ministre du Logement a deux hémisphères. L'un se situe rue de Varenne, au siège de son ministère, où les prises de parole publiques sont fidèles à François Hollande. L'autre occupe une tribune au Sénat, où son complice Jean-Vincent Placé assume avec une belle régularité son rôle de cogneur, exhortant, par exemple, les lycéens à manifester pour le retour de Leonarda en France.  
    "La ligne Duflot ? s'interrogeait récemment José Bové, je ne sais pas ce que c'est. Les ministres Verts ont l'air d'avoir envie de rester, en tout cas." Cette loyauté alimentaire sert peu le président de la République. Cécile Duflot devait juguler la parole du secrétaire national, Pascal Durand? Ce dernier a posé un ultimatum à François Hollande en septembre, et Duflot a dû le pousser à ne pas postuler à sa propre succession.  
    La ministre devait tenir le groupe écologiste à l'Assemblée nationale? Une partie de ses députés vote contre les projets du gouvernement. Elle devait étouffer la contestation au sein d'Europe Ecologie-les Verts ? Le parti s'avance vers son congrès, le 30 novembre, avec une multitude de motions qui remettent en question la participation au gouvernement ou la politique de ce dernier. 

    Ecotaxe

    C'est l'histoire - longue et tourmentée - d'un impôt que tout le monde a voté (en octobre 2008, à l'issue du Grenelle de l'environnement, voulu par Nicolas Sarkozy), mais dont plus personne ne veut. François Hollande n'en est donc pas l'inventeur, mais l'applicateur. En sera-t-il le liquidateur ?  
    Face à la révolte des Bretons, qui essaime dans d'autres régions, il a décidé, le 29 octobre, de "suspendre" la mesure pour une durée... non précisée, signant ainsi un échec politique, écologique et financier : en cas d'abandon pur et simple, il faudra dédommager Ecomouv', le consortium privé qui assure la collecte, très complexe, de la taxe. A moins que l'enquête judiciaire en cours ne révèle des vices cachés. 

    Fiscalité

    Après trois reculs spectaculaires (renoncement à la création d'un nouvel impôt pour les entreprises et à la hausse de la taxation de certains produits d'épargne, suspension de l'écotaxe), le terrain fiscal est totalement miné. C'est un communiqué de la Confédération générale des PME qui le souligne et s'en fait gloire : il y a " fort à parier, et c'est heureux, que toute nouvelle taxe connaîtra le même sort ", dit-elle après le recul sur la taxe verte. 
    Désormais, les abandons se font de manière préventive : la modification de la fiscalité sur les terrains constructibles risquait de pénaliser des propriétaires exploitants ? Elle est reportée d'un an et son périmètre sera modifié. Globalement, le gouvernement s'est engagé à ne plus augmenter les prélèvements obligatoires. Mais pas à s'interdire d'y toucher.  
    Or la sensibilité de l'opinion est telle que toute modification dans ce domaine semble très difficile : la réforme promise du financement de la protection sociale passe par un allégement des prélèvements pesant sur les entreprises. Qui paiera à leur place ? Et la granderéforme des impôts directs des particuliers - le candidat Hollande voulait aller vers une fusion de l'impôt sur le revenu avec la CSG - est définitivement enterrée. 

    Génération

    Le contrat de génération, mesure emblématique du quinquennat de François Hollande, devait réconcilier les jeunes avec la gauche et permettre une baisse du chômage. Le candidat socialiste en est si sûr, pendant la campagne de 2012, qu'il avance des chiffres impressionnants : jusqu'à 500 000 contrats de génération en rythme de croisière.  
    Les premiers bilans montrent que l'on est loin, très loin du compte. A la fin d'octobre, le ministère du Travail délivre une première évaluation, mais elle mélange des choux et des carottes. A sa décharge, le dispositif est complexe. Il y a non pas un, mais trois contrats de génération, en fonction de la taille de l'entreprise. La formule initiale - un jeune embauché, un senior gardé - n'a pu s'appliquer que dans les sociétés de moins de 50 salariés. A l'automne, seuls 13 000 contrats étaient conclus pour un objectif de 100 000 en année pleine dans cette catégorie.  
    Plus grave, les entreprises de 50 à 300 salariés - qui doivent négocier un accord sur le sujet avec les syndicats - traînent les pieds. Il ne reste plus au ministère, pour faire bonne figure, qu'à aligner les exemples de grands groupes (Thales, GDF Suez...) qui embauchent des jeunes, mais l'auraient vraisemblablement fait sans ce dispositif, comme chaque année. Et à mettre le paquet sur les emplois d'avenir et autres contrats aidés pour inverser la courbe du chômage. 

    Historique

    C'est le grand mot de la majorité pour qualifier son action. La réduction des déficits, celle des dépenses, la baisse du coût du travail, tout est "historique". Mais ce qui représente un grand pas pour les socialistes, idéologiquement enclins à augmenter les dépenses et peu soucieux de diminuer les charges des entreprises, n'est souvent qu'un petit pas pour un pays dont la situation appelle un traitement de choc. Si Hollande va dans la bonne direction, il le fait trop lentement et trop peu. 

    Intelligence

    Longtemps, François Bayrou a souligné que François Hollande était autrement plus "intelligent" que son prédécesseur. Le centriste penchait alors à gauche, mais son point de vue reste partagé : le président dispose d'une armature intellectuelle incontestable... et pourtant invisible aux yeux du plus grand nombre. Pour un peu, c'est devenu le secret le mieux gardé de la République ! 

    Jacqueries

    Pas de révolution, mais une série de révoltes. Les bonnets se déclinent dans toutes les couleurs. Les rouges, forts de leur succès- la suspension de l'écotaxe-, veulent en obtenir la suppression pure et simple. Ils manifestent de nouveau le 30 novembre. Les noirs se battent contre le loup de Gap. Les verts refusent la hausse de la TVA dans les transports publics.  
    Le 13 novembre, artisans et commerçants- les Sacrifiés- sortent dans la rue pour clamer leur mécontentement. La FNSEA demande dorénavant une exonération d'écotaxe pour tout le secteur agricole. Jean-Luc Mélenchon appelle à une marche pour une révolution fiscale.  
    A ces révoltes anti-impôts s'ajoutent des revendications plus classiques : grève des vétérinaires contre les restrictions à leur liberté de prescrire les antibiotiques, des sagesfemmes pour la reconnaissance de leur statut médical; diverses manifestations, du 12 au 14 novembre, dans le monde de l'éducation, contre la réforme des rythmes scolaires. 

    Kim

    Le président de la banque mondiale, Jim Yong Kim, est reçu le 8 novembre à l'Elysée, avec d'autres dirigeants d'organisations internationales. Avant lui, le chef de l'Etat a accueilli Rafael Correa, président de la République de l'Equateur (7novembre), José Antonio Meade, ministre mexicain des Relations extérieures (6 novembre), Heinz Fischer, président de la République d'Autriche, et Moncef Marzouki, président de la République tunisienne (5 novembre, tous les deux), Laura Chinchilla, présidente de la République du Costa Rica, Geun-hye Park, présidente de la République de la Corée du Sud (4 novembre, toutes les deux). Ajoutons quelques remises de décorations et voilà l'agenda d'un président, pour la première semaine de novembre, enfermé en son palais. 

    Leonarda

    De quoi Leonarda est-elle désormais le nom ? Plus personne ne parle de la collégienne expulsée de France avec sa famille. Elle fut pourtant au coeur d'une déclaration solennelle du chef de l'Etat, retransmise en direct à la télévision. "Son intervention a joué le même rôle que le "Casse-toi pauv'con" de Nicolas Sarkozy : elle a cristallisé les doutes que les Français avaient sur François Hollande, en l'occurrence sa capacité à trancher", explique Céline Bracq, directrice adjointe de BVA Opinion. 

    Moscovici

    Celui qui détient le portefeuille de l'Economie sait que ses jours sont comptés à Bercy. Depuis l'affaire Cahuzac, quelque chose s'est cassé avec le président, que Pierre Moscovici n'a pas su réparer. Il a beau lui écrire régulièrement, mettre en avant sa loyauté, son dévouement, la lourdeur de sa tâche, le poids des servitudes, etc., aujourd'hui, ces missives agacent leur destinataire plus qu'elles ne le touchent : non seulement "Mosco" n'apporte plus de solution, mais il est devenu un problème. Personne ne le défend : quand ce n'est pas sa nonchalance qui est mise en cause, ou sa légèreté dans les dossiers, c'est cette habitude qu'il a prise de constamment pianoter sur son iPhone, levant à peine les yeux lors des réunions, qui exaspère ses interlocuteurs.  
    Pourtant, Pierre Moscovici juge qu'il n'a pas démérité, à la tête d'un ministère particulièrement exposé : des débats budgétairesréussis au Parlement, de bonnes relations avec les entreprises, un dialogue de qualité avec ses homologues européens... Il considère aussi qu'il a pesé sur des décisions importantes, concernant les retraites ou encore l'impôt sur le revenu - bref, qu'il a joué son rôle, et respecté la part du contrat passé avec le chef de l'Etat.  
    Mais ses deux dernières bourdes à propos de la faiblesse de la croissance (Corse-Matin, 10 août) ou du ras-le-bol fiscal (France Inter, 20 août) ont exaspéré l'Elysée. Au point que le chef de l'Etat ne prend même plus la peine de lui dire son mécontentement. 

    Nervosité

    Ce ministre réputé placide a les nerfs à vif : "Je me souviens des Unes des journaux: ?Il est mou, il est con, il est crétin''; le principe, c'est le jeu de massacre généralisé. " Cette irritation face à l'avalanche des critiques atteint aussi le président, dont les colères commencent à rythmer la vie à l'Elysée. Une forme d'usure du pouvoir, déjà. 

    Opposition

    Si, au moins, il existait une alternative à la politique de François Hollande... Non, l'opposition se déchire et propose des recettes -abolition des 35 heuresmaîtrise des dépenses - qu'elle n'a pas été capable d'appliquer en dix ans de pouvoir. Elle ne joue aucunement son rôle d'aiguillon du pouvoir en place. 

    Plans sociaux

    Alcatel, Gad, la Redoute, Tilly-Sabco... les annonces derestructurations se sont multipliées depuis la rentrée de septembre. Même si les licenciements économiquesreprésentent moins de 3% des inscriptions à Pôle emploi, loin derrière les fins de CDD ou de missions d'intérim, cette rafale renforce le doute sur la capacité de François Hollande à réduire le chômage.  
    Plus grave encore, ces restructurations interviennent sur des terrains déjà sensibles. Ainsi en Bretagne, où, autant que l'écotaxe, elles expliquent la fronde. Ainsi dans un Nord désindustrialisé, où l'annonce de la cession de la Redoute par le groupe Kering a attisé les craintes de suppressions d'emploi. Le dossier menaçait de devenir le nouveau symbole de l'impuissance gouvernementale face aux grandes entreprises.  
    Martine Aubry l'a bien compris. Très tôt, dans une interview auJournal du dimanche du 3 novembre, la maire de Lille a demandé à Kering des garanties sur le repreneur. Un appel repris par le gouvernement... une semaine plus tard. 

    Querelles

    François Hollande déteste les conflits. Il les laisse prospérer plutôt que de les trancher. Ainsi, sa position dans l'affaire Leonarda ménage la chèvre et le chou. Au début du quinquennat, alors qu'un proche lui fait remarquer que sa compagne,Valérie Trierweiler, pose un problème, il rétorque : "Tu as raison. Tu t'en occupes ?" Plus tard, il laisse trop longtemps le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, exprimer une opinion différente de la sienne sur le dossier Florange. Pour ne pas aller au clash... 

    Rythmes scolaires

    Leur réforme faisait consensus aussi bien chez les politiques qu'au sein de la communauté éducative. Elle est devenue l'un des symboles de l'impéritie du gouvernement dont elle fut l'un des tout premiers renoncements.  
    En novembre 2012, devant le congrès de l'Association des maires de France, le président autorise le report de la réforme pour les communes qui le désirent, un camouflet pour Vincent Peillon, qui s'était prononcé dans le sens contraire quelques jours avant.  
    En septembre 2013, à peine 20 % des villes appliquent le nouveau dispositif. Selon une enquête du ministère de l'Education nationale, les choses se déroulent sans difficulté pour 93,5 % des communes l'ayant mis en place. Pourtant, enseignants, politiques et parents ne cessent de mitrailler, soulignant les couacs et les aberrations de la mise en oeuvre de la réforme.  
    Au final, le cactus des rythmes scolaires a écrasé la loi de refondation de Peillon et obéré la marge de manoeuvre du ministre sur tous les autres sujets. Une véritable grenade dégoupillée pour les municipales. 

    Scrutin

    François Hollande a-t-il raté l'occasion d'avoir une nouvelle majorité, soutenant sa ligne politique sociale-démocrate ? Il aurait fallu passer par l'introduction d'une dose de proportionnelle pour les législatives. Cette réforme du scrutin figure dans les engagements du candidat socialiste. Il l'avait chiffrée : entre 10 % et 20 % des sièges.  
    Le président dispose encore de cette cartouche, mais ne l'a pas utilisée à temps pour retenir François Bayrou. Une fenêtre de tir s'ouvrira-t-elle d'ici à 2017? Interrogé sur le sujet, Jean-Marc Ayrault élude et se refuse à donner un échéancier. Lors d'une réunion avec les responsables des partis de la majorité consacrée aux prochaines élections, le chef du gouvernement s'est étonné que les Verts ne remettent pas la proportionnelle sur la table. 
    Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l'Assemblée, a son explication : "Ils ont compris qu'ils pouvaient obtenir plus de sièges par un bon accord d'investitures avec le PS que grâce à un correctif proportionnel. Et puis, ils sont ravis d'être ainsi les seuls, issus d'un petit parti, à exister au Palais-Bourbon, alors que la proportionnelle favoriserait aussi le FN, les radicaux de gauche et d'autres formations..." 
    Enfin, dernier argument, massif : un redécoupage sans augmentation du nombre de députés impliquerait des "sacrifices" insupportables pour les socialistes, et plus encore pour les écologistes qui devront forcément abandonner des circonscriptions. 

    Taubira

    Le 17 octobre, dans un reportage diffusé sur France 2, une candidate du FN compare Christiane Taubira à un singe ; le 28 à Angers, elle est traitée de "guenon" par une adolescente, lors d'une manifestation contre le mariage homosexuel. Le chef de l'Etat a attendu le 6 novembre pour appeler à "la plus grande fermeté et la plus grande vigilance". L'épisode est doublement inquiétant : il révèle la banalisation de l'expression du racisme et l'absence de réaction d'une gauche qui a fait de l'antiracisme l'une de ses valeurs phares. 

    Ubuesque

    Il est des petits désordres qui en trahissent de grands. Tous les lundis soir, les principaux chefs de file socialistes (Assemblée, Sénat, parti, ministres) sont conviés à une réunion de cadrage à Matignon. Elle n'en a que le nom : il n'y a pas d'ordre du jour, on ne sait jamais qui vient.  
    La "cellule riposte" qui, une fois par semaine, réunit les communicants (Elysée, ministères, Assemblée, etc.) afin decoordonner les interventions médiatiques, connaît la même désaffection : le nombre de ses participants est passé de 20 à 6 en moyenne. Enfin, l'obligation faite aux ministres de demander la permission à Matignon avant d'accorder des interviews a provoqué les ricanements de nombreux ministres, dont ceux, publics, de Manuel Valls. 

    Valérie

    Depuis son tweet ravageur de début de quinquennat contre Ségolène Royal, Valérie Trierweiler ne s'était guère aventurée sur le terrain de la politique intérieure. Elle a rompu cette trêve avec une prise de position dans l'affaire Leonarda, déclarant, lors de la visite d'une école à Angers, que l'"on ne franchit pas certaines frontières" et que "la porte de l'école en est une".  
    Ces quelques mots n'ont pas été du goût de nombreux socialistes et, plus gênant pour François Hollande, de Manuel Valls. Jusque-là, le ministre de l'Intérieur était considéré comme un allié de la première dame. Sur ce sujet, il aurait préféré son silence. 

    Week-end

    Faut-il libéraliser le travail du dimanche? Encore l'un de ces sujets où le politique, le social et le sociétal s'emmêlent pour produire un beau psychodrame à la française. Réflexe très français aussi du président de la République, qui confie un rapport sur ce thème àJean-Paul Bailly, ancien PDG de La Poste.  
    Le chef de l'Etat en a déjà tiré les leçons pour lui-même : il travaille le week-end. Deux renoncements fiscaux se sont joués dans des fins de semaine : le nouvel impôt sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises et l'harmonisation de la taxation de certains produits d'épargne. 

    X

    C'est l'inconnue du président : jusqu'où peut descendre dans lessondages de popularité celui qui avait recueilli, au premier tour de l'élection présidentielle, 28,6 % des suffrages? A ce stade, BVA le crédite de 26%, CSA et l'Ifop de 25%, Ipsos et TNS Sofres de 21%. Les instituts se sont arrêtés là et ont tous décliné la demande sortant de l'ordinaire - et dépourvue de légitimité institutionnelle, selon eux - de Valeurs actuelles, qui voulait lancer une enquête pour demander aux Français s'ils souhaitaient la démission de François Hollande. 

    Yesterday

    A l'Elysée, Hollande a importé ses méthodes d'hier. Ne lui ont-elles pas si bien réussi ? S'en tenir à son intuition, ne jamais s'enfermer dans des organigrammes trop précis, ne jamais dire clairement ce qu'il va faire. Mais, pour la première fois, le système ne fonctionne pas, et le voilà lui-même en première ligne : lui et ses ministres, lui et la presse, lui et ses conseillers. 

    Zorro

    A propos de Nicolas Sarkozy, Claude Allègre avait évoqué le "complexe de Zorro" : "J'arrive, je fais, je décide, surtout seul." Sans forcément l'assumer, François Hollande se comporte plus qu'il n'y paraît comme son prédécesseur, s'accommodant de lacentralisation et de la solitude du pouvoir. Mais les masques finissent toujours par tomber.