mardi 1 février 2011
Taxer les successions, solution simple et juste
Pardon, vous n'auriez pas 3 milliards d'euros ? Juste 3 petits milliards, c'est pour la bonne cause, pour supprimer un impôt devenu idiot et du coup neutralisé par un plafond devenu politiquement insupportable... La quête continue fiévreusement dans les couloirs du ministère des Finances et de l'Assemblée pour enfin trouver la cassette qui permettra de se débarrasser du don Quichotte-ISF et du Sancho Pança-bouclier fiscal guerroyant contre les moulins à vent du capital. Avec une contrainte majeure, imposée par l'Elysée : il faut trouver l'argent dans le capital et non dans le travail. Le naturel revenant au galop, les petits marquis de Bercy sont en train d'inventer une nouvelle machine à gaz, où l'on supprimerait le bouclier en maintenant un impôt de solidarité sur la fortune plafonné, tout en supprimant le plafonnement d'un autre plafonnement (rien n'est inventé, c'était dans « Les Echos » la semaine dernière). Il y a pourtant une mesure beaucoup plus simple. Elle consiste à taxer le citoyen quand il ne peut plus protester, quand il ne peut même plus voter : après sa mort. En bon Français, on parle d'impôt sur la succession. En jargon fiscal, admirez la subtilité, il s'agit de « droits de mutation à titre gratuit par décès ». Aujourd'hui, seulement un héritage sur dix est taxé. Et cet impôt sur le capital rapporte 7 milliards d'euros, auquel il convient de rajouter 1 petit milliard perçu sur les donations « entre vifs ». D'après les travaux de l'économiste Thomas Piketty, qui font référence en la matière, les héritages représentent chaque année l'équivalent de deux mois et demi de revenu des ménages contre un mois il y a cinquante ans (et trois mois à la fin du XIX e siècle). Il y a là une belle matière imposable.
Or l'impôt, ici, se justifie pleinement. La succession est une mécanique injuste. Elle vient d'une société à la fois monarchique et paysanne, où le rang déterminait l'existence. Elle favorise les uns et non les autres en vertu de la seule naissance - les hommes ne viennent donc pas au monde vraiment « libres et égaux en droits », contrairement à l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme. C'est au nom de l'équité que des milliardaires américains comme Bill Gates ou Warren Buffett se battent aux Etats-Unis pour le maintien de la « death tax », qui frappera pourtant lourdement leurs enfants. Presque aussi grave, ou peut-être même encore plus, l'héritage est contraire à deux principes chers au président Nicolas Sarkozy : la primauté du mérite (l'héritier n'a aucun mérite) et le « travailler plus pour gagner plus » (celui qui touche un gros héritage gagne plus sans travailler davantage).
Pourquoi alors le gouvernement ne cueille-t-il pas ce qui ressemble à une belle poire pour la soif ? Ecartons d'emblée l'argument selon lequel le patrimoine d'un mort est constitué de l'accumulation de revenus déjà maintes fois taxés : avec un tel raisonnement, on ne taxerait plus rien. Venons-en à l'essentiel. D'abord, en France comme ailleurs, les électeurs ne veulent pas de la taxe sur les successions. La grande majorité des Français souhaite sa disparition complète (5 sur 6 en 2007, selon un sondage Harris). Les Italiens l'ont supprimée. Et le Congrès américain vient de la plafonner à 35 %. Ensuite, la taxation des successions pose un vrai problème pour les transmissions d'entreprises familiales, plus taxées en France qu'en Allemagne. Mais il serait naïf de croire que la fiscalité des héritages serait la seule cause du fossé qui sépare les PME françaises et les PME allemandes.
Enfin... Nicolas Sarkozy n'aime pas cet impôt ! Dans son ouvrage « Libre », publié en 2001, il s'en explique longuement et propose une mesure pour exonérer les deux tiers des héritages. En 2007, quand il arrive à l'Elysée, les deux tiers des successions échappent à l'impôt. Il va plus loin, exonérant de facto près des trois quarts des successions encore imposées. Il faudrait sans doute recourir à la psychanalyse pour comprendre l'amour antinomique du président pour le mérite et la succession. Sans être expert en art moderne, on a du mal à croire que l'envie d'hériter des toiles de son père, Pal, puisse expliquer la contradiction. Mais le président a prouvé qu'il savait revenir sur ses décisions symboliques du passé, comme on l'a vu avec le crédit d'impôt sur les intérêts des prêts immobiliers. Pourquoi pas avec l'impôt sur les successions ?
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