Ce soir, on saura. En ce mardi 1 er février, le mouvement de contestation en Égypte va franchir le point de non-retour. Plus rien ne sera comme avant. Du côté du pouvoir comme du côté de ses opposants, chacun le sait : le statu quo est impossible. Chacun le pressent : un rapport de forces nouveau va surgir de cette journée de manifestations monstres. Chacun s’y prépare : il faudra bouger, inventer, sans doute improviser car les grands rendez-vous de l’histoire ne se passent jamais comme prévu. Mais tout va converger, tic tac inexorable, vers cette heure zéro qui, pour le peuple égyptien, sonnera une fin et un début réunis dans une même incertitude.
En fait, le sort d’Hosni Moubarak est déjà réglé. Son autorité crépusculaire ne tient plus que par l’institution qui a déjà programmé son effacement : l’armée. Le clan présidentiel dispose encore de quelques outils d’intimidation, mais tout indique que la décision d’écarter le vieux raïs de 82 ans a été arrêtée et qu’il ne pourra guère lui résister. L’état-major a même eu cette incroyable insolence de juger «légitimes» les revendications du peuple après s’être bien gardé, hier, de réprimer les violations du couvre-feu, et il a promis de ne pas faire usage de la force aujourd’hui. Quel signal plus clair donner à la rue pour valider à l’avance un changement au sommet ?
Moubarak est devenu dangereux pour la stabilité et pour l’avenir du plus grand des pays arabes. Il ne reste plus qu’à décider du moment précis où les siens le mettront définitivement hors jeu avant que la fureur du pays ne s’en charge. Depuis dimanche, on ne parle plus, d’ailleurs, que de cette «transition» qui s’est imposée, en quelques jours seulement comme une nécessité, une évidence, voire une urgence. Même s’ils n’ont pas encore lâché officiellement le président égyptien, les États-Unis ont anticipé le coup de grâce et il y a fort à parier qu’ils ont déjà engagé la suite, préparant dès maintenant le terrain avec les futurs vainqueurs.
Encore faudra-t-il gagner la course de vitesse contre la vague puissante et ravageuse qui peut encore tout emporter, ruiner la minutieuse construction mise en œuvre en accéléré, quasiment en direct, pour préserver l’équilibre essentiel qu’a garanti jusque-là le rôle de l’Égypte au Proche-Orient, rempart contre l’intégrisme islamique et le désir de vengeance absolu contre Israël.
Tout va donc se jouer au millimètre entre les forces décidées à tout balayer pour reconstruire sur une base arasée et les partisans d’une démocratisation contrôlée et sans doute limitée. L’administration américaine et ses alliés européens sont assez clairement favorables à la deuxième option. Mais ce matin, tous savent que les événements et leur énergie propre peuvent échapper à tous les calculs. L’élan irrépressible pour la liberté qui va faire chavirer Le Caire aujourd’hui peut charrier dans son cortège hétéroclyte tant de lumière et d’obscurité.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire