L es réformes des retraites, depuis vingt ans, sont l'archétype des chauds débats à la française, sinon faux débats, abordés en retard, mal posés, enflammés à tort, se polarisant sur les aspects financiers, conduisant finalement à conserver des avantages indus et à des demi-réformes, laissant de côté les vrais changements nécessaires au pays.
Voilà vingt ans que ce sujet déclenche polémiques et manifs qui, au fond, n'ont pas lieu d'être. La loi démographique est comme celle de la pesanteur, on n'y échappe pas. La prolongation de l'espérance de vie impose de devoir travailler plus longtemps. Pas drôles, ces années de métro-boulot-dodo supplémentaires, pour la très grande majorité ? Sûrement. Il faut aussi discuter du détail et le diable s'y niche. Mais dans les grandes lignes, la solution relève des mathématiques élémentaires : l'équilibre financier du système impose de cotiser plus et/ou d'allonger la durée du travail et/ou de diminuer les pensions. Aujourd'hui, le déficit est tellement creusé qu'on ne peut attendre. La solution la plus efficace et la plus rapide est le passage à 62 ans. Tous les autres pays ont choisi cette voie.
Mais non. Tandis que les réformes se font sans grand drame ailleurs, en France, c'est la furie. Les Français font des retraites un fourre-tout. Ils y mettent du justifié, comme le thème de la pénibilité. Du symbolique - en France, c'est d'abord le symbolique qui compte -, comme la place du travail. Du syndical, comme la compétition à la radicalité au sein des organisations de salariés. De l'électoral, comme la mesure du rapport des forces politiques pesée au nombre des manifestants. Ayant ainsi bien empli le théâtre de tous les gaz explosifs possibles, ils jouent alors une pièce pagailleuse et infâme, dont l'enjeu, devenu autre, est démesurément grossi.
Politiquement, les conséquences sont d'importance : la pièce a provoqué des démissions de gouvernements. Le Parti socialiste terrorisé n'a jamais osé avancer une réforme. Un Jacques Chirac est « mort » d'avoir cédé lors des grèves de 1995 et, devenu le président immobile, il n'a ensuite plus rien fait sur rien. En 2010, Nicolas Sarkozy a fait de cette réforme un « marqueur » de son quinquennat, une preuve qu'il n'est pas Chirac. Tiendra-t-il tête aux manifestants ? Perd-il ici sa réélection ? Saura-t-il démontrer aux marchés qu'il est déterminé à remettre les finances publiques en ordre ? Le jeu politique sur les retraites est déterminant.
Economiquement pourtant, cette agitation politique est injustifiée. Car, derrière la scène du théâtre, la mathématique démographique s'impose à tous, à l'exception des partis extrêmes. Le PS, par exemple, parle d' « une autre réforme », slogan qui rappelle « l'autre politique » dans les années 1990. Dans les faits, il propose de conserver les 60 ans mais avec une augmentation des durées de cotisation (sans doute de deux ans). Les 60 ans deviendront donc vite symboliques sauf pour ceux qui devaient partir maintenant mais qui sont retenus deux ans de plus. Or, Nicolas Sarkozy exempte presque toutes ces populations. Les différences avec le projet gouvernemental sont nuancées. Le PS propose aussi de taxer les revenus des capitaux pour combler le déficit. Mais on parie qu'arrivé au pouvoir, il ne le ferait pas. Parce qu'il aura déjà utilisé cet argent pour le déficit général. Et parce que financer les retraites par l'impôt, c'est remettre en cause le principe même de la répartition. UMP ou PS, tout finira de la même façon : les déficits se recreuseront très rapidement. Il faudra rejouer la pièce dans moins de sept ans (version Sarkozy), dès 2013 sans doute (version Aubry). Le grand théâtre national est de faire semblant de se disputer pour pas grand-chose, pour aboutir à des demi-mesures et esquiver les vraies réformes.
Quelles sont-elles ? D'abord d'assurer une pérennité du système en fonction des aléas conjoncturels. Le PS propose une retraite « à la carte », cette liberté est nécessaire mais elle ne s'entend que si l'on va plus loin vers le système de points comme la Suède (des points acquis chaque année dont on dispose librement). Ensuite, et surtout, admettre, à gauche et à droite, que les jeunes quand ils auront enfin de la place au travail crouleront sous la charge des pensions des baby-boomers. Le courage politique serait de dire que c'est injuste et impossible. Le vrai débat, que le think tank Terra Nova est le seul à aborder, est de parler de la baisse des pensions. Le drame de la France, ce n'est pas le sort des retraités, des vieux, mais celui des jeunes.
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