TOUT EST DIT

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mercredi 5 janvier 2011

A Beyrouth, un café symbole ferme ses portes, emportant souvenirs et poésie

Près d'un siècle après son ouverture dans un quartier traditionnel de Beyrouth, le "Café des glaces", sorte de Deux Magots libanais, ferme ses portes, emportant des souvenirs de débats politiques, de guerre civile, et un certain parfum de poésie.

Dans la rue Gouraud --du nom du Haut Commissaire français Henri Gouraud qui a proclamé la naissance du Liban actuel en 1920--, ce bistrot au style colonial vit ses derniers jours à Gemmayzé, où les palaces datant de l'époque ottomane et du mandat français côtoient les immeubles modernes et les bars à la mode.
Le café, hérité de père en fils, était exploité par Angèle Abi Haidar, 50 ans, jusqu'à ce qu'elle perde une bataille judiciaire au profit du propriétaire de l'immeuble qui abrite ce local aux vitres décorées d'enluminures et aux dalles peintes importées d'Italie au début du XXe siècle.
Aujourd'hui, elle ne détient plus que le nom du café.
"L'histoire de ce café est intimement liée à celle de Beyrouth", raconte à l'AFP Mme Abi Haidar, assise dans le "Café des Glaces", nommé ainsi en raison de ses nombreuses vitres, et qui s'éteindra le 10 janvier.
Sur ses tables en marbre et ses chaises en paille, d'éminents hommes politiques de différents bords et confessions, dont des présidents de la Républiques et des chefs de puissants partis, ont conversé et négocié des accords secrets au cours des révoltes, des tentatives de coup d'Etat ou des crises qui ont secoué le pays.
Des intellectuels et des poètes passaient également des heures à exposer leurs théories ou à écrire des vers.
Puis ce fut le temps des divisions, lorsque la guerre civile (1975-1990) embrasa le pays.
"La ligne de démarcation qui coupait Beyrouth en deux parties (musulmane et chrétienne) était tout près. La plupart des habitants de Gemmayzé avaient quitté le quartier, mais mon père ouvrait chaque jour", se souvient Mme Abi Haidar.
"Quand les bombes pleuvaient, le peu de clients qui s'y trouvaient se ruaient vers la cuisine pour s'y cacher, puis, quand le calme revenait, ils revenaient à leur table!", se rappelle-t-elle encore.
Elle qui a été bercée par le son du trictrac, du flacon d'eau des narguilés et les chansons de la diva libanaise Feirouz, a pu sauver des souvenirs mais pas le café, dont le style tranche avec celui des bars et pubs voisins. Le "Café des glaces" est l'un des rares à Gemmayzé à offrir encore mezzés et narguilés.
Après des années de procès, elle se dit fatiguée. "Les restaurants et les pubs qui ouvrent maintenant à Gemmayzé nécessitent des investissements à hauteur d'un million de dollars, je ne peux pas me permettre cette somme", dit-elle, résignée.
La rue Gouroud est devenue la première destination pour les soirées beyrouthines, propulsant le prix de l'immobilier à des chiffres astronomiques.
Un client, Tarek Allaouiyeh, 34 ans, venu déguster un repas pour la dernière fois, est dépité. "On privilégie les investissements à la culture", lance-t-il.
Sur les murs de Gemmayzé, de petites affiches ont été placardées sur lesquelles on peut lire "Goodbye Gemmayzeh Cafe". Un concert sera organisé mercredi soir pour une soirée d'adieux.
Le propriétaire de l'immeuble, Massoud Renno, assure qu'il ne compte pas détruire le café mais le louer à un prix supérieur.
Mais pour Giorgio Guy Tarraf, de l'association "Save Beirut Heritage", "le patrimoine n'est pas uniquement de belles pierres anciennes. C'est également des souvenirs, des gens, des lieux".

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