Après avoir maintenu l'incertitude pendant plusieurs mois, Ségolène Royal a tranché : elle sera candidate aux primaires. Mais le chemin qui l'amène à se porter candidate ne fut pas sans détours. Retour sur un an d'annonces et de repositionnements millimétrés.
Le début d'année est difficile pour Ségolène Royal. Alors que la stratégie de Martine Aubry lui vaut une envolée dans les sondages, l'ex-candidate PS reste marginalisée après son échec au congrès de Reims. Ses tentatives de s'imposer face à Vincent Peillon pour le contrôle du courant "L'Espoir à gauche", fin 2009, ont été mal perçues et lui valent une chute de popularité dans l'opinion. Au sein du parti, on tente même de l'oublier, comme Laurent Fabius sur France Inter début février. Elle choisit alors le retrait médiatique : "Je n'ai aucune frayeur à disparaître des médias", glisse-t-elle au Parisien début février, après un mois de silence quasi-total.
La priorité de Ségolène Royal reste de faire campagne dans sa région, quitte a bousculer les codes : en décembre 2009, elle a offert cinq places éligibles au MoDem contre son soutien. Mais la présidente de région n'a pas oublié les primaires, au contraire : son entourage, à l'instar de la députée PS Aurélie Filipetti, annonce qu'elle sera "vraisemblablement candidate". Et Ségolène Royal elle-même explique au Monde Magazine qu'il faudra compter sur elle en 2012, avec ou sans le PS : "Je ne me laisserai pas marcher dessus. Si les primaires ne sont pas correctes, s'il y a de la triche, je reprendrai ma liberté" (lire l'article en édition abonnés).
- Mars-mai 2010 : "Aujourd'hui, je ne suis pas candidate"
Tout change avec les régionales. Deuxième socialiste la mieux élue, avec 60,4 % des voix, Ségolène Royal respire : ce triomphe, qu'elle impute à ses réalisations au sein de la région, laboratoire de ses idées, la remet en selle. Et ennuie Martine Aubry et son entourage, qui se sont employés, entre les deux tours de l'élection, à minimiser le triomphe attendu de la présidente de région Poitou-Charentes.
Pourtant, Mme Royal a compris qu'elle ne peut plus jouer trop en marge du parti. Elle revient dans les médias, mais pour y tempérer ses ambitions. Sur le plateau de France 2, le 26 mars, elle assure qu'elle n'est "aujourd'hui pas candidate" aux primaires. "Je ne veux pas entrer dans la guerre des chefs, même si je sais que je pourrais avoir la légitimité d'être candidate", explique-t-elle.
Parallèlement, elle entreprend de normaliser ses relations avec Martine Aubry, qui ne résiste pas à s'afficher avec son ex-rivale au nom de l'unité retrouvée du parti. Elle change aussi de stratégie médiatique : finies les phrases choc et les provocations, place aux communiqués traitant du fond des dossiers de l'actualité, surtout si elle est régionale : tempête Xynthia, bataille pour sauvegarder Heulliez... Il faut mettre en avant le travail et le sérieux.
- Mai-juillet 2010 : "Le sacrifice de l'ambition personnelle"
Alors que l'entreprise de rabibochage avec Martine Aubry semble porter ses fruits, Ségolène Royal fait un pas de plus vers l'unité. Le 30 mai, sur France 5, elle explique : "Je préfère faire le sacrifice d'une ambition personnelle et voir gagner la gauche, que le contraire." L'ex-candidate PS à la présidentielle veut désormais se placer dans un "dispositif collectif" avec les autres candidats supposés aux primaires.
Elle assure qu'elle décidera de cette candidature "avec les autres leaders", car "c'est une décision collective, un dispositif collectif". D'ailleurs, poursuit-elle : "C'est pour ça que je me rapproche de Martine Aubry (...), que je suis en contact avec Dominique Strauss-Kahn, parce que je pense que, le moment venu, nous aurons à décider tous les trois ensemble comment nous nous engagerons dans cette campagne". En clair, Ségolène Royal s'invite dans le "pacte" supposé passé entre Martine Aubry et DSK, selon lequel ils décideront ensemble qui ira aux primaires.
Une position appréciée des militants, et qui la replace au cœur de l'orchestre socialiste, qui joue la partition de l'unité retrouvée. Au point que les nuances apportées par Mme Royal, comme sur i-Télé, le 8 juin, où elle explique qu'elle n'a "pas encore pris de décision" sur sa candidature et qu'elle "peut très bien gagner une primaire sans problème", passent presque inaperçues au milieu des déclarations inverses.
Ainsi, sur BFM, le 30 juin, Ségolène Royal répète : "Je ne serai candidate contre aucun autre des deux grands leaders du Parti socialiste, (...) je ne serai pas candidate contre Martine Aubry si elle décide de l'être. J'apporterai tout mon soutien", car "s'il y a un conflit, c'est ingagnable".
- Août-septembre 2010 : "Je respecte les échéances"
A la faveur de l'été, Ségolène Royal et Martine Aubry se sont rapprochées. Elles se téléphonent, échangent, rapporte Solférino à la presse. Pourtant, discrètement, Ségolène Royal triomphe : ses idées sur la sécurité, qualifiées – au mieux – d'iconoclastes en 2006, reviennent en force dans le projet du PS sur la sécurité, qui marque un véritable virage idéologique pour le parti. L'ex-candidate les évoque à nouveau : "ordre juste", "sécurité durable", et encadrement militaire des jeunes délinquants. Plus présente dans les médias, elle y incarne une opposition dure à l'UMP et à Nicolas Sarkozy.
Mais derrière cette façade unitaire, le discours change subtilement. "Je respecte les échéances. Le moment n'est pas venu de la candidature. Le moment est venu du travail collectif autour d'un projet", explique-t-elle ainsi sur France 2, le 25 août, appelant de ses vœux un PS capable de "se rassembler dans une démarche morale et dans une démarche transparente". Même réponse, ou presque, sur Europe 1, le 20 août : "Je ne règle pas ces questions en deux minutes. Je vous répondrai le moment venu."
Elle ne parle plus de "pacte", mais respecte l'unité : alors qu'un ouvrage, Petit meurtres entre camarades, de David Revault d'Allones, lui attribue une phrase prononcée en juin ("je pense que je gagne les primaires face à tous les autres candidats"), elle botte en touche, sur RTL, fustigeant la presse qui alimente "le feuilleton de la zizanie au PS", sans démentir les propos.
En vérité, comme elle le confie à quelques journalistes en marge de l'université d'été de La Rochelle, où son discours est applaudi même par ses ennemis, Ségolène Royal n'a jamais abandonné ses ambitions. L'un de ses fidèles, Jean-Louis Bianco, a pourtant annoncé sa probable candidature, entre autres pour incarner les idées des "royalistes". Et occuper le terrain ?
- Octobre-novembre 2010 : "Si je suis en situation"
Avec le conflit sur les retraites, le duo Aubry-Royal apparaît encore plus présent. Lorsque Malek Boutih critique le flou de la première secrétaire sur le projet du PS sur la question, Ségolène Royal joue les gardiennes du temple : ""Il faut que les socialistes apprennent à être un peu disciplinés. C'est bien la liberté de parole, mais c'est bien la protection de l'unité."
La fête de sa formation, Désirs d'avenir, à Arcueil, le 19 septembre, est un hymne à l'unité et la célébration de son retour dans la "famille" socialiste. Nombre de responsables ex-ennemis mortels, comme Claude Bartolone, ont répondu à l'invitation. Et Ségolène Royal martèle : "Unis nous sommes, unis nous demeurerons. Nous resterons ensemble quoi qu'il arrive, face aux obstacles, nous serons ensemble en dépit de toutes les tentatives pour nous opposer." Revenue dans le sérail, Ségolène Royal monte au front pour jouer les porte-parole de son parti sur les retraites, en plein accord avec la première secrétaire, qu'elle remplace même au pied levé sur France 2, le 9 septembre.
Quant à ses ambitions personnelles, elle continue d'entretenir le flou : Sur France 5, le 3 octobre, elle n'exclut pas une seconde candidature à la présidentielle, "si je suis en situation, s'il y a un rassemblement, si je suis soutenue, si je suis désignée par les primaires"... Mais nuance immédiatement : "Je ne ferai pas d'annonce intempestive avant de lui en avoir parlé [à Martine Aubry], sans que Dominique Strauss-Kahn soit associé à cette discussion s'il le souhaite, Laurent Fabius s'il le souhaite".
- 29 novembre 2010 : "Ma réponse est oui"
Mais le contexte change rapidement : une vague de sondages montre, courant novembre, que DSK se place nettement au-dessus de tous les autres candidats. Surtout, Martine Aubry ne décolle pas dans les sondages. Et les candidatures aux primaires se multiplient. Après Manuel Valls, Arnaud Montebourg annonce la sienne le 19 novembre. François Hollande, pas encore officiellement candidat, est déjà en campagne. Et dans le camp d'en face, la cote de popularité de Nicolas Sarkozy s'enfonce dans les profondeurs. Il est temps de réagir, estiment Mme Royal et ses proches.
Fin novembre, tout s'accélère : En marge d'une interview au magazine allemand Stern, le 23 novembre, Dominique Strauss-Kahn glisse qu'il compte "assurer [sa] fonction de directeur général du FMI jusqu'à la fin. Et la fin, c'est 2012". Les strauss-kahniens tentent de relativiser cette annonce, mais elle affole les socialistes. Sur France 2, Martine Aubry évoque ouvertement le "pacte" entre elle, DSK... et Ségolène Royal.
Sortie tactique ? La présidente PS de la région Poitou-Charentes doit abattre ses cartes. Quitte à changer de message. "Personne ne s'interdit d'être candidat aux primaires, y compris moi. Je n'irai pas dans un dispositif qui empêcherait les primaires pour une quelconque raison de confort personnel", lance-t-elle le 26 novembre. Elle était pourtant, jusqu'ici, la première à se féliciter de ce "pacte". Trois jours plus tard, prenant tout le monde de court, elle annonce sa candidature.
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