Si seulement une carte de presse pouvait prémunir des tourments de l'information, alors tout serait décidément plus simple. Mais non, il n'en est rien. Un journaliste digne de ce nom ne peut qu'éprouver des sentiments ambivalents devant les révélations de WikiLeaks. D'un côté, la satisfaction de voir la vérité l'emporter sur l'occulte. Les faits sur la dissimulation. La lucidité des peuples sur l'obscurantisme confiscatoire des services secrets. De l'autre, la gêne de participer à un grand déballage dans lequel il n'est pas sûr, loin de là, que l'humanité trouve quoi que ce soit à y gagner.
La question que pose la publication des milliers de câbles diplomatiques américains, c'est celle de la transparence de l'histoire. Faut-il vraiment aller fouiller dans les arrière-cuisines des relations internationales pour exhumer leurs reliefs les moins ragoûtants ? Après tout, on sait bien que la vertu n'a jamais guidé le monde et que les sourires des sommets masquent nombre d'arrière-pensées nettement moins gracieuses. Voilà des siècles et des siècles que l'hypocrisie fait partie du jeu des puissants. Sans doute est-elle nécessaire, même, pour conjurer les inimitiés, voire les haines personnelles entre chefs d'État, ou les simples contradictions d'un présent compliqué. Avec un peu de cynisme on pourrait presque la considérer comme partie intégrante d'un système de civilisation. A quoi bon mettre en danger les équilibres fragiles entre les géants de notre petite planète pour éprouver le plaisir, somme toute modeste, d'avoir levé le voile sur des secrets qu'on aurait voulu nous cacher ?
Les fuites de WikiLeaks, pourtant, concourent aussi à la dignité de notre condition. Savoir ! Savoir ce qui nous menace. Savoir ce que les grands dirigeants redoutent sans oser partager leur inquiétude de peur d'y perdre un peu de leur superbe, ce n'est pas vain. C'est une dimension de l'affranchissement des hommes à l'égard des pouvoirs. Un élan irrépressible pour résister à l'aliénation des consciences. Une résistance aux multiples tentatives de manipulation par les gouvernants.
Les cinq grands journaux triés sur le volet qui ont décidé de publier la masse de documents confidentiels du secrétariat à la Défense et du secrétariat d'État américain veulent prendre leurs précautions pour ne pas vulnérabiliser le monde. C'est à leur honneur. Mais la relative facilité avec laquelle ils sont parvenus à se procurer secrets et confidences n'est pas rassurante. Leurs « exploits » pour récupérer ces données sur Internet dessinent aussi une menace grandissante pour les nations dépouillées de leur intimité minimale, et exposées à toutes les agressions.
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