TOUT EST DIT

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mardi 30 novembre 2010

WikiLeaks : décoder la Corée du Nord à l'aune de la transition dynastique

Comment soulever le voile ? Percer l'épais mystère qui entoure Pyongyang à l'heure d'un délicat processus de succession à sa tête ? Les diplomates américains consultent beaucoup pour tenter de décrypter les évolutions du régime de la Corée du Nord, dynastie stalino-nationaliste dont les foucades nucléaires inquiètent l'ensemble de l'Extrême-Orient, et au-delà. Les avis des Sud-Coréens, des Chinois et des Russes sont particulièrement sollicités. La plupart des analyses rassemblées par les Américains convergent : le durcissement du comportement extérieur de Pyongyang (tirs de missile et essai nucléaire du printemps 2009, torpillage en mars 2010 de la corvette sud-coréenne Cheonan imputé à la Corée du Nord par une commission d'enquête internationale) est directement lié aux aléas de la transition dynastique en cours au sommet du régime.

Ce processus de succession, précipité par l'accident cérébral dont le "grand dirigeant" Kim Jong-il a été la victime l'été 2008, domine de manière écrasante l'agenda nord-coréen. En avril 2009, l'ambassade américaine de Moscou reçoit un diplomate russe travaillant sur le dossier nord-coréen. L'intransigeance de Pyongyang sur la question nucléaire et son agressivité à l'égard du Sud, analyse ce dernier, visent "à masquer une lutte interne pour la succession" selon un document obtenu par WikiLeaks et révélé par Le Monde. A la même époque, l'ambassade américaine de Séoul débat du même sujet avec un officier supérieur sud-coréen dont la mission est de décoder les arcanes de Pyongyang.
La conversation porte sur la mise en scène de diverses initiatives de la hiérarchie militaire par la propagande du régime. Les généraux du Nord, analyse le Sud-Coréen, sont conviés à s'afficher pour envoyer un "message d'ordre" au pays à l'heure où des manifestations de mécontentement ont été signalées. "Pour damer toute dissidence interne, il faut créer de la tension extérieure", affirme l'officier sud-coréen. Faut-il prendre au sérieux ces rumeurs de malaise intérieur ? Le même interlocuteur sud-coréen se fait l'écho d'une "insatisfaction au sein de certains groupes de l'élite, qui sont au courant des réformes économiques en Chine et au Vietnam et se demandent pourquoi la situation de la Corée du Nord, elle, se détériore".
UN SCÉNARIO POUR CONSACRER LES DÉBUTS DE L'HÉRITIER
En janvier 2010, un autre haut-responsable sud-coréen va même jusqu'à rapporter à la mission américaine de Séoul qu'"un nombre non spécifié d'officiels nord-coréens de rang élevé en poste à l'étranger ont récemment fait défection au profit de la Corée du Sud".

Au même moment, un civil chinois familier de la Corée du Nord rencontré par le consulat américain d'une ville de Chine se fait l'écho d'informations similaires. Il raconte que, suite à une défection, tous les étudiants et scientifiques nord-coréens séjournant en Chine ont été rappelés au pays, signe de la "paranoïa" de Kim Jong-il. Mais le durcissement externe ne viserait pas qu'à désamorcer les oppositions internes. Il constituerait aussi un préalable à une future discussion avec les Etats-Unis, dont Pyongyang escompte des "garanties de sécurité" vitales pour sa survie.
"Il faut d'abord faire monter la pression pour créer un besoin de dialogue", note l'officier sud-coréen rencontré par la mission américaine de Séoul en avril 2009. Les Chinois partagent cet avis. A Pékin, un officiel chinois explique aux diplomates américains en juin 2009 que Kim Jong-il a décidé de provoquer une "escalade de la tension avec les Etats-Unis" afin de permettre à son successeur présumé – son fils cadet Kim Jong-un [à l'époque non encore officiellement adoubé] – de "sauter dans le train pour soulager la pression".
UN "ÉTAT TAMPON" ENTRE LA CHINE ET LA CORÉE DU SUD
Bref, un scénario minutieusement réglé pour consacrer les débuts de l'héritier. Mais au-delà de ces manœuvres tactiques, quid de l'avenir du régime ? Le scénario le plus catastrophiste offert aux diplomates américains émane d'un vice-ministre sud-coréen. En février 2010 à Séoul, ce dernier confie à ses interlocuteurs : "La Corée du Nord s'est déjà effondrée économiquement. Elle s'effondrera politiquement deux ou trois ans après la mort de Kim Jong-il."
Seul soutien extérieur du régime, Pékin "ne pourra l'empêcher", souligne le même vice-ministre. Les Chinois font évidemment passer le message inverse. "Les experts américains ne devraient pas présumer que la Corée du Nord s'effondrera après la mort de Kim Jong-il" met en garde l'officiel chinois rencontré à Pékin en juin 2009.
Mais la position chinoise n'est pas aussi monolithique qu'elle en a l'air. Officiellement, l'orthodoxie de Pékin sur l'avenir de la péninsule coréenne est la défense du statu quo qui, à travers l'existence de la Corée du Nord, permet d'installer un "Etat tampon" entre la Chine et la Corée du Sud pro-américaine. Selon le vice-ministre sud-coréen rencontré par la mission américaine de Séoul en février 2010, certains officiels chinois sont toutefois plus ouverts – bien sûr en privé – sur une perspective finale de réunification. Ces responsables chinois, note-t-il, "sont prêts à admettre la nouvelle réalité que la Corée du Nord n'a plus qu'une valeur limitée d''Etat tampon' pour Pékin" et que les deux Etats devraient donc être "réunifiés" sous les couleurs du Sud.
La Chine s'y résoudrait, poursuit le vice-ministre sud-coréen citant ses sources chinoises, mais elle ne saurait accepter la présence de troupes américaines au nord de l'actuelle frontière. En outre, la nouvelle Corée réunifiée ne devra manifester en aucune manière d' "hostilité " à l'égard de la Chine. La révélation de cette école de pensée au sein de la diplomatie chinoise montre que Pékin dispose déjà d'un plan B au cas où son fidèle allié du Nord viendrait à disparaître.

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