TOUT EST DIT

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mardi 30 novembre 2010

Un immense potin planétaire

Au premier abord, l'appât est alléchant. Soulever le voile aiguise toujours la curiosité. Savoir ce que les pays arabes pensent de l'Iran ou ce que les diplomates américains en poste à Paris, Moscou ou Rome écrivent de Sarkozy, Poutine ou Berlusconi, voilà une tentation irrésistible. Le monde entier, d'ailleurs, y a succombé, hier. Les « révélations » du site WikiLeaks, reprises par quelques grands quotidiens internationaux, ont fait le tour du village global en un instant. Comme un immense potin planétaire. Massif, soudain, incontrôlable.

De quoi s'agit-il ? De documents diplomatiques échangés entre Washington et ses ambassades. Des télégrammes produits par milliers chaque jour. Le site Internet WikiLeaks, auteur de la fuite, en a récolté plus de 250 000, l'essentiel sur la période récente, 2004-2010. La nature de ces écrits varie, alternant analyses politiques, comptes rendus d'entretiens ou portraits. Certains ne révèlent rien, d'autres nous apprennent beaucoup. Il y a, en fait, de tout au supermarché de la fuite.

D'ordinaire, les historiens doivent attendre trente ans, ou plus, pour aller, patiemment, éplucher des cartons entiers de télégrammes dans les couloirs sombres des archives. Hier, en un clic, tout ce temps a été aboli. Soulevant, au passage, mille interrogations sur les conséquences politiques et diplomatiques d'une telle entreprise de révélation. Soulevant aussi des questionnements éthiques sur le traitement journalistique d'un tel matériel dévoilé par une officine aussi obscure que les jeux troubles qu'elle prétend dénoncer.

Pour ceux qui doutaient encore de la puissance subversive d'Internet, les voilà servis. En ciblant l'appareil diplomatique des États-Unis dans son ensemble, WikiLeaks vient de pratiquer une cyber-attaque en règle. Une attaque asymétrique qui laisse pantois, puisque la première puissance militaire et technologique du globe n'est pas en mesure de préserver ses propres documents. Les autres non plus, sans doute.

Hier, les avis étaient partagés sur l'impact que ce gigantesque scoop aura sur le travail des diplomates. La confidentialité, gage de confiance, est une dimension consubstantielle de l'action diplomatique. La miner n'est pas sans risque pour la nature des relations entre États.

Si WikiLeaks n'avait révélé qu'un dossier, par exemple les consignes d'espionnage de Washington aux dépens des fonctionnaires des Nations unies, le scandale aurait été tout autre. L'indignation aussi, d'ailleurs. Lorsque le site du mystérieux Julian Assange a révélé des documents militaires américains sur l'Afghanistan, le registre de l'investigation pouvait encore être invoqué. Mais, en procédant de façon systémique, en visant un des rouages du fonctionnement de l'État américain, un saut qualitatif vient d'être franchi. Le scoop industriel, par ses dimensions, change la nature même du scoop.

La perplexité est d'autant plus grande que le fondateur de WikiLeaks se fait volontiers l'apôtre de la transparence. Depuis la nuit des temps, le politique, le diplomate et l'espion usent de toute la gamme qu'offre la communication politique, de la confidence au secret en passant par la manipulation. Avec le détonateur Internet, qui conjugue la dictature de l'instant médiatique et le leurre de la transparence, WikiLeaks vient de bousculer cette partition. Et de donner, sans doute, des idées aux partisans d'une plus grande régulation de la toile.

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