TOUT EST DIT

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mercredi 16 février 2011

Marché de l'électricité : quel prix pour le nucléaire d'EDF ?

Après les échecs de 2000, 2004 et 2006, la réforme du marché de l'électricité doit permettre ce que les précédentes tentatives n'ont pas réussi : l'ouverture du marché français à la concurrence. Va-t-elle y parvenir ? Tout dépend de ses modalités, qui restent à définir par le gouvernement. Votée fin novembre par le Parlement, la Nouvelle Organisation du marché de l'électricité (Nome) part d'un constat : la production nucléaire en France est un monopole d'EDF. Pour qu'une concurrence réelle s'instaure dans l'Hexagone, le texte prévoit que ses rivaux aient accès à une partie de cette électricité nucléaire, aux mêmes conditions que l'opérateur historique.

Quelles sont-elles ? C'est toute la question, à laquelle le gouvernement a soigneusement évité de répondre durant le débat parlementaire. Mais à six mois de l'objectif d'entrée en vigueur de la loi, il ne peut plus éluder le débat. Problème : quel est le vrai coût du nucléaire ? En France, où les coûts de production d'EDF relèvent presque du secret d'Etat, la question s'apparente à un casse-tête. C'est bien simple, demandez à quatre experts, vous aurez quatre réponses différentes !

GDF Suez, qui doit bénéficier du dispositif, rappelle volontiers qu'il dispose déjà de droits de tirage sur plusieurs centrales nucléaires françaises et qu'EDF lui facture cette électricité à 31 euros par mégawattheure (MWh). La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a d'ailleurs chiffré à ce niveau le prix de revient du nucléaire français. Celui-ci apparaît donc supérieur à celui des centrales exploitées par GDF Suez en Belgique, où le régulateur estime le coût de production compris entre 17 et 21 euros par MWh - un ordre de grandeur comparable à celui observé en Finlande par l'électricien TVO.

EDF, qui devra à l'avenir vendre son électricité nucléaire, assure, lui, que son coût complet s'élève en fait à 46 euros par MWh. Pour arriver à ce chiffre, il part de l'investissement initial réalisé dans les 58 réacteurs français et actualise la somme en monnaie actuelle. Ce faisant, l'opérateur historique raisonne en termes de « valorisation » et non sur la base du « coût de revient » du parc amorti. Quant aux futurs réacteurs, comme celui qui est en construction à Flamanville, ils doivent théoriquement produire de l'électricité à plus de 55 euros par MWh. Toutes ces estimations incluent le coût de l'investissement, les coûts d'exploitation et les charges liées au démantèlement ou à la gestion des déchets.

Dans le cadre de la loi Nome, EDF consent à faire un « effort » et se dit prêt à vendre son nucléaire à 42 euros par MWh, ce qui correspond à son niveau dans le Tartam, un tarif spécifique réservé aux entreprises. En dessous, ce serait du pillage, selon son patron, Henri Proglio. « Je ne suis pas là pour laisser piller le patrimoine national », martèle le PDG d'EDF. De son côté, GDF Suez se dit également prêt à faire un effort, en allant jusqu'à payer un niveau de 35 euros, soit la part du nucléaire dans le tarif Bleu facturé aux particuliers. « Nous n'achèterons pas à 42 pour revendre à 35 », insiste son président, Gérard Mestrallet.

Dans la loi, l'Etat a tenté d'encadrer les choses à travers des « références », comme la cohérence avec le Tartam, très chère à EDF. Mais elles aussi sont contestables. La preuve : la CRE elle-même semble avoir du mal à s'y retrouver... Sur la base de ces références, ses services avaient réalisé en mai dernier une projection aboutissant à un prix de « l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique » (Arenh) compris entre 37,5 et 38,8 euros par MWh. Huit mois plus tard, en janvier, son président soutenait mordicus que, selon les paramètres retenus, le niveau pouvait dépasser 42 euros... Il était reconduit à son poste une semaine plus tard.

Pour sortir de cette impasse et dépassionner le débat, le gouvernement a confié à Paul Champsaur, l'auteur du rapport qui a donné naissance à la loi, une mission sur la méthode de calcul de cet Arenh. L'ancien président de l'Autorité de régulation des télécommunications doit rendre son rapport d'ici au début de mars au gouvernement. Tout laisse à penser qu'il proposera une voie intermédiaire, qui fasse le moins de mécontents possible, tout en préservant les objectifs fondamentaux de la loi : préserver la compétitivité de l'électricité nucléaire, développer la concurrence et financer les investissements nécessaires.

Le gouvernement ne veut pas adopter aveuglément les recommandations de Paul Champsaur et de ses collègues, l'ancien ministre Bruno Durieux et l'économiste Jacques Percebois. Il doit cependant garder à l'esprit une contrainte purement mécanique, qui n'est pas sans conséquence politique : plus l'Arenh sera élevé, plus forte devra être la hausse des tarifs Bleu d'ici à 2015, qui correspond à une échéance importante de la loi Nome. Moins il sera élevé, moins la marche sera haute à franchir. Qui privilégier ? Le consommateur-électeur, qui veut éviter toute dérive tarifaire, ou le contribuable actionnaire, qui veut préserver la valeur d'EDF ?

L'Etat, qui détient 84 % de l'électricien public et 36 % de GDF Suez, devra trouver un compromis ne contrariant ni l'un ni l'autre. Sans doute y arrivera-t-il en recourant à des astuces techniques pas forcément lisibles. Peut-être aussi en attribuant des lots de consolation a priori déconnectés du débat, comme son éventuel accord à la construction d'un réacteur Atmea dans la vallée du Rhône - une demande forte de GDF Suez -, ou à l'inverse, en laissant EDF étendre son influence sur filière nucléaire française et son pilier, Areva. Est-ce un hasard si le niveau de l'Arenh sera finalement fixé en avril ou mai, et non plus en mars, après un Conseil de politique nucléaire lui aussi très attendu ?

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