TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

mercredi 16 février 2011

Une certaine realpolitik est remise en cause par les révolutions arabes

"J'ai eu tort de demander un secrétariat d'Etat aux droits de l'homme. C'est une erreur. Car il y a contradiction permanente entre les droits de l'homme et la politique étrangère d'un Etat." L'ancien ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner avait choisi le 10 décembre 2008, Journée internationale des droits de l'homme, le jour où je remettais le Prix des droits de l'homme de la République française aux victimes des régimes autoritaires de tous pays, pour, en une phrase, décider d'écarter les droits de l'homme de notre politique étrangère.

Fallait-il que dissidents, militants des droits de l'homme, journalistes bâillonnés, avocats emprisonnés, homosexuels lapidés, femmes victimes de viols, enfants-soldats, ONG du monde entier comprennent, ce jour-là, qu'ils ne devaient plus rien attendre de la France ? Sonnée, je n'étais pas triste pour mon innocence perdue ni pour mes vieux rêves d'universalité ainsi piétinés, mais pour mon pays et l'idée que je m'en faisais.
J'ai continué, en attendant la suppression programmée d'un ministère apprécié des Français, à les recevoir clandestinement, ces dissidents, par les portes dérobées du Quai d'Orsay, avec la courageuse complicité de certains de ses diplomates. Des Tibétains, des Tunisiens, des Soudanais... J'eus le sentiment, à mon tour, d'être une dissidente dans mon propre pays.
Comme s'il fallait avoir honte de ces gestes qui avaient pourtant, depuis deux siècles, valu à la France sa singulière position dans le monde.
Par ces gestes-là, commis à l'abri des gardiens de la realpolitik, je m'accrochais coûte que coûte à une certaine idée de la France, à cet idéal gaullien que l'immigrée que je suis avait nourrie avant même de fouler le sol de la patrie des droits de l'homme. Je voulais montrer à nos amis dont les droits étaient violés qu'il restait quelque chose de cette patrie-là.
Les insurrections magnifiques de Tunis et du Caire nous prouvent que, si, les droits de l'homme sont nécessaires à la politique étrangère d'une puissance comme la nôtre. S'il y a des contradictions, on peut apprendre à les surmonter. Car, comme le disait Raymond Aron, le choix n'est pas entre le bien ou le mal mais entre le préférable et le détestable. C'est la realpolitik, dans sa forme la plus brute, qui est désormais questionnée par les révolutions arabes. Des révolutions qui se font en français. Malgré tout. "Dégage !", disent-ils de Tunis à la place Tahrir, pour être sûrs d'être compris du monde.
Tahrir, le mot sonne comme un rugissement. Celui des peuples arabes qui s'éveillent à la démocratie et à la liberté.
Les mots manquent pour dire l'indéfinissable émotion de ce printemps exceptionnel, comme nous le connûmes en 1789. Comme les pays d'Europe de l'Est l'éprouvèrent dans les années 1990. Le Caire, si près et si loin. Comme quoi les peuples arabes ont prouvé, s'il le fallait, que les droits de l'homme ne sont pas faits que pour nous, les Occidentaux. Qu'eux aussi méritent de vivre en hommes debout.
Et nous, nous mégotons. Brandissons la menace islamiste. Agitons le chiffon rouge du chaos. Prédisons que le pire est à venir. Scrutons les Frères musulmans au Caire, à défaut d'en avoir vu à Tunis. Avec nos vieilles lunettes, nous voyons venir la révolution islamique d'Iran. N'aurions-nous jamais le droit d'espérer ? Que ne leur faisons-nous pas confiance, à ces peuples qui viennent, au-delà de la peur et des reproches, de prouver leur maturité politique ! Tout seuls. Face à un Occident tétanisé, jusqu'à oublier comment lui-même était devenu libre et démocratique.
Les vieux raïs arabes, gages d'une prétendue stabilité régionale, n'étaient donc que des feux de paille, qu'une foule hurlante a chassés en quelques jours, alors que nous nous en étions accommodés pendant des décennies.
Qu'attendons-nous pour rugir avec la place Tahrir ? Avec cette vieille civilisation qu'est l'Egypte, dont la jeunesse vient de nous donner une leçon de liberté ? Au moment où l'Europe se ferme un peu plus, avec la montée des extrêmes droites, qui, elles, n'aiment ni la liberté ni la démocratie.
Oui, on peut être musulman et vouloir être libre. Oui, on peut être arabe et refuser l'obscurantisme islamiste. Ces jeunes hommes et femmes n'ont pas crié : "A bas Israël !" Ils n'ont pas dit : "Haro sur l'Occident !" Ils n'ont pas hurlé : "Vive Al-Qaida !" C'est une génération éduquée qui demande des emplois et des libertés. Alors, ne restons pas bloqués sur nos vieilles peurs.
Notre pays doit être aux avant-postes. Il ne nous appartient pas. Nous n'en sommes que les héritiers temporaires. C'est une France forte que nous avons reçue de nos parents. C'est une France forte que nous devrons léguer à nos enfants. Notre politique étrangère devra désormais, de Cuba à la Chine, tendre la main aux dissidents d'aujourd'hui, qui, du fond de leurs geôles, seront sans doute des héros demain, les futurs bâtisseurs de pays démocratiques et libres. Voyons-les. Parlons-leur. Soyons audacieux. N'ayons pas peur de la liberté. Eux, là-bas sur la place Tahrir, comme nous naguère à la Bastille, n'ont peur de rien.
Rappelons-nous, surtout nous Français, qui nous sommes : les pionniers de la liberté politique. Les droits de l'homme ne sont pas un gros mot ni une erreur, mais l'honneur de la France. Ne laissons pas l'héritage filer du côté du Nil, sans nous. Les Tunisiens et les Egyptiens sont nos cousins de combat. Et d'espérance. L'Histoire n'est pas finie. C'est une bonne nouvelle.
Rama Yade, ancienne secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, membre du bureau politique de l'UMP et du Parti radical

0 commentaires: