TOUT EST DIT

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mercredi 16 février 2011

Bouazizi et Ghonim, ces héros !


Inconnus hier, ce sont aujourd'hui des héros. Mohamed Bouazizi et Wael Ghonim, premiers visages de la révolution arabe, incarnent sa nouveauté. Le jeune Tunisien de Sidi Bouzid, diplômé et sans emploi, vendeur de légumes à la sauvette, en s'immolant par le feu le 17 décembre dernier, a déclenché le processus. Le blogueur égyptien, enlevé par la police et remis en liberté, a joué un rôle important dans la mobilisation électronique. C'est en comparant et en reliant ces deux visages, déjà devenus icônes, qu'on comprend mieux la métamorphose en cours.


L'un comme l'autre appartiennent à cette nouvelle génération indifférente aux appareils politiques comme aux intégrismes religieux. Etudes supérieures, sentiment d'impasse, refus d'un avenir sans horizon - voilà ce qui rapproche ces trentenaires sans dogme ni parti ni programme. Il faut y ajouter l'émotion. Peut-être faudrait-il même lui donner la première place. Car leur révolte n'est pas théoricienne. Elle ne s'inscrit dans aucun discours préétabli. Elle est d'abord émotionnelle, passionnée. Ce qui les fait agir, ce ne sont pas des concepts mais des affects - sentiment de l'intolérable, lassitude des brimades, désir de dignité.


Bouazizi était pauvre, Ghonim vivait à Dubaï au bord de sa piscine. Le premier survivait dans l'économie parallèle, l'autre dirigeait chez Google le secteur du Moyen-Orient. Pourtant, ce qui les distingue est moins le niveau de vie et de revenus que le mode d'action. L'un s'est tué, l'autre non. Le suicide de Mohamed Bouazizi est une communication du désespoir, une mise en lumière de l'impossibilité de vivre dans de pareilles conditions, un appel ultime au bouleversement d'un ordre injuste. Suscité par le présent, son mode d'action est cependant immémorial - sacrifice solitaire, immolation muette. Son geste, que d'autres continuent de réitérer, aurait pu aussi bien trouver place en d'autres temps que le nôtre.


Au contraire, l'action de Wael Ghonim n'appartient qu'à notre temps. Sans Google, Facebook et Twitter, rien n'aurait été possible de ses appels à la résistance, au courage et à la liberté, rien n'aurait exister des réponses, des interactions, des prises de conscience des dizaines de milliers de connectés, créant des occasions infinies de déjouer la répression policière. Ce qu'incarne l'Egyptien de chez Google, c'est évidemment l'impact neuf de la société numérique sur l'action politique. Mais il serait faux d'opposer sa modernité à l'archaïsme du Tunisien sans ressources. En fait, ils sont complémentaires. Et c'est même leur étroite relation qui dessine le paysage nouveau.


En effet, sans les réseaux digitaux, le sacrifice de Mohamed Bouazizi n'aurait rien déclenché. Quand les médias sont aux ordres, que l'information descend d'en haut, à sens unique, aucun geste jamais n'a de répercussion, si radical soit-il. A l'inverse, une fois que la parole circule sans que personne ne puisse la contrôler, la face du monde peut commencer à changer. Dans la longue histoire du pouvoir, voilà un point d'inflexion capital. Ce qui l'accompagne est sans doute plus essentiel encore : la fin de la peur.


En se sacrifiant par le feu, en défiant la police, en osant dire ce qu'ils pensent, ce qu'ils refusent et ce qu'ils espèrent, Bouazizi et Ghonim, et les foules anonymes qu'ils représentent, marquent un moment clef dans l'histoire contemporaine de leurs pays : celui où l'on cesse de consentir, de baisser les yeux, de subir. Ce qui l'emporte, avec le sentiment de n'avoir plus rien à perdre, c'est cette volonté d'en finir avec la soumission. Avec véhémence, avec quelque confusion parfois, soudain le désir de dignité se révèle plus puissant que la terreur.


Difficile de savoir comment s'enclenche pareil sursaut. Qu'il ne se comprenne pas encore lui-même, qu'il se cherche et tâtonne, c'est l'évidence. Mais une chose est sûre : parce qu'ils conjuguent émotions, communication libre et fin de la peur, les événements en cours dans plusieurs pays arabes ne peuvent plus se lire avec les anciennes cartes mentales.

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