TOUT EST DIT

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mercredi 16 février 2011

Les cyberactivistes égyptiens s'organisent

Avec l'armée, ils engagent le dialogue pour faire entendre leurs revendications et préserver leur «révolution». 

Lundi soir, au troisième jour l'après-Moubarak. À la veille du Mouled el-Nabi, la fête de la naissance du Prophète, c'est l'ébullition au siège du parti libéral al-Gada, le Front démocratique d'Oussama Ghazaly Harb, figure de la vie politique égyptienne. Dans les couloirs de la villa nichée dans une rue calme du quartier de Mohandessine, loin des clameurs révolutionnaires de la place Tahrir, il faut jouer des coudes pour se faire une place. «Foulée au pied» à l'époque de Hosni Moubarak, l'opposition égyptienne ne veut pas laisser passer sa chance de se faire entendre de son nouvel interlocuteur: l'armée.
On croise des chevilles ouvrières de la gauche marxiste et nassérienne, des islamistes comme Mohamed el-Beltaguy, ancien député des Frères musulmans, ou des figures de la contestation, tel Georges Ishak, vétéran de Kefaya («Ça suffit»), le premier mouvement à avoir demandé, dès 2004, le départ du tout-puissant raïs. On voit, surtout, de jeunes activistes et des blogueurs, inspirateurs de la «révolution du 25 janvier», dont ils se sentent aujourd'hui le devoir de protéger l'héritage et les acquis.

Difficile cohabitation en perspective

Le visage encadré d'un voile rose, Israa Abdel Fatah écoute avec attention les intervenants. «Il faut qu'on se mette d'accord sur nos demandes pour présenter un programme et un calendrier précis à l'armée», souffle-t-elle. Il y a trois mois, la jeune femme était de l'autre côté de la table pour coordonner le contrôle de l'indépendance d'élections parlementaires qui allaient tourner au massacre pour l'opposition. Mais les cyberactivistes savaient que le vent finirait par tourner. Israa la première: le 6 avril 2008, c'est elle qui avait lancé sur Facebook, déjà, un appel à la grève générale, coup de semonce ignoré par un raïs enfermé sans sa tour d'ivoire. Passés maîtres dans l'art de la guérilla virtuelle, les «Jeunes de la révolution» savent que, pour peser sur l'avenir, ils doivent maintenant trouver leur place sur l'échiquier politique réel, et en comprendre les règles du jeu. «C'est pour ça qu'on a sollicité des personnalités comme Mohamed ElBaradei ou Ahmed Zoweil (Prix Nobel de chimie, NDLR), pour qu'ils nous fassent profiter de leur expérience», souligne Israa. Assis dans un coin de la salle, le romancier Alaa el-Aswany, auteur du best-seller L'Immeuble Yacoubian, et critique de longue date du régime Moubarak, fait partie de ces figures tutélaires. «Il était dangereux d'avoir une tête qui dépasse tant que la révolution n'avait pas abouti, car il aurait été facile pour le pouvoir de la couper ou de la manipuler, estime-t-il. Mais maintenant il faut des représentants crédibles. Il n'y a pas de temps à perdre, car la contre-révolution est en marche. Les partisans du régime œuvrent en coulisse pour dévoyer la révolution, ou la voler.»
Dimanche, un premier groupe de huit jeunes a été mandaté pour rencontrer les militaires. À sa tête, Ahmed Maher, fondateur du Mouvement du 6 avril, et Waël Ghonim, le blogueur dont les larmes versées sur les victimes de la répression, qu'il découvrait après onze jours de prison, ont donné un second souffle décisif au soulèvement.

La refonte prendra du temps

«Chacun a formulé son point de vue , raconte Abdelrahman Samir, un membre de la délégation. On a plaidé pour une accélération des réformes, un gouvernement transitoire et la levée de l'état d'urgence; l'armée a demandé la fin des manifestations et le soutien à la reprise de l'économie et du tourisme. On ne peut pas encore parler de négociations. C'était plutôt une façon d'engager le dialogue.» Veste en velours marron et petit bouc soigneusement taillé, le jeune homme joue nerveusement avec ses trois téléphones portables. Représentant de la Coalition nationale pour le changement de Mohamed ElBaradei, il sait qu'il sera difficile de faire cohabiter dans une même structure des gens aux idées si différentes. Difficile, aussi, de dépasser jalousies et questions de préséance entre vieux opposants et jeunes révolutionnaires, au sein des «comités» qui seront chargés de proposer des réformes et de négocier avec l'armée.
Les activistes sont plus généralement conscients que la refonte du paysage politique prendra du temps, et que les militaires pourraient en profiter pour asseoir leur emprise. «L'armée est très respectable et loyale, mais le fait d'être au pouvoir peut entraîner des ambitions, souligne Abdelrahman Samir. Il faut donc qu'on maintienne la pression pour que les réformes promises soient appliquées.» «On sera de nouveau dans la rue vendredi, pour “fêter la victoire”, précise Farah Kamal, membre du Mouvement du 25 janvier. On recommencera s'il le faut tous les vendredis, pour ne pas trop perturber la circulation. On reste plus que jamais mobilisés!»

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