TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

vendredi 18 février 2011

Le triangle infernal de la succession Trichet

L'horloge tourne. Dans deux cent cinquante-cinq jours, Jean-Claude Trichet doit quitter son bureau de président de la Banque centrale européenne, au trente-cinquième étage de l'Eurotower de Francfort. Son successeur le plus crédible, l'Allemand Axel Weber, s'est retiré de la course la semaine dernière, avec l'élégance d'un gamin vexé d'avoir cassé son jouet. Le président de la Bundesbank, la banque centrale allemande, avait gâché ses chances par son intransigeance les mois précédents, critiquant notamment en public l'action de Trichet (certains emploient une expression beaucoup moins polie où il est question de bottes). Qui alors ? L'incertitude est hélas fréquente pour les postes essentiels de l'Union européenne. Mais là, il y a le feu au lac. Un gigantesque incendie a dévasté la finance mondiale en 2008, des retours de flammes brutaux ont frappé l'Europe l'an dernier et des flammèches s'envolent encore. Ce n'est pas le moment de laisser la caserne de pompiers sans capitaine.
Le problème, c'est que le poste est très difficile à pourvoir. La petite annonce rédigée par les économistes de la banque Barclays ressemble à un vrai casse-tête. L'impétrant devra savoir «  forger un consensus en dirigeant le conseil des gouverneurs (et, en son sein, le directoire de la BCE). Il devra être capable de représenter l'Eurosystème à haut niveau à des réunions de banquiers centraux, aux réunions de l'Eurogroupe, devant le Parlement européen et dans maintes autres manifestations internationales et européennes. Le président devra donc être capable d'aller dans le détail et d'avoir une expertise technique, tout en exerçant une réelle autorité ».
Commençons par les compétences. Compétences managériales et politiques qui ont manifestement manqué à Weber, mais aussi et surtout compétences techniques. Autrefois, le patron de banque centrale n'était pas tant recruté pour ses connaissances économiques que pour ses accointances politiques. Alan Greenspan, le « maestro » de la Réserve fédérale des Etats-Unis jusqu'en 2006, était un simple conjoncturiste qui avait conseillé les présidents Ford et Nixon. Ernst Welteke, le prédécesseur de Weber, était un politicien du SPD, ancien ministre des Finances du Land de Hesse. Ce temps-là est révolu.
En une décennie, le pilotage de la politique monétaire est devenu une activité très pointue, qui s'appuie sur des modèles sophistiqués. Le banquier central doit en comprendre les rouages. L'universitaire de Princeton Ben Bernanke a donc remplacé Greenspan, et Herr Professor Doktor Axel Weber a succédé à Welteke. Un Trichet en plus jeune ne passerait sans doute plus la barre. Place aux économistes ! Lors de l'université d'été des banquiers centraux qui s'est tenue en août dernier à Jackson Hole, aux Etats-Unis, un ancien de la Fed, Eric Leeper, a fait une intervention très remarquée où il proclamait haut et fort la nouvelle ambition des grands argentiers : «  Les décisions de politique monétaire tendent à être fondées sur une analyse systématique des choix alternatifs et de leurs impacts macroéconomiques associés : ceci est de la science. » Une science qu'il oppose à ce qu'il nomme «  l'alchimie » budgétaire, sous l'emprise de vulgaires considérations politiques.
Continuons avec la notoriété. Car un banquier central, pour se faire accepter, doit déjà être connu des milieux financiers internationaux. Cette exigence-là n'est pas nouvelle. Il y a vingt ans, un Européen, découvrant le nouveau gouverneur de la Banque du Japon, s'était étonné : «  Je ne le connais pas, comment est-ce possible ? » Le petit milieu des banquiers centraux constitue « une vraie franc-maçonnerie », selon le mot du Belge Alexandre Lamfalussy, qui dirigea l'Institut monétaire européen préfigurant la BCE. Un Jean-Claude Trichet en avait passé les rites initiatiques : président du club de Paris chargé de restructurer la dette des Etats en 1985, directeur du Trésor en 1987, gouverneur de la Banque de France en 1993. Il y a d'autres portes d'entrée, comme le poste de sherpa chargé de préparer les sommets internationaux, ou la direction d'une institution financière internationale. Dans ce cercle restreint, on apprend à se faire confiance au fil des ans. Une confiance indispensable quand il faut décider ensemble en quelques minutes d'inonder les marchés de dizaines de milliards d'euros.
Terminons avec une autre exigence, encore plus compliquée : la mécanique européenne. Les nominations dans les institutions communautaires fonctionnent selon une logique subtile d'équilibres multiples et de règles non écrites. Le directoire de la BCE, composé de six personnes dont le président, en constitue un bel exemple. Il doit y avoir au moins une femme, jamais deux représentants d'un même pays, pas plus de deux membres de « petit pays », au moins un représentant « pas du Sud » parmi les deux postes clefs... Le vice-président étant le Portugais Vitor Constâncio, ce dernier critère pourrait en principe éliminer le candidat actuellement le plus en vue, Mario Draghi, alors que c'est un économiste réputé, gouverneur de la Banque d'Italie et président du Conseil de stabilité financière.
Compétences, notoriété et règles européennes : aujourd'hui, personne ne satisfait ces trois exigences. Il faudra donc relâcher l'une des contraintes. A moins de... trouver un nouveau Français. Mais dans notre pays, les économistes de haut vol ont du mal à pénétrer la stratosphère du pouvoir politico-financier, bourrée d'énarques. Le seul qui y est parvenu, le brillant Benoît Coeuré, directeur adjoint du Trésor, est trop jeune pour la présidence de la BCE (il a quarante et un ans). La solution pourrait être de rapatrier un Français d'Amérique, comme Olivier Blanchard, l'économiste en chef du FMI, ou son patron, Dominique Strauss-Kahn. Il paraît que sa femme veut rentrer. Mais elle a peut-être autre chose en tête.

0 commentaires: