TOUT EST DIT

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vendredi 18 février 2011

Dialogue de deux hommes d'Etat

Le titre est exécrable, le livre est délectable (1). Le dialogue entre Alain Juppé et Michel Rocard, conduit par Bernard Guetta, est d'une qualité revigorante. Non pas que la forme soit particulièrement séduisante : comme trop de livres d'entretiens, elle oscille entre l'écrit et l'oral, même si le contraste entre la volubilité inépuisable de Michel Rocard et les synthèses limpides d'Alain Juppé provoque parfois un effet comique. Sur le fond, en revanche, quel plaisir ! Voilà deux anciens Premiers ministres, l'un de gauche, l'autre de droite, tous deux inspecteurs des Finances d'origine, tous deux forts d'une véritable expérience internationale, tous deux nourris de leurs mandats locaux, qui échangent librement, vigoureusement et cependant cordialement leurs points de vue sur à peu près tous les problèmes du moment. C'est stimulant, c'est original et c'est surtout intelligent. Avec eux deux, la politique n'est jamais primaire, superficielle ou manoeuvrière. L'habileté n'est d'ailleurs pas leur marque personnelle ; le mariage entre l'action et la réflexion, si.

Bien entendu, ce qui saute aux yeux des lecteurs, c'est la convergence ou au moins la proximité de leurs analyses sur la plupart des sujets. Michel Rocard a beau être un social-démocrate proclamé, Alain Juppé peut s'afficher en gaulliste presque social, souvent leurs diagnostics coïncident et plus d'une fois leurs thérapeutiques cousinent. L'un et l'autre sont partisans de la suppression de l'ISF, d'une TVA sociale ou d'une TVA verte. Tous deux approuvent le relèvement de l'âge de la retraite, la prise en charge en partie assurantielle de la dépendance et appellent de leurs voeux une énergique régulation financière internationale. Alain Juppé n'est pas un disciple de Milton Friedman et Michel Rocard, s'il a lu Marx, parvient très bien à l'oublier.

Les démagogues pourront donc, s'ils les lisent, triompher sur l'air de "Tous pareils". Ils se tromperont, comme d'habitude. Sur de nombreux thèmes, Rocard et Juppé se distinguent : l'Europe, la durée hebdomadaire du travail, les moeurs, parfois les institutions. Les deux anciens chefs du gouvernement se ressemblent certes par leur indépendance : Michel Rocard n'est pas tendre pour les socialistes, Alain Juppé n'a rien d'un sarkolâtre. En revanche, l'un comme l'autre assument pleinement leur identité politique. Il est vrai que, si l'on compare leurs débats aux fameux face-à-face de Michel Debré et Pierre Mendès France en 1965 - ils sont dignes du parallèle -, la marge s'est réduite entre les hommes de gouvernement. Les différences culturelles et de tempérament résistent cependant nettement mieux que les clivages idéologiques.

1. "La politique telle qu'elle meurt de ne pas être" (JC Lattès, 316 pages, 18 E).

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