TOUT EST DIT

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mercredi 2 février 2011

À Alexandrie, les «Frères» mènent la danse

Hostiles au raïs, les coptes s'inquiètent de la place des manifestants islamistes.

La mort dans l'âme, Ibrahim Faouzi a finalement décidé mardi de ne pas prendre part à la manifestation d'Alexandrie. En fin de semaine dernière, déjà, ce jeune copte employé dans l'immobilier s'était senti un peu isolé au milieu des cortèges composés en grande majorité de compatriotes musulmans. «J'ai parfois eu l'impression qu'on me regardait d'un drôle d'air», dit-il en dévoilant la croix tatouée sur son poignet. Alors mardi matin, quand un groupe de jeunes gens excités l'a soudain pris à partie à deux pas de la mosquée al-Kaed Ibrahim, l'homme est rentré chez lui sans demander son reste. « J'ai choisi de manifester pour défendre mon pays, pas pour qu'il tombe aux mains des Frères musulmans», grimace-t-il.
Comme Ibrahim Faouzi, de nombreux chrétiens d'Alexandrie semblent avoir renoncé à battre le pavé en raison de la visibilité croissante des « Frères» dans les cortèges. Absents lors des premières marches en début de semaine dernière, ceux-ci ont finalement appelé à défiler vendredi et s'impliquent désormais activement dans l'encadrement des manifestations. Mardi en fin de matinée, leurs minibus déversaient à jet continu des flots de manifestants venus des faubourgs tandis que leurs militants contrôlaient les identités à l'entrée du cortège. « Aux côtés des autres partis d'opposition, nous jouons effectivement un rôle important dans le mouvement qui se déroule aujourd'hui», admet Sobhi Saleh, ancien député et responsable du bureau politique des Frères musulmans à Alexandrie, qui précise : «Nous menons ce combat sans mettre en avant notre couleur politique, avec l'unique objectif de faire tomber le dictateur. »

Éviter la « diabolisation» 

Face à l'irruption du mouvement islamiste au cœur de la révolte égyptienne, les chrétiens d'Alexandrie, orthodoxes comme catholiques, réagissent pour l'heure en ordre dispersé. Éprouvés par les tensions récurrentes entre communautés religieuses et traumatisés par l'attentat qui a fait 21 morts devant une église copte de la ville durant la nuit de la Saint-Sylvestre, certains choisissent de raser les murs, évitent les attroupements et hésitent à prendre la parole en public. «Si Moubarak tombe, les islamistes finiront fatalement par arriver au pouvoir et par imposer la loi islamique, croit ainsi savoir Ibrahim Faouzi. Or, ce jour-là, nous n'aurons plus le droit de porter notre croix en public.»
Médecin à l'hôpital d'Alexandrie, Michel Émile refuse au contraire de s'inquiéter. «C'est vrai qu'il y a de plus en plus de Frères dans les manifestations, mais nous ne devons pas avoir peur d'eux, lâche ce quadragénaire au sourire placide. Le véritable ennemi des chrétiens d'Égypte, aujourd'hui, c'est Moubarak. Depuis près de trente ans, il refuse de construire des églises et nous tient à l'écart du pouvoir alors que nous représentons plus de 10 % de la population du pays. En fait, il utilise les Frères musulmans et al-Qaida comme des épouvantails qu'il agite dès que nous réclamons plus de droits pour notre communauté, en répétant qu'il est le meilleur rempart contre les extrémistes.»
Comme lui, certains chrétiens ont défilé mardi parmi les dizaines de milliers d'Égyptiens qui ont conspué le raïs au milieu des façades défraîchies de la vieille Alexandrie en clamant «Allaho akbar », appelant à l'« unité nationale » et mettant en garde contre toute « diabolisation» de leur révolte. « Nous ne sommes pas les ennemis de l'Occident », pouvait-on lire sur des tracts portés à bout de bras par les manifestants. « Chrétiens ou musulmans, nous sommes avant tout des Égyptiens qui se battent pour leur liberté», insiste Mandouh Reyad, un ingénieur, qui ajoute : «L'opposition entre les deux religions a été construite artificiellement par le régime afin de diviser la population. »

Atmosphère festive 

Tout au long du cortège, des voix soulignent qu'aucun édifice chrétien n'a été attaqué depuis le retrait de la police, vendredi dernier. Le catholique Joseph Boulad, observateur averti du microcosme social et politique d'Alexandrie, refuse d'ailleurs toute dramatisation. «Autant on peut craindre que des élections libres permettent à terme aux Frères musulmans de prendre le pouvoir, autant il me semble que l'actuel mouvement de révolte ne fait courir aucun risque aux chrétiens. Les jeunes et les militants des autres partis d'opposition font d'ailleurs très attentions à ce que leur révolte ne soit récupérée par personne.»
Dans une atmosphère festive et surchauffée, le cortège d'Alexandrie bruissait mardi après-midi de mille et une rumeurs évoquant pêle-mêle la démission de Hosni Moubarak ou la présence d'un million de manifestants au Caire. En marge du défilé, le député fondamentaliste Sobhi Saleh jurait pour sa part vouloir « partager le pouvoir avec les autres partis, sans aucune volonté d'hégémonie  ».

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