TOUT EST DIT

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mercredi 2 février 2011

Egypte : "L'armée souhaite rester au pouvoir"

Au rythme des "Moubarak dégage", les rangs des manifestants gonflent en Egypte depuis mardi 25 janvier. Un slogan évocateur : il vise personnellement le président mais pas l'institution sur laquelle il repose, l'armée. Des chars applaudis, des soldats embrassés par les manifestants : l'armée jouit d'une image positive au sein de la population.

Lundi 31 janvier, elle a déclaré que les revendications du peuple étaient "légitimes". Elle s'est également engagée à ne pas faire usage de la force. Un message clair, selon Denis Bauchard, conseiller spécial pour le Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales, destiné à montrer que "l'armée souhaite rester au pouvoir".
Comment interpréter le message de l'armée de lundi soir qui considère les aspirations des manifestants "légitimes"?
La publication de ce communiqué s'est faite dans des conditions étranges. En effet, il a émané de "l'état-major". La raison en est peut-être le souci de montrer qu'il reflétait la position, non d'un haut responsable identifié, mais de l'armée en tant que telle. Il était clair que depuis quelques jours, l'armée n'était pas disposée à tirer sur les manifestants. Mais elle a eu besoin de s'affirmer comme une force, une force pacifique.
En outre, je pense que si l'on rapproche ce communiqué du fait que le général Omar Souleïmane a été nommé vice-président de la République, il y a un double message. Tout d'abord, la transition est amorcée. En clair, Hosni Moubarak devra partir au plus tard à la fin de son mandat à l'automne de cette année, il ne se représentera pas. Et son fils Gamal ne sera pas candidat. Deuxièmement, l'armée entend rester au pouvoir. Il s'agit là d'un signal envoyé à la communauté internationale et à la population. En somme, il n'y aura pas de transition sans participation active de l'armée.
Quel est justement le rôle politique de l'armée en Egypte ?
L'armée est au cœur du pouvoir en Egypte. Elle joue un rôle central depuis longtemps : depuis 1952 et l'arrivée du colonel Nasser au pouvoir. Elle détient tous les leviers du pouvoir : le vice-président, Omar Souleïmane, le premier ministre, plusieurs ministères sensibles – défense, intérieur – sont entre ses mains. La plupart des gouverneurs sont issus de l'armée. L'armée est fidèle à l'Etat et au régime.
Elle joue également un rôle économique : elle contrôle un certain nombre d'entreprises publiques dans des secteurs très divers, d'Egypt Air à des compagnies pétrolières et bien d'autres. Mais d'ancien militaires sont également à la tête d'un certain nombre d'entreprises privées.
Aujourd'hui, l'objectif optimal de l'armée est, sans donner l'impression de lâcher le président Moubarak, d'assurer la pérennité de l'Etat et celle de son propre pouvoir. Est-ce que Moubarak va être incité à partir tout de suite ou va-t-il terminer son mandat ? En tout cas, l'armée n'a pas intérêt à donner l'impression de lâcher le président dans la mesure où celui-ci est l'émanation de l'armée.
L'armée est au pouvoir, un pouvoir qui est contesté à travers la personnalité de M. Moubarak, pourtant l'armée n'est pas remise en cause. Comment expliquer cette apparente contradiction ?
L'armée est restée dans l'ombre et le mécontentement se focalise sur le président personnellement. Il apparaît comme l'homme des Américains, l'homme de la conciliation avec Israël. C'est aussi à lui qu'on attribue toutes les déficiences économiques, le chômage, la pauvreté, la corruption. M. Moubarak est ainsi la personnalité la plus exposée.
L'armée n'est donc pas critiquée, elle a toujours conservé une très bonne réputation : elle a une image d'intégrité, la réputation d'assurer la sécurité et la sauvegarde du pays. Elle s'est bien battue en 1973 [lorsque le président Sadate s'est engagé dans la guerre du Kippour contre Israël]. Il y a un sentiment largement positif envers elle au sein de la population.
C'est donc une situation différente de celle qu'a connue, par exemple, la Tunisie : le président Ben Ali, sa famille et le système étaient remis en cause alors qu'en Egypte, il y a une remise en cause de M. Moubarak mais pas du régime lui-même. Très rares sont ceux qui critiquent le régime militaire, bien que M. Moubarak soit une émanation de l'armée.
En outre, l'armée a des privilèges, elle attire des jeunes soucieux de faire carrière, ses métiers sont recherchés, contrairement à la police qui a une image très négative. Car ces dernières années, l'armée n'a jamais eu à réprimer les manifestations, c'est la police qui s'en occupait. Durant les événements récents, elle a eu un rôle de maintien de l'ordre mais de façon statique, par sa seule présence, notamment autour de la place Tahrir.
Lundi 31 janvier, le vice-président, Omar Souleïmane, a annoncé l'ouverture d'un dialogue avec l'opposition. L'armée semble devoir jouer un rôle dans cette transition, mais de quelle transition s'agit-il ? L'armée peut-elle apporter la démocratie ?
Le général Souleïmane, dans sa brève intervention d'hier soir a souligné qu'il était prêt à réfléchir à certaines dispositions constitutionnelles. Certaines d'entre elles ont un caractère peu démocratique, notamment la nécessité de récolter 250 signatures de parlementaires pour être candidat à l'élection présidentielle, alors que le parti présidentiel contrôle le Parlement. La possibilité de nouvelles élections législatives semble envisagée.
En revanche, il faut bien se rendre compte que le Parlement n'est pas fort en Egypte. Il s'agit d'un régime présidentiel. A supposer qu'il y ait une majorité d'opposants au Parlement, cela ne veut pas dire qu'il y aura une réelle opposition. C'est le président qui tient le pouvoir.
Dans son communiqué, l'armée reconnaît la nécessaire liberté d'expression. Mais la question est de savoir jusqu'à quel point elle est prête à accepter des éléments de démocratie. Il pourrait y avoir un scénario à la turque : un pouvoir dans lequel l'armée est garante d'un certain nombre de valeurs, notamment la laïcité, au cas où les Frères musulmans venaient à participer au pouvoir et seraient tentés de promouvoir la charia.
Quoi qu'il en soit, cette période transitoire va être difficile à gérer. La difficulté pour l'armée va être de maintenir sa bonne image tout en ne donnant pas l'impression de lâcher le chef de l'Etat.
Les Etats-Unis ont une relation privilégiée avec l'armée égyptienne. Comment peut-on la caractériser ?
Elle est ancienne et très forte. Beaucoup d'officiers égyptiens sont allés aux Etats-Unis pour des périodes de formation ou des stages. Les Américains fournissent aussi une aide militaire très importante : sur les 2 milliards de dollars d'aide accordés chaque année, environ la moitié a un caractère militaire.
Le chef d'Etat major de l'armée va régulièrement à Washington, où il se trouvait lorsque les troubles ont éclaté. Il y a donc des liens institutionnels et humains. Ceci n'est pas en contradiction avec le discours des Etats-Unis, qui insistent sur la nécessité de répondre aux aspirations de la population, ce qui coïncide exactement avec ce que dit l'armée.
Les Frères musulmans sont la principale force d'opposition du pays. Quelles relations entretient l'armée avec la confrérie ?
Entre le pouvoir et les Frères musulmans, il y a eu dans le passé une alternance de répression et de dialogue. La confrérie est tenue en suspicion. Elle est théoriquement interdite mais elle est de facto tolérée. Par le passé, il y a eu de grandes vagues répressives à leur égard. Mais depuis quelques années, il y a un modus vivendi.
A mon sens, les Frères musulmans ne souhaitent pas affronter le pouvoir. Il y a probablement des contacts maintenus en permanence, y compris au niveau d'Omar Souleïmane.

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