Terminé, les petites affaires d’appartements à loyer modéré refilés aux copains ? Hélas non. L'enquête publiée dans le numéro de Capital, actuellement en kiosque, prouve que la foire aux HLM continue dans des tas de communes.
Pour 500 euros par mois – pas même la moitié du prix du marché – cette célibataire sans enfants s’est vu attribuer un trois-pièces de 62 mètres carrés avec poutres apparentes, près du parc des Buttes-Chaumont, à Paris. Bien mieux qu’elle n’aurait jamais osé espérer. Un cadeau du ciel, ce bijou avec cuisine aménagée ? Euh… pas tout à fait. «En fait, je connaissais quelqu’un qui travaillait dans une société HLM», avoue la chanceuse en baissant la voix.
A vrai dire, on s’en était un peu douté. N’empêche, son histoire risque de faire encore grincer des dents les 1,3 million de mal-logés qui ne connaissent personne dans une société HLM. Et qui doivent patienter quatre ou cinq ans – parfois même dix à vingt en région parisienne – avant de décrocher un «chez-eux» à loyer modéré, en général sans poutres apparentes et loin des Buttes-Chaumont. On leur avait pourtant promis qu’elles étaient terminées, ces affaires d’appartements refilés aux copains et aux camarades de parti. En particulier à Paris, où les frasques de l’époque Tiberi – l’ancien maire RPR était allé jusqu’à loger ses propres enfants pour une somme symbolique en plein Quartier latin – ont sans doute contribué à faire basculer la capitale à gauche. «Tout ça, c’est du passé, balaie Patrick Kamoun, de l’Union sociale pour l’habitat, qui regroupe les fédérations d’offices HLM de France.
Un si lourd soupçon pèse désormais sur nos têtes que nous ne pouvons pas nous permettre de déraper.» A l’en croire, la quasi-totalité des 450 000 logements attribués chaque année par les collectivités locales, les préfectures, les offices HLM ou les entreprises (via le 1% logement) le serait donc en toute régularité. On aimerait le croire. Hélas ! Notre enquête le prouve, même s’il y a du mieux ici et là, les renvois d’ascenseur polluent toujours les cages d’escalier.
Voyons par exemple Levallois, une banlieue bourgeoise des Hauts-de-Seine. Dans ce fief des Balkany, grands amis du président de la République, la distribution de logis à petit prix pour bons et loyaux services est encore monnaie courante. Ce retraité qui a longtemps travaillé au conseil général peut en témoigner. Il y a une dizaine d’années, les élus RPR lui ont déniché un coquet 70 mètres carrés en plein centre-ville pour 650 euros par mois, presque trois fois moins qu’un loyer normal. En échange, il a simplement dû accepter d’organiser des réunions électorales à domicile, entre voisins.
Un bon deal… «Je suis loin d’être le seul à avoir profité de l’aubaine, se défend-il. Les élus ont distribué des dizaines de beaux appartements comme le mien, et ils continuent de le faire.» A tout seigneur, tout honneur, le bras droit de Patrick Balkany, Jean-Pierre Aubry, s’est ainsi vu octroyer, de son propre aveu, un duplex de plus de 100 mètres carrés dans un immeuble de standing à loyer modéré. «Aujourd’hui, c’est mon ex-femme qui l’occupe», précise-t-il. Coïncidence, l’adjointe au maire et conseillère générale UMP Danièle Dussaussois, vit, elle aussi, dans cette résidence. «Le plus scandaleux, c’est que Levallois n’est pas une exception, peste un élu vert de la capitale. Ça se passe comme ça dans bien d’autres villes.»
A priori, pourtant, les procédures en vigueur devraient rendre impossible le favoritisme. Depuis 1991, tous les logements doivent en effet être affectés par une commission réunissant des représentants de la mairie, des offices HLM, des locataires, ainsi que des assistantes sociales. Chaque logement disponible fait impérativement l’objet de trois candidatures, sélectionnées en fonction de critères sociaux et familiaux objectifs. Et les dossiers doivent être numérotés, afin que leur ancienneté puisse être prise en compte. Voilà pour la théorie.
Mais, dans la pratique, ces règles sont loin de suffire à assurer la transparence. D’abord parce que certaines collectivités s’assoient joyeusement dessus, comme le constate à longueur de rapports la Mission interministérielle d’inspection du logement social (Miilos). A Dinan, en Bretagne, ses inspecteurs ont découvert que, entre 2005 et 2007, 16 logements sur 90 avaient été attribués avant passage en commission. Idem (à plus petite échelle) à Puteaux ou à Châtillon, deux cités des Hauts-de-Seine tenues par l’UMP.
A la mairie socialiste de Montpellier, la foire aux copains est encore plus débridée. Dans une étude publiée en août 2009, la Miilos note que 85% des appartements offerts à la location n’y ont pas fait l’objet des trois propositions de candidature obligatoires. Dans 22% des cas, la commission n’a même eu à se prononcer que sur un unique dossier, ce qui lui a pas mal facilité la tâche.
Autre dérive pointée par les contrôleurs dans la ville du regretté Georges Frêche : beaucoup de fiches de demandeurs ne comportent aucun numéro, en sorte qu’il est impossible de connaître la date de leur requête – et donc, de faire jouer l’antériorité. «Ici, il vaut mieux que je ne recommande personne, plaisante Jacques Domergue, député UMP de l’Hérault. Mes candidats risqueraient d’être rayés à vie des listes d’attente par la gauche au pouvoir !»
A noter que, lorsque leur protégé est à l’aise, et bien qu’ils encourent pour cela des amendes, certains (rares) pistonneurs continuent de fouler aux pieds la règle des plafonds de ressources. Ces derniers ne sont pourtant pas très contraignants. Afin de tenir compte de la hausse des prix de l’immobilier, l’Etat les a en effet régulièrement relevés ces dernières années (ils sont actuellement fixés à 36 326 euros net pour un couple en Ile-de-France, 28 220 euros en province, pour une HLM classique).
Si bien que 60% de la population est aujourd’hui éligible aux loyers modérés, et même 70% si l’on inclut le parc locatif «intermédiaire», un peu plus cher, mais toujours avantageux par rapport aux prix du marché. En somme, il y a de la marge pour les petites combines.
Du reste, même quand les communes semblent respecter les règles à la lettre, la transparence est loin d’être garantie. Car enfin, comment s’assurer que la présélection des dossiers se fait sans aucun a priori amical ou politique ? Nul n’a encore trouvé la solution. Pour faire taire les soupçons, certaines municipalités ont bien choisi d’utiliser un logiciel, mais cette technique s’avère peu concluante, pour ne pas dire absurde.
«Quand j’ai un appartement libre, l’ordinateur me sort des centaines de dossiers éligibles, témoigne un fonctionnaire en poste dans une mairie d’arrondissement de Paris. Comme je ne peux évidemment pas analyser une à une toutes ces candidatures, je regarde en priorité celle des familles qui sont venues me voir pour plaider leur cas et aussi, bien sûr, celles qui ont fait l’objet d’une “recommandation”.» Ça ne manque pas. Des coups de piston, il dit en recevoir «toutes les semaines», de la part «d’élus, d’animateurs de télévision ou de journalistes» pressés d’aider leur femme de ménage ou leur gardien de parking à trouver un toit pour pas cher.
Est-ce que ça marche ? «Pas systématiquement, prévient notre trieur. Mais, quand le candidat répond aux critères et qu’il travaille dans le quartier, alors oui, il m’arrive de le faire passer en haut de la pile. Et, en général, la commission suit mon avis.»
Dès lors, l’heureux élu peut dormir tranquille car, une fois qu’il a passé la porte, il est presque impossible de le faire sortir, les pistonnés des décennies passées peuvent en témoigner : presque tous sont restés en place. En faisant le tour des HLM de Neuilly-sur-Seine, nous avons trouvé une flopée de cadres sup, des commerçants, des comtesses et des propriétaires de résidences secondaires dans le Loir-et-Cher ou en Dordogne. Quant aux élus, hauts fonctionnaires et autres VIP parisiens installés par les équipes Chirac et Tiberi, ils s’accrochent à leurs HLM.
Et ce n’est pas la loi Boutin qui les en délogera ! Entré en application début 2010, ce texte permet désormais aux bailleurs de facturer un supplément de loyer aux locataires dépassant plus de deux fois les plafonds de ressources. A Paris, la note de ces infortunés peut ainsi doubler du jour au lendemain. Mais, à l’évidence, ils n’en ont cure : à l’été, Paris Habitat, qui gère 41 000 logements dans la capitale, n’avait encore enregistré aucun départ. Il est vrai que, même augmentés, les loyers restent souvent inférieurs aux prix du marché. Misère…
«Si l’on voulait vraiment faire le ménage dans ce bazar, il faudrait publier les noms de tous les bénéficiaires de HLM avec la date de leur demande, estime en privé un patron d’office de l’est de la France. Ça a été fait dans les années 1950. Mais on a arrêté, car les locataires concernés s’y sont opposés.» Pistonnés de tous les pays…
Emmanuelle Andréani
Jean-Christophe Fromantin, le maire de Neuilly, le reconnaît volontiers : les HLM de sa ville, l’une des plus chics de France, hébergent pas mal de familles aisées. Pendant ce temps, 2 000 ménages modestes attendent d’être logés. «Je voudrais bien faire partir nos locataires fortunés, mais je ne dispose d’aucun moyen juridique pour cela», soupire le maire. Il assure que, depuis son élection, en 2008, les nouvelles attributions se font dans la transparence.
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