Crise oblige, les Français sont de plus en plus en quête de coups de pouce pour trouver un job, dénicher un logement ou obtenir une place en crèche. Pas très civique, mais il faut dire que l’exemple vient d’en haut.
Pas de doute : celui-là est bien placé pour savoir qu’un bon passe-droit peut valoir son pesant d’or. Accusé par sa belle-mère d’avoir dissimulé une bonne partie de son fabuleux héritage dans des paradis fiscaux, Guy Wildenstein, 69 ans, reste de marbre. «J’ai pourtant adressé un dossier très fourni à l’administration fiscale, ainsi qu’à Eric Woerth et à son successeur au ministère du Budget, François Baroin, raconte Me Claude Dumont-Beghi, l’avocate de la plaignante. Mais je n’ai jamais reçu la moindre réponse.»
Il faut dire que le fils du richissime marchand de tableaux Daniel Wildenstein possède un très joli carnet d’adresses. Pilier du Premier Cercle des donateurs de l’UMP, il porte fièrement sur le revers de son veston le ruban rouge que lui a remis à l’Elysée, en mars 2009, son ami Nicolas Sarkozy. Circulez, y a rien à voir.
Rien à voir ? Pas si sûr. Car, comme en témoigne le battage autour de la saga Bettencourt, avec ses renvois d’ascenseur, ses embauches par copinage et ses indulgences fiscales, les passe-droits entre puissants interpellent de plus en plus les Français. Depuis l’épisode du Fouquet’s, dont nombre de participants se sont par la suite vu remettre la Légion d’honneur, chaque traitement de faveur donne d’ailleurs lieu à une intense couverture médiatique.
Un jour, c’est un conseiller économique de l’Elysée qui est propulsé à la présidence du deuxième groupe bancaire français dont il a lui-même piloté la réorganisation. Entraînant, au passage, la démission de deux membres de la Commission de déontologie, outrés par ce conflit d’intérêts manifeste. Un autre, c’est Bernard Tapie qui se voit miraculeusement offrir 210 millions d’euros de dédommagement d’argent public dans l’affaire du Crédit lyonnais avec la bénédiction de l’Elysée.
Un an plus tôt, le feuilleton du fiston Jean Sarkozy briguant, du haut de sa deuxième année de droit, la présidence de l’Epad (l’Etablissement public de gestion de la Défense, premier quartier d’affaires d’Europe) avait fait un carton international, jusqu’en Chine. «On a l’impression de vivre dans une république bananière», tonne le patron du Modem, François Bayrou.
Il n’est pas le seul à s’indigner. A force de se multiplier, les échanges de bons procédés entre hautes sphères du pouvoir et intérêts privés ont fini par exaspérer les Français. «En affichant sa décontraction vis-à-vis du monde de l’argent, Nicolas Sarkozy a permis le dévoilement de ces réseaux jusqu’ici plutôt discrets», commentent les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, dans leur dernier opus «Le Président des riches» (éditions Zones). Le déferlement de propos acerbes sur les pistonnés du monde politique ou des entreprises dans des centaines de blogs et de forums électroniques en dit long sur le rejet de ces connivences.
Et pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Français s’avouent eux-mêmes prêts à succomber aux charmes de ces petits arrangements si l’occasion leur en était donnée. Les résultats d’un récent sondage réalisé par la société Sky Prods le démontrent mieux que tous les discours : 88% de nos concitoyens sont convaincus que le piston prime sur le talent. Et 78% accepteraient d’être favorisés si l’opportunité se présentait.
Schizophrénie ? «Pas tant que cela, commente l’économiste et député européen Robert Rochefort. A force de voir les petites combines prospérer chez les élites, et les capitaines d’industrie et les barons de la finance se tenir par la barbichette dans leurs conseils d’administration, les Français ont perdu confiance dans un système qu’ils jugent profondément injuste.»
La crise n’améliore évidemment pas les choses. En durcissant la société, elle pousse chaque jour un peu plus les citoyens à se replier dans le chacun pour soi, au détriment du civisme et de la méritocratie républicaine. «Au sein des nouvelles générations, la montée du chômage, la précarisation, la faiblesse des salaires et l’envolée des prix de l’immobilier entraînent une lente paupérisation des classes moyennes», souligne le sociologue Louis Chauvel. Tétanisés par la peur du déclassement social – phénomène inconnu du temps des Trente Glorieuses – les parents sont aujourd’hui prêts à faire jouer tous les appuis pour donner de meilleures chances à leurs enfants… et à eux-mêmes.
D’autant que les services publics, désormais soumis au régime minceur, ont de plus en plus de mal à répondre à une demande sociale grandissante. Résultat : les goulots d’étranglement se multiplient. Et, avec eux, les coups de pouce pour griller les files d’attente. Plus que jamais, la bataille pour les places en crèche se mène dans les couloirs des mairies, l’attribution des HLM – y compris à Paris – donne toujours lieu à des faveurs amicales, et le piston gangrène chaque jour un peu plus les salles d’attente des grands services hospitaliers. Quant à la révision de la carte scolaire, prétendument menée au nom de la transparence, elle a précipité des milliers de parents dans les antichambres des rectorats avec, en poche, des lettres de recommandation.
La crise n’est pourtant pas l’unique responsable de cette foire aux passe-droits. De l’autre côté des frontières, en particulier en Europe du Nord ou dans les pays anglo-saxons, les ravages de la croissance en berne sont atténués par une société plus fluide, qui favorise l’égalité des chances. Chez nous, la rigidité du corps social bloque toujours autant la mobilité et reste un obstacle à la création d’emplois. Enarques, grandes écoles de commerce, cheminots, enseignants, aiguilleurs du ciel… Chacun se calfeutre dans sa corporation, défendant au pic à glace ses avantages acquis menacés par l’impératif du désendettement.
mercredi 2 février 2011
Piston et passe-droits : les ruses des chasseurs de privilèges
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