Comment prévoir un monde complexe ? "En simulant la complexité elle-même !", répondent les spécialistes.
Ainsi, nous explique la BBC, certains cherchent aujourd’hui à créer un “simulateur de monde” (baptisé le Life Earth Simulator, ou LES) combinant l’ensemble des données transports, économie, émigration, environnement, santé, etc. Le LES n’est d’ailleurs qu’une partie du gigantesque projet européen mené par l’Institut de technologie de Zurich, FuturICT qui se définit comme un “accélérateur de connaissance”, équivalent social d’un “accélérateur de particules” comme le LHC en physique. Ce centre devrait voir le jour d’ici 2022, à condition de recevoir les fonds de 1 milliard d’euros nécessaires à une telle entreprise.
Un tel travail implique naturellement des ressources herculéennes. Tout d’abord, il faut des superordinateurs, admet Helbing. Aspect inquiétant, note-t-il, l’Europe est singulièrement en retard dans le domaine des supercalculateurs.
En revanche la plupart des données sont déjà accessibles. La Technology Review a d’ailleurs publié récemment la liste des 70 bases de données “qui comptent” dans le domaine de la simulation sociale. Notons parmi les sites mentionnés, la présence de deux systèmes d’intelligence artificielle, chacun cherchant à leur manière à donner aux machines une forme de compréhension du langage naturel et un peu de “sens commun” : Freebase et WolframAlpha. Cela n’est pas étonnant, car, nous rappelle la BBC, accumuler les données n’est pas suffisant. Encore faut-il leur donner un sens, trouver comment organiser toutes ces informations. Les technologies du “web sémantique” devraient donc, selon Helbing, jouer un rôle important dans ce domaine.
Une approche pluraliste
Dick Helbing est bien entendu tout à fait conscient de ses difficultés. La réflexion sur la viabilité des modèles en sciences sociales et même centrale dans ses préoccupations. “Ma propre impression”, explique-t-il dans un de ses textes sur le sujet, “est que la tentative de développer des modèles mathématiques des systèmes sociaux est moins désespérée que ne le pensent la plupart des sociologues, mais plus difficile que ne le croient les chercheurs en sciences naturelles.”.
Mais pour cela, il va falloir abandonner certaines habitudes de pensée, comme la croyance en un modèle explicatif “juste” et “unique” explique Helbing . En réalité il existe de nombreux modèles en sciences sociales, certains basés sur des théories différentes (par exemple, une même analyse des transports routiers pourra être effectuée suivant un système multi-agents, ou selon une série d’équations inspirées de la mécanique des fluides), d’autres sur des niveaux d’approche variée (par exemple, on peut élaborer une modélisation du trafic en partant de la voiture individuelle, ou du flux global des véhicules), et tous possèdent leur valeur dans un cadre limité. D’où la nécessité d’utiliser simultanément plusieurs modèles pour réfléchir sur un seul et unique phénomène.
En fait, même dans les domaines “naturels” de l’ingénierie, cette approche est déjà utilisée, “même les avions modernes sont contrôlés par plusieurs programmes d’ordinateur tournant en parallèle. Lorsqu’ils sont en désaccord les uns avec les autres, une décision est prise à la majorité. Cela peut sembler un peu effrayant, mais de façon surprenante cette approche a bien fonctionné jusqu’ici. Du reste, lorsqu’on simule des “crash tests” pour de nouvelles voitures, les simulations en question se basent sur différents modèles, chacun basé sur des méthodes d’approximation spécifiques”.
Prédiction, recommandation ou contrôle ?
Pour Helbing et son coauteur Stefano Balietti, “un tel problème pourrait être résolu par “un système d’information donnant des instructions spécifiques aux utilisateurs… autrement dit, on pourrait dire à certains usagers de quitter la route, à d’autres d’y rester.”
Ce qui ne va pas, reconnaissent les auteurs, sans poser certains problèmes éthiques. Il faudrait s’arranger pour qu’un tel système ne désavantage pas systématiquement certains utilisateurs en leur faisant suivre constamment la solution la moins optimale, ou n’en avantage pas d’autres simplement parce qu’ils ont accès à un meilleur système ou qu’ils payent plus.
A ce stade, les choses deviennent assez compliquées : “si, par exemple, le système recommande à un conducteur de choisir un trajet plus lent un jour donné, celui-ci aura toujours le “droit” de prendre la route la plus rapide, mais devra dans ce cas s’acquitter d’une certaine somme qui pourrait être gagnée par quelqu’un qui accepterait d’échanger son “ticket”pour une route rapide avec un “ticket” pour un chemin plus long (afin que le système reste optimal)” ! Au final, expliquent-ils, un conducteur “normal” ne paierait rien, ou pourrait aisément regagner ce qu’il a perdu en négociant ses “tickets” les jours où ça l’arrange… Seuls les conducteurs désirant systématiquement prendre la voie rapide se retrouveraient financièrement perdants…
Dans leur texte, les auteurs affirment qu’il faut abandonner l’idée du contrôle des systèmes complexes, pour se diriger vers une “gestion de la complexité”. Mais le système présenté ici ne tend-il pas, à son tour, vers une forme de “contrôle” ?
Certainement. En attendant de trancher cette question, voici donc comment, selon les auteurs, les décisions politiques seront prises demain. Tout d’abord, on fera tourner une multitude de simulations pour explorer les scénarios possibles et leurs effets. Ensuite, on effectuera une série d’expériences, les unes sur le web, d’autres dans des réalités virtuelles ou des serious games, ou encore dans un laboratoire. Ensuite, on initiera certaines “études pilotes” sur des régions locales du “monde réel”.
L’approche envisagée n’est donc pas seulement pluraliste par son usage de plusieurs modèles théoriques, mais aussi par la combinaison d’approches pratiques différentes : labo, mondes virtuels et monde réel. Peut être est-ce là le grand apport d’un projet comme le LES : la mise en place de la méthode expérimentale en sciences sociales, par la simulation, informatique ou autre, de “tous les mondes possibles”.
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