Que le raïs se soit exprimé une dernière fois, qu’il ait annoncé ne pas se représenter en septembre (à 82 ans ou 84 ans, on ne sait trop...), n’y change rien: l’ère Moubarak est terminée. Sans doute le président honni restera-t-il «formellement» en place jusqu’à la fin de son mandat, dans une cage dorée et... médicalisée. L’état-major n’abandonne pas un des siens et cette solution aurait l’aval de nombreuses ONG et des Américains. Encore faut-il voir dans les prochains jours comment la population qui exige le départ du dictateur réagira. Tous les scenarii restent possibles.
Car, avouons-le, les marées humaines déferlant sur Le Caire, Alexandrie et les autres villes d’Égypte suscitent autant d’admiration que d’appréhension. Admiration, parce qu’un peuple qui brise ses chaînes fait rêver comme la chute du Mur de Berlin avait fait rêver en 1989. Appréhension, parce qu’on se demande ce que seront les lendemains.
Certes, l’armée contrôle la situation, voire détient le pouvoir depuis deux ou trois jours. Washington prend officiellement contact avec Mohamed ElBaradei, tandis que l’Europe s’embrouille en circonvolutions diplomatiques. Comme si, malgré les beaux discours sur les droits de l’homme pour sermons du dimanche, on semblait regretter le temps des dictatures arabes garantes de stabilité. Avec un œil rivé sur le Canal de Suez, artère du pétrole et de la mondialisation, et l’autre sur l’opposition islamiste des « Frères musulmans » que certains craignent de voir répéter le scénario de la révolution iranienne de 1979. Un fantasme, sans doute, car l’armée égyptienne ne se fera jamais déposséder de son pouvoir... et de ses privilèges. Aucun gouvernement n’existera sans son aval.
Toutefois, il est évident que la démocratisation qui pour des millions d’Égyptiens signifie surtout un mieux vivre impliquera de profonds changements. D’une façon ou d’une autre, les « Frères musulmans » seront représentés en reprenant ouvertement leur place, jusqu’à présent clandestine, dans la société égyptienne. Et si la révolution tunisienne reste le déclencheur d’un vaste tsunami, le bouleversement en Égypte, pays phare du monde arabe, fera forcément tache d’huile. Le très précipité changement de gouvernement hier en Jordanie donne un premier signal. En même temps, le « front du refus » risque – du moins, jusqu’à son implosion - de se renforcer: le Hezbollah détient désormais tous les pouvoirs au Liban, la Syrie se recroqueville, l’Iran souffle sur les braises, l’Algérie s’emmure dans son autisme... Pour Israël aussi, une Égypte pluraliste, tout en respectant ses engagements envers l’État hébreu, représentera un nouveau défi poussant à plus de flexibilité dans de vraies négociations avec les Palestiniens... auxquels reste aussi beaucoup à apprendre, et pas seulement à Gaza: le soutien qu’a affiché Mahmoud Abbas à Hosni Moubarak est plus qu’un faux pas.
Moubarak n’est plus, politiquement parlant. Mais l’avenir de l’Égypte que l’on espère plus démocratique reste encore à écrire.
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