TOUT EST DIT

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lundi 28 février 2011

Un passif retraite de 3.000 milliards €

Le modèle social français des retraites est en crise existentielle. Les cotisations obligatoires de retraites des salariés ne produisent plus la trésorerie nécessaire pour financer les retraites à servir. Sauf à reporter à chaque crise l’âge légal de la retraite.

La formule est simple : réduire le besoin de financement à hauteur de la trésorerie, en réduisant le nombre d’années de prestation. Mais, à tous prix, sauvegarder le pouvoir d’achat des retraites. Cette politique sociale de peau de chagrin va condamner dans notre société hyper productiviste une fraction de plus en plus importante de la population en âge de travailler à l’inactivité, rémunérée ou non, dans l’attente de sa retraite à venir, en recul progressif. Le modèle socio économique français, qui déjà sous emploie ses jeunes, va sous employer les seniors du secteur privé. Une véritable performance pour un modèle qui se voulait exemplaire !
La raison de la crise est simple : l’insuffisance passée et encore actuelle des cotisations de retraite. Le système n’a pas constitué des réserves suffisantes pour garantir financièrement le pouvoir d’achat des prestations de retraites avec une durée de cotisations et un âge légal de retraite convenus.  

L’analyse chiffrée montre que, pour une retraite à taux plein, la valeur actualisée des cotisations des salariés du secteur privé est très inférieure à celle de leur retraite.  Ainsi, la génération des salariés non cadre du secteur privé a pris sa retraite en 2003 (génération 2003) à l’âge moyen de 61,7 ans. Disons de 61 ans pour une carrière complète de 40 ans. Fin 2002, la valeur moyenne de ses cotisations s’est élevée à 57% de celle de sa retraite[1], avec un taux de remplacement du salaire de référence de 63%.

En appliquant rétrospectivement fin 2002 les réformes des retraites Fillon et Sarkozy (durée de cotisations de 42 ans et  une prise de retraite à l’âge légal de 62 ans), la valeur moyenne des cotisations se serait élevée à 60% de celle de sa retraite. Mais en les appliquant, avec les taux de cotisations 2011 (de 24.45% sous plafond de la Sécurité Sociale) sur toute la durée de 42 ans (depuis 1960), l’insuffisance des cotisations n’aurait été que de 2,9%. Les réformes des retraites Fillon et Sarkozy ont réduit drastiquement l’importance de cette sous cotisation, sans la supprimer. 

Mais, le poids de l’imprévoyance passée est considérable et incontournable. Pour l’ensemble des salariés, le passif retraite était en 2005 de l’ordre d’un an et demi de PIB, soit quelque 3.000 milliards d’euros. Il est la contre partie, hors bilan et non comptabilisée, de la garantie politique du pouvoir d’achat des retraites à servir. Cet ordre de grandeur ne devrait pas trop s’alourdir car les générations anciennes, qui ont réglé des cotisations les plus faibles, disparaissent.

La sauvegarde du pouvoir d’achat des retraites est  centrale depuis la réforme Balladur de 1993. Sans cet engagement politique, que l’Etat n’a pas inscrit dans ses comptes, l’obligation légale de cotiser serait abusive comme tous les schémas d’investissement pyramidaux où les placements des nouveaux venus rémunèrent les intérêts des participants anciens. La garantie financière de l’Etat ne couvre actuellement que les seuls fonctionnaires d’Etat. Elle est inscrite depuis peu dans ses comptes. Les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers en sont exclus. L’engagement retraite implicite de l’Etat actuel serait deux fois plus important que son endettement public. 

Le modèle social français distribue ainsi massivement des revenus, réels pour ses bénéficiaires, mais fictifs pour l’économie puisque cet engagement politique est intenable financièrement. Les causes immédiates de la crise de trésorerie sont connues : une cause démographique, l’évolution défavorable du rapport de dépendance. Une cause économique, la faiblesse du taux d’emploi. Mais ces causes ne sont pas premières.

La cause principale est la déformation du modèle économique de la France qui l’empêche structurellement de réaliser son potentiel, dont un taux d’emploi élevé. Trois exemples, parmi d’autres, illustrent cette déformation : la formation du patrimoine des ménages, l’hypertrophie du système bancaire et le sous financement en fonds propres des PME.

La formation du patrimoine des ménages

Le patrimoine médian des retraités non cadres du secteur privé, âgés de moins de 70 ans, en 2003 (enquête INSEE 2004) était de 84.000 euros alors que l’insuffisance moyenne des cotisations de retraite, pour une carrière complète, de la génération 2003 était de 121.000 euros. Autrement dit, si cette génération 2003 avait réglé ses cotisations de retraite à hauteur de la valeur de ses droits de retraite, elle n’aurait pas pu se constituer le patrimoine, ni soutenir son niveau de vie de l’époque.

L’hypertrophie du système bancaire

Le système bancaire finance 75% des besoins de financement de l’économie au lieu de 25% aux Etats-Unis. Cette hypertrophie procède de la sous tarification des cotisations retraite. En résulte notamment le coût  élevé des ressources bancaires due à une collecte onéreuse et le prix élevé des concours bancaires qui intègre la prime de risque élevée des PME, due à l’insuffisance de leurs fonds propres.

Le sous financement en fonds propres des PME

Cette insuffisance des fonds propres explique leur vulnérabilité  confortée par le coût élevé de leur financement bancaire et sa structure souvent inadéquate. L’Etat a dû créer  en 2009, en pleine crise, une médiation du crédit et doter OSEO, une banque publique, de garanties étatiques pour éviter la faillite de nombre de PME. En 2010, OSEO a sauvé 80.000 PME en leur ménageant un financement total de 28 milliards d’euros. Le système bancaire est à la fois hypertrophique, redondant par beau temps et défaillant lorsque la tempête sévit.

Sortir de la crise sera très difficile en France. Le pays est dans un trou noir dont la sortie requiert des forces cataclysmiques. Mais elle interviendra, tôt ou tard. Les mécanismes économiques rétabliront les équilibres. Probablement par le bas, avec la dégradation du système social par l’inflation, la fin de l’euro et au pire par une implosion sur le modèle postsoviétique. Une économie de marché concurrentielle vigoureuse finirait alors par prévaloir, avec un minimum d’assistance sociale.

Il est peut être une sortie par le haut : en dissociant l’assistance de l’assurance. L’assurance sociale nouvelle conserverait l’ancrage social auquel la France est attachée. Elle serait tarifée au juste prix. Le régime fiscal  dérogatoire des cotisations et prestations actuel serait conservé. Ce régime serait plafonné l’assurance retraite par un taux de remplacement légal. Au-delà les assurances privées prospéraient. L’assistance sociale complèterait les revenus quand elle ne les prendrait pas intégralement en charge. Elle serait portée du niveau actuel de 3% du revenu disponible à 5%.

Les nouvelles assurances sociales retraite et maladie au juste prix fonctionneraient, comme actuellement, en monopole pour neutraliser les effets de la sélection des risques. Toutefois, leur statut serait privé et leur gestion serait concédée par l’Etat au secteur privé. Elles seraient soumises au code des assurances, sous le contrôle de la nouvelle Autorité Prudentielle. Les cotisations retraite et santé au juste prix seraient obligatoires comme l’assurance voiture au tiers. Et comme pour cette dernière, ces cotisations ne seraient pas traitées comme des prélèvements sociaux.

La mise en place du nouveau modèle requiert au préalable un plan d’apurement par l’Etat de son passif social. Elle s’étendrait sur quatre décennies. Ce passif social serait alors réévalué à cette date rigoureusement. La logique économique de ce plan d’apurement compenserait au décès du ménage l’insuffisance des cotisations passées par un prélèvement social sur le patrimoine successoral. Ce plan d’apurement s’étendrait sur une soixantaine d’années. Le solde éventuel de ce plan d’apurement serait comblé fiscalement.

Les réserves de ces assurances sociales au juste prix seraient investies, avec une garantie de valeur de l’Etat, également acquise au juste prix, dans un Fonds coté PME à créer. En cas d’excédent de réserves sur les besoins de financement long des PME, elles seraient placées sur le marché. Elles pourraient devenir en deux décennies la source la plus efficace du financement long des PME et la clef d’une croissance durable avec création d’emplois.
 
Cette sortie par le haut est politiquement difficile. Et son risque d’exécution, considérable. Mais elle est à la hauteur du défi économique et social de la France.
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[1] Les calculs et estimations sont détaillés dans un livre à paraître sous le titre : « Un passif retraite de 3.000 milliards (Le Bilan financier du modèle social français) ». Son synopsis peut être consulté à l’adresse suivante : editions.seta@free.fr

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