TOUT EST DIT

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lundi 21 mai 2012

Pourquoi lâcher Athènes serait une faute politique majeure

Cette fois, nous y sommes. La question de la sortie de la Grèce de la zone euro est posée, telle une grenade dégoupillée, sur la table des grands dirigeants européens. Finies les précautions d'usage : banquiers centraux, économistes, médias et responsables politiques y vont de leurs déclarations aussi brutales que décomplexées pour affirmer qu'un tel scénario n'est pas seulement inéluctable mais qu'il est réalisable et même souhaitable. C'est la situation inextricable provoquée par les élections grecques du 6 mai qui a déclenché ce nouvel assaut contre Athènes. Le désaveu infligé à la classe politique traditionnelle a provoqué une poussée de l'extrême droite et de l'extrême gauche, empêchant la formation d'un gouvernement « responsable ». Face à cette impasse qui a obligé le président de la République, Karolos Papoulias, à organiser un second scrutin le 17 juin, la tentation d'en finir avec le « boulet grec » fait à nouveau des émules. Les Grecs auraient fait le « choix démocratique » d'un refus de l'austérité et des réformes exigées par ses créanciers le 6 mai, explique par exemple le patron de la Bundesbank, Jens Weidmann . « Nous ne pouvons forcer personne », en conclut non sans hypocrisie le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, qui sait pertinemment que les Grecs, massivement favorables à leur maintien dans la zone euro, ont moins rejeté le plan de sauvetage de l'Europe qu'ils n'ont sanctionné les deux partis, Pasok et Nouvelle Démocratie, artisans méthodiques du délabrement de l'Etat depuis trente ans. Il en ira différemment lors du second scrutin si les Grecs sont explicitement appelés à voter pour des partis qui se seront clairement engagés pour ou contre le maintien du pays de l'euro.
Tout à leur hâte de se débarrasser du mouton noir, les partisans chaque jour plus nombreux d'une sortie de la Grèce ne semblent cependant pas mesurer les conséquences d'une telle décision. Sur le plan économique, la zone euro est peut-être en meilleure situation qu'il y a un ou deux ans pour absorber un choc de cette nature. Encore que cela ne saute pas aux yeux. Les banques, qui étaient en première ligne, se sont délestées de la plus grande partie de leurs obligations grecques et ont été recapitalisées. Elles ne détiennent plus que 27 % de la dette grecque (au lieu de 61 % en 2011), mais cela représente encore 70 milliards d'euros. Le Fonds européen de stabilité (FESF) mis en place dès la mi-2010 est en outre censé secourir les Etats les plus fragiles contre un effet de contagion venu de Grèce. Mais les risques de contagion sont toujours présents et une faillite suivie d'une sortie de la Grèce de l'euro mettraient les créanciers publics - BCE, Etats, FESF -qui ont racheté l'essentiel de la dette grecque à rude épreuve. Les économistes évaluent aujourd'hui le coût d'un « Grexit » à 77 milliards d'euros pour l'Allemagne et à 66 milliards pour le seul Etat français.
Rien n'est donc plus aléatoire que le scénario d'une sortie « gérable » de la Grèce auquel certains veulent croire.
Mais c'est sur le plan politique qu'une telle amputation de la zone euro aurait les conséquences les plus dévastatrices. Car l'Union européenne s'apprête ni plus ni moins à abandonner l'un des siens. La Grèce hors de la zone euro, c'est 50 % de sa richesse qui s'effondre et une dette extérieure qui explose. Ce sont deux ou trois générations sacrifiées sur l'autel de l'intransigeance voire de l'idéologie de quelques-uns en Europe. Qui osera mettre l'Europe en situation de non-assistance à pays en danger ? Au nom de quoi pousserait-on ainsi un Etat en grande difficulté hors du club européen ? Parce que les intérêts économiques et financiers à court terme de ses partenaires sont mis à mal ? Et quelle en serait la justification économique : l'incapacité d'un pays en pleine dépression à rembourser ses dettes ? Sa difficulté à sortir d'une crise que ses partenaires ont en partie contribué à créer puis à aggraver ? La toute-puissance d'une Allemagne riche et prospère qui condamnerait par ses diktats ses vassaux les moins accommodants ?
Il ne s'agit pas de nier les fautes grecques ni de passer l'éponge sur la responsabilité d'une classe politique inconséquente. Mais de faire honnêtement la part des responsabilités. Qui a fait entrer la Grèce dans la zone euro alors que sa dette était, contrairement aux exigences de Maastricht, supérieure à 100 % du PIB ? Ce ne sont certes pas Nicolas Sarkozy ni Angela Merkel, comme aimait à le dire l'ex-président français. Mais leurs prédécesseurs - Jacques Chirac et Lionel Jospin côté français, Gerhard Schröder coté allemand -ne les lient-ils pas ? Qui a fermé les yeux pendant toutes ces années sur les comptes publics douteux de la Grèce ? Qui a refusé la proposition de la Commission européenne de donner un rôle d'inspection accru à l'office des statistiques Eurostat, l'empêchant de mettre le nez dans les finances publiques grecques ? L'Allemagne. Qui a profité durant les années 2000 du formidable appel d'air provoqué par les taux d'intérêt historiquement bas autorisés par l'avènement de l'euro, exportant en Grèce biens de production, bien de consommation et armements ? Qui a imposé à ce pays un plan de rigueur d'une dureté que nombre d'économistes ont tout de suite jugé intenable ? Qui, surtout, a échoué à accompagner la création de la monnaie unique de règles de surveillance et d'une discipline budgétaire commune et qui ont été les premiers à piétiner les règles du pacte de stabilité en 2004 ?
Paris et Berlin, le couple initiateur et moteur de la zone euro, portent une responsabilité historique dans la situation actuelle de la Grèce. Non seulement il leur sera très difficile d'assister, sans honte, à la dérive économique et sociale de ce pays s'il quitte l'euro. Mais que restera-t-il de la zone euro et de l'Union européenne si le contrat de solidarité inhérent à l'appartenance à l'Union européenne est ainsi bafoué ? Le ver sera entré dans le fruit et la confiance immanquablement ébranlée. Les gouvernements de la zone euro auront tout simplement apporté la preuve que l'expérience unique au monde qu'ils avaient ardemment souhaitée est un échec. Et ce sera sans doute alors le début de la fin de l'euro.

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