TOUT EST DIT

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samedi 16 octobre 2010

"Ceux qui critiquent TF1 ne voyagent pas"


La presse dans le collimateur? Dans le film de Pierre Carles, Fin de concession, en salles le 27 octobre, le député PS Arnaud Montebourg traite TF1 de chaîne "à tradition délinquante". L’eurodéputé Jean-Luc Mélenchon y écorche le présentateur de France 2 David Pujadas, en le traitant de "laquais des puissants", de "salaud", de "larbin". Le sociologue Dominique Wolton (*) décrypte ces passes d’armes entre hommes politiques et journalistes.


On ne peut pas réduire TF1 à de l’abrutissement et à de la délinquance. Le jugement d’Arnaud Montebourg n’est pas admissible. Cela équivaut à traiter les patrons de chaînes et le public de voyous! Pour un homme politique, c’est comme mépriser et insulter quelqu’un qui a voté contre son camp. Ceux qui critiquent TF1 ne voyagent pas, il y a dans le monde des télévisions privées bien pires. Ses grilles ont évolué, elles s’ouvrent aux critères multiculturels de la société française, avec des magazines et des fictions. Sa chaîne d’info, LCI, reste sobre, sans trop spectaculariser.

Les patrons de TF1 et de France Télévisions savent qu’ils ont une responsabilité morale et sociale, ils ne sont pas là pour faire seulement de l’audience. Mépriser TF1, c’est mépriser ceux qui y travaillent et la regardent. Qui est le juge? Les élites pensent que le récepteur n’est pas intelligent. Mais regarder n’est pas adhérer, les téléspectateurs ne sont pas dupes. Ils sont aussi électeurs: pourquoi les respecter dans un cas et les mépriser dans l’autre? D’autant que les mêmes qui critiquent les télévisions, se précipitent allègrement sur leur plateau…

Les grands médias généralistes privés ont évidemment une responsabilité collective. C’est pourquoi la pression pour les améliorer est indispensable, comme elle l’est aussi pour le service public. Quand tout sera individualisé, segmenté, interactif, il faudra bien réunir les individus et les communautés au-delà de leurs différences. C’est le rôle fondamental et démocratique des médias généralistes, la supériorité de la presse écrite par rapport à Internet. L’idée fixe des élites consiste à dire que les médias de masse sont dépassés, contrairement aux sites Internet, plus modernes. Or, les sites pure players sont dans l’instantané. Le journaliste Internet a pour lui et contre lui la vitesse, avec le risque d’être "manipulé" par l’événement et par lui-même.

Pour lutter contre un climat tendu entre hommes politiques et journalistes, qui va l’être plus encore avec l’élection présidentielle, il faut réintroduire la notion de durée, ralentir le rythme. Un des effets pervers de la concurrence entre les différents médias et les politiques eux-mêmes, c’est la course à la petite phrase, la recherche de la révélation, de la trahison. Le défi de la communication politique est de conserver l’équilibre fragile entre ces trois dimensions: l’opinion publique, les médias, les acteurs.

Les journalistes sont déjà, hélas, dans un mouvement de décrédibilisation depuis une vingtaine d’années, lié notamment à la surmédiatisation de la société. Le pire des scénarios serait une collusion entre hommes politiques et opinion publique, sur le thème des médias, "obsédés par le scoop, sans profondeur". Ce serait une tragédie pour la liberté de la presse, et un ingrédient pour faire remonter le populisme. Ce triangle est fragile et les médias doivent apprendre à conserver plus de distance à l’égard des politiques, pour informer, enquêter, critiquer. Tout le monde y perd.

(*) Directeur de l’Institut des sciences de la communication du CNRS

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