TOUT EST DIT

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jeudi 10 février 2011

La fausse peur de l'inflation

Le tocsin de l'inflation retentit sur toute la planète. Les prix à la consommation accélèrent partout ou presque sur un an, ils ont progressé de 2,4 % dans la zone euro et de 3,7 % au Royaume-Uni. La hausse dépasse 4 % en Corée, 5 % en Indonésie, au Brésil et en Chine. Elle approche 10 % en Russie et en Inde. L'or repart à la hausse. Les banques centrales de dix-sept pays ont sorti leurs voitures de pompier au cours de l'année écoulée : elles ont relevé leurs taux d'intérêt. Sommes-nous au bord de l'embrasement ?

Non. Car, à y regarder de plus près, ce que nous voyons aujourd'hui n'est pas de l'inflation. L'inflation, c'est le champ entier qui prend feu, violemment, bien au-delà de la combustion lente à 1 % ou 2 % généralement considérée comme souhaitable pour entretenir le tissu végétal de l'économie. Une spirale entre prix et salaires s'enclenche, nourrie de craintes de pénurie (produits, machines, main-d'oeuvre). Or, aujourd'hui, ce n'est pas le cas ou, du moins, pas partout. Il y a en fait deux feux isolés aux causes parfaitement identifiées. Le premier porte sur le pétrole - un matériau dont les produits dérivés sont réputés pour leur capacité à s'enflammer facilement. Le baril vaut 100 dollars, moitié plus qu'il y a six mois. Un coup de chaud qui vient davantage des tensions géopolitiques du moment au Proche-Orient que de l'équilibre entre l'offre et la demande. A l'inverse de ce qui s'était passé en 2008, quand l'or noir avait atteint ses sommets, il y a de quoi produire, transporter et raffiner davantage de pétrole. Le second foyer porte sur les produits alimentaires. Les grands indices mondiaux des matières premières alimentaires ont pris plus de 60 % en deux ans. Avec deux grandes explications : la montée de la demande des pays émergents pour nourrir une population devenue plus aisée et l'accumulation d'aléas climatiques (sécheresse en Australie, incendies en Russie, etc.).

Ces deux foyers sont bien connus. Dans les pays développés, on calcule depuis des années des indices de prix d'où sont exclues énergie et alimentation, pour distinguer la « vraie » tendance. Hervé Péléraux, économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), montre que l'indice français sous-jacent ne cesse de décliner depuis trois ans, et il est désormais sur une pente de progression de moins de 1 %. Péléraux redoute même la déflation. La situation est un peu différente en Allemagne, où le chômage est plus bas et où les machines des entreprises tournent davantage. Mais les négociations salariales débouchent sur des hausses modérées. Dans les pays émergents, la situation est plus tendue, car l'alimentation pèse davantage dans les budgets des particuliers. Son poids atteint 34 % dans l'indice des prix en Chine et 47 % en Inde, contre 16 % en France ! La pression à la hausse sur les salaires va donc être plus forte, d'autant plus que les entreprises ont souvent du mal à embaucher, à faire venir de nouveaux salariés des campagnes. Elles peinent aussi à produire assez pour répondre à la demande. Rien à voir avec la plupart des pays développés, où le chômage est massif et les capacités de production encore peu utilisées au regard des moyennes de long terme.

Pourquoi, alors, cette peur de l'inflation alors que les risques sont cantonnés dans des secteurs et des pays bien précis ? La première réponse est évidente : c'est la crainte de la contagion. La Chine a exporté de la déflation des années 1990 jusqu'à la fin des années 2001, elle pourrait maintenant exporter de l'inflation. Mais l'impact serait limité. Ethan Harris, économiste de Bank of America, donne l'exemple d'une paire de baskets made in China : vendue 100 dollars aux Etats-Unis, elle est exportée de Chine à 10 dollars, qui se décomposent en 2 dollars de composants importés, 3 dollars de matériaux et 5 dollars de salaire. Si le salaire monte de 20 %, le prix de la paire de basket augmente de 20 % de 5 dollars, soit... 1 dollar. On est loin de l'incendie.

L'angoisse de l'inflation s'explique en réalité par une seconde raison : on a arrosé l'économie de combustible ces trois dernières années. Une allumette pourrait donc avoir des effets catastrophiques. Le combustible, c'est bien sûr l'argent injecté massivement dans le système financier pour sauver les banques puis les Etats. Selon les calculs des économistes de Natixis, la base monétaire mondiale (espèces et comptes des banques dans les banques centrales) a pratiquement doublé depuis 2007. Aux Etats-Unis, coeur de la finance planétaire, elle aura triplé entre la mi-2008 et la mi-2011.

Normalement, cet argent devrait faire flamber les prix. Selon la théorie quantitative de la monnaie, qui s'est imposée depuis les années 1970, le lien est direct. Pour une fois, on se permettra ici une équation : MV = PT. La quantité de monnaie multipliée par sa vitesse de circulation est égale au niveau de production multiplié par le niveau des prix. Si M monte, P doit aussi monter. D'où la crainte actuelle d'une flambée des prix. Mais, dans ce raisonnement, on oublie que la vitesse de circulation peut changer brutalement. Or c'est ce qui se passe aujourd'hui. Pour faire simple, les banques empruntent l'argent fabriqué par les banques centrales pour acheter des obligations publiques qui roupillent dans leurs comptes et reconstituent ainsi leurs marges (elles empruntent moins cher à la banque qu'elles ne prêtent aux Etats). La vitesse de circulation est quasi nulle. L'incendie ne peut pas prendre. Et les nouvelles règles de prudence imposées aux banquiers leur imposent de garder beaucoup d'obligations publiques dans leurs comptes. Elles ignifugent l'économie.

Un jour peut-être, une partie de ce combustible finira néanmoins par fuir, sans être pompée par les banques centrales. Et le chômage baissera en Europe et aux Etats-Unis. Et les entreprises utiliseront leurs machines à plein. Et les investisseurs accepteront de voir une hausse des prix rogner la valeur de leur épargne sans demander aussitôt des taux d'intérêt plus élevés. Ce jour-là, il deviendra possible d'augmenter les prix. Il sera temps alors de crier à l'inflation. Mais ce n'est pas pour 2011.

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