Le gouvernement égyptien a entamé, dimanche 6 février, une série de négociations avec les forces de l'opposition pour tenter de mettre un terme au mouvement de contestation qui secoue le pays depuis près d'un mois. La présence la plus remarquée à la table des négociations est celle des Frères musulmans, officiellement conviés à dialoguer avec le pouvoir alors même que le mouvement islamiste reste interdit en Egypte et a été l'objet ces dernières décennies d'une dure répression.
Ce revirement a largement été commenté dans la presse du Proche-Orient, inquiète du retour sur le devant de la scène d'une force politique qui oscille entre "respectabilité" et "violence".
mercredi 9 février 2011
La presse arabe inquiète du retour en force des Frères musulmans
UNE CHANCE PRÉCIEUSE
Pour le journal égyptien Al-Wafd, porte-parole du parti d'opposition du même nom, le pouvoir égyptien n'avait tout simplement pas le choix de nouer le dialogue avec les Frères, rendus incontournables par leur présence massive place Tahrir – épicentre de la contestation, dans le centre du Caire. Après avoir tenté de discréditer le mouvement islamiste, le gouvernement a donc dû se résoudre au dialogue. Le vice-président Omar Souleiman – celui-là même qui, pendant des années, organisa la répression contre les Frères – "a même présenté ces négociations comme une chance précieuse pour l'Egypte", note le journal.Une réaction trop tardive, estime l'auteur d'une tribune publiée dans Asharq Al-Awsat, qui considère que "le gouvernement égyptien s'est trompé en excluant du jeu politique une force aussi influente que les Frères musulmans, un mouvement pacifique qui a subi la persécution du pouvoir et n'a pas usé de violence". De plus, toujours selon ce texte, la nouvelle stratégie du gouvernement n'augure en rien d'une sortie de crise favorable au pouvoir : "Malgré la reconnaissance qu'ils ont acquise récemment, il n'est pas sûr que les Frères musulmans aient la capacité d'influer sur le cours des événements et de stopper la contestation", écrit l'auteur sur le site du journal édité à Londres.
DES DIRIGEANTS "TRÈS BCBG"
Pour L'Orient-Le Jour, il s'agit maintenant de savoir quels sont les projets du mouvement. Et c'est peu dire que le quotidien libanais s'inquiète de voir le mouvement islamiste s'imposer sur la scène politique égyptienne : "Que les Frères musulmans s'évertuent, depuis leur intrusion au cœur du Caire, à clamer leur 'respectabilité', que leurs dirigeants, très BCBG, complet veston et cravate, s'acharnent à donner de leur mouvement une image rassurante, en acceptant même de prendre langue avec le pouvoir chancelant, tout cela ne change rien à l'idée largement répandue que les 'Ikhwan' [Frères] attendaient leur heure, celle qui a peut-être sonné place Tahrir, pour se venger du régime Moubarak, pour instaurer, à terme, un régime régi par la charia, celui auquel a promptement appelé le guide suprême iranien Ali Khamenei", écrit le chroniqueur Nagib Aoun.
Les faits d'arme passés et l'idéologie radicale des Frères ne sont pas là pour rassurer les observateurs, note de son côté Al-Ahram Massai, un journal égyptien pro-gouvernemental. "Il faut souligner que les Frères musulmans se sont opposés à tous les régimes politiques qui se sont succédé en Egypte – d'abord le système royaliste, ensuite la révolution de juillet 1952, plus tard le régime du président Sadate – quoique ce dernier a tenté de jouer le consensus –, et enfin le régime actuel."
"LA RÉVOLUTION PERMETTRA-T-ELLE QU'ON LUI VOLE SA VICTOIRE ?"
La violence a toujours fait partie intégrante du mouvement, rappelle Al-Ahram Massai, qui mentionne divers assassinats de personnalités politiques égyptiennes. "Il est frappant que beaucoup de forces politiques feignent d'ignorer l'histoire des Frères musulmans, dans leur extrémisme idéologique représenté par des jugements négatifs sur l'Etat civil, la société égyptienne contemporaine, en plus de faire oublier leur usage de la violence", déplore le journal.
Face à ces inquiétudes, L'Orient-Le Jour ne peut que s'interroger : "La révolution égyptienne permettra-t-elle qu'on lui vole sa victoire, que son mouvement soit dévié de sa trajectoire, qu'il soit accaparé par les islamistes ou les militaires du sérail ? L'usure du temps aura-t-elle raison et des réformes et des slogans de liberté lancés place Tahrir ?"
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