Le pire, c’est le terme. Comment le langage médiatique a-t-il pu le reproduire pendant toute la journée d’hier, et de façon aussi grégaire, sans réfléchir à sa portée sémantique ? «Bébé-médicament»? C’est laid, froid, clinique. Indigne d’un enfant, assurément, mais si révélateur d’une société dévorée par la consommation qu’elle en fait une formule banale. C’est vendeur, c’est synthétique et ça résume un concept, alors vas-y coco !
L’indignation provoquée par l’affaire est du même tonneau. Les procureurs et autres inquisiteurs modernes ont-ils seulement pris la peine d’écouter les parents du petit Umut-Thala qui réfutent toute stratégie d’apprentis sorciers, toute démarche utilitariste. Ces deux malheureux ont voulu utiliser toutes les possibilités de la science pour épargner à leur troisième enfant le destin pathologique des deux premiers. Et alors ? C’est mal ? Faudrait-il forcément choisir entre le salut et les principes éthiques ? Entre l’espoir et la morale ? Entre la vie et l’assurance qui protège sa pureté ? Et puis, qui sommes-nous d’abord, nous autres analystes de l’actualité, pour distribuer les bons et les mauvais points en la matière ?
La procréation médicalement assistée, les manipulations génétiques qu’elle suppose et la sélection des embryons à laquelle elle a conduit, n’en sont pas moins légitimement dérangeantes. Comment ne pas frissonner d’effroi en imaginant toutes les dérives eugénistes qu’elles peuvent enclencher ? Contrarier le hasard et le mystère qui font partie de notre humanité pour basculer dans l’ère de la «fabrication» raisonnée d’un être humain est une notion qui, forcément, bouscule notre conscience. Agresse ce quelque chose d’indicible réfugié au plus profond de notre identité pour échapper, précisément, aux contingences de l’utile. Atteint cette pépite de sacré, peut-être, que nous voudrions intouchable…
Mais ce réflexe de protection, naturel, et qui ne doit faire culpabiliser personne, ne saurait justifier une fermeture craintive de notre droit aux formes nouvelles de la recherche et de l’expérimentation sur les mécanismes de notre création. Après tout, cette dimension évolutive de notre humanité nous appartient et nos sociétés ont le devoir d’en explorer tous les nouveaux horizons. Entre pragmatisme et idéal, audaces et refus, nous avons l’âme suffisamment riche pour suivre avec curiosité et précaution ce chemin vers l’inconnu.
Prendre, à l’inverse, le parti idéologique de fermer les yeux, et faire frileusement le gros dos, sur place, pour ne pas avoir à affronter les contradictions d’un progrès ambivalent, c’est la ligne défensive sur laquelle le projet de loi sur la bioéthique a été réécrit. Celle d’un manque de confiance en nous-mêmes qui refuse de gérer un espoir complexe.
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