TOUT EST DIT

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vendredi 4 février 2011

Au coeur du Caire en guerre

L'envoyée spéciale du JDD au Caire, Karen Lajon, témoigne du climat de guerre qui prend désormais place dans la capitale égyptienne. La ville du Caire, coupée en deux, oscille désormais entre quasi long fleuve fleuve tranquille dans les quartiers chics et grand corps malade aux abords des rives du Nil. Le pays des Pharaons est en ébullition. Récit. 

Le travail de menuiserie est d’époque. Sophistiqué et brut à la fois. A mi chemin entre les années 30 et les années 50. Des femmes d’un autre âge, elles aussi qui s’expriment tantôt en anglais, en Français et en arabe, prennent le soleil du matin sur la terrasse. Nous sommes au café Groppi, en face du palais de Hosni Moubarak, ans le quartier huppé d’Héliopolis. Un océan de cheveux au vent, de talons hauts qui claquent sur le sol et de tenues moulantes. Ici, on a sans doute profité du Rais. Mais on attend.
Coupée en deux. Depuis deux jours, la ville du Caire est plus que jamais divisée. Il y a d’un côté les quartiers chics qui tentent de reprendre le cours normal d’une vie, certains quartiers populaires affiliés au camp pro-Moubarak. Et de l’autre, à quelques encablures des bords du Nil, un îlot de résistance qui ressemble de plus en plus à un grand corps malade. C’est celui des partisans du président. Oubliée la joie des premiers jours, balayé le formidable espoir des premières manifestations. La place Tahrir s’est transformée en camp retranché dont les lignes de front tentent de gagner chaque jour un peu de terrain. Hier soir, les guerriers de la résistance avaient pratiquement gagné le pont d’Octobre.

Rage et sauvagerie

Une première ligne de front. Puis un no man’s land et une deuxième barricade derrière laquelle un hôpital de campagne a été installé à la va vite. Les blessés y sont soignés avant d’être évacués à l’arrière si besoin est ou en ambulance selon la gravité des blessures. Il règne dans ce périmètre un capharnaüm invraisemblable, avec des blessés allongés sur le sol, des infirmières qui préparent les compresses et les hommes qui prient, le corps courbés en deux. Les médecins sont des hommes et des femmes. Tous sont venus animés par le serment d’Hippocrate mais aussi par soutien pour cette "révolution" du pays des pharaons.
Passé ce campement médical, une deuxième ligne de front et des contrôles d’identité constants. Une femme me demandera même où est mon visa égyptien ! Les chars de l’armée qui occupaient encore cet espace hier, ont désormais disparu. Ne restent que de misérables carcasses de camions militaires qui servent de boucliers aux manifestants. Le reste de la place est occupé par des groupes qui répondent à tel ou tel discours de celui qui parle le plus fort. Une immense toile de tissu blanc a été dressée, une toile sur laquelle justement hier, Moubarak est apparu, suscitant une énorme colère de la part des protestataires. Une colère qui prend de plus en plus la forme d’une rage et sauvagerie désormais très difficile à contrôler. Comme ces prisonniers que l’on traîne régulièrement et que la foule tente systématiquement de lyncher. Comme cet enfant d’une dizaine d’années sauvé in extremis par un médecin.

Les jets de pierre remplacés par les tirs de kalachnikov

La colère est montée d’un cran mercredi soir. Ce soir là, les pro-Moubarak sortent enfin de leur tanière. Ils ont décidé d’aller en découdre, de rejoindre la place de la Libération. Cette fameuse place que des milliers de manifestants anti-Moubarak occupent maintenant depuis plus d’une semaine. Le vent aurait donc tourné. Toute la journée de mercredi, les deux camps s’affrontent dans une rage absolue face, à une armée singulièrement absente. Barre de fer, bâtons, cocktails molotov, les manifestants n’essaient même pas de dissimuler leurs intentions. Les étrangers sont pourchassés, un pauvre Frère musulman est malmené et conduit hors du périmètre que les pro-Moubarak considèrent désormais le leur. Les blessés sont évacués par des ambulances dont les gyrophares bleus ne cessent de tourner et de briller.
La nuit de mercredi à jeudi a été encore plus terrible. La guerre entre les deux camps a franchi les limites de la place de la Libération et s’est propagé sous le pont d’Octobre, face à l’hôtel Hilton. Les anti et pro-Moubarak s’affrontent désormais au pied de l’hôtel Hilton. Les jets de pierre ont été remplacés par les tirs de kalachnikov incessants, la nuit est déchirée par les balles traçantes. Les voitures sont en feu. La guerre a bel et bien éclaté dans la ville du Caire.

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