TOUT EST DIT

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vendredi 4 février 2011

La peur du chaos en Égypte

Des barricades, des tireurs disséminés dans la foule, des policiers en civil, des journalistes violemment tabassés... Depuis mercredi, l'atmosphère festive qui animait la place Tahrir, au Caire, durant les premiers jours des manifestations, a basculé dans la violence. D'un côté, les jeunes qui réclament toujours le départ de Moubarak; de l'autre, des bandes qui affirment soutenir le raïs. Tous les partisans d'une ouverture démocratique et probablement la majorité silencieuse de l'opinion égyptienne redoutent surtout le chaos. Synonyme, généralement, de reprise en main et de fin de l'espoir.

Le chaos est une peur réelle, c'est aussi une carte jouée cyniquement par le régime. En témoigne l'irruption, mercredi, des pro-Moubarak, qui ressemble à une authentique stratégie de la tension. Confirmée, hier, par la traque aux journalistes étrangers.

En deux jours, le pouvoir des images a été comme retourné. Mardi, l'espoir inondait les rues, tandis que l'inquiétude perçait sur le visage de Moubarak, seul à l'écran. Hier, c'était l'inverse. La violence incontrôlable se déchaînait sur la place, pendant que la télévision égyptienne retransmettait un entretien posé avec l'homme fort du régime, le vice-président, Omar Souleimane.

Que propose-t-il ? Un calendrier de dialogue, des amendements à la Constitution, des consultations avec les jeunes, l'opposition, les Frères musulmans. Un engagement à ne pas se présenter à la présidentielle et une confirmation : Moubarak quittera la scène. Est-ce la transition demandée par les puissances occidentales ? Ou plutôt une façon de temporiser pour laisser la tension retomber et mieux maîtriser le jeu ? Le comportement ambigu de l'armée, ces deux derniers jours, permet de mesurer le flottement qui règne actuellement au Caire. Pour plus d'un général, la fin de l'ère Moubarak n'est pas nécessairement celle du régime.

Réelle ou entretenue, la peur du chaos dépasse largement les frontières de l'Égypte. Depuis une trentaine d'années, Moubarak était le pilier vital de la diplomatie américaine dans la région. Au nom d'un dogme : la stabilité. Gage essentiel pour le commerce des hydrocarbures, pour le dossier israélo-palestinien, pour contrer l'Iran et faire barrage aux islamistes. La colère des jeunes Arabes a brisé ce cadre. Ce qui ne veut pas dire que ce qu'il garantissait n'est pas toujours aussi vital pour Washington. Ce qui manque, c'est le nouveau garant.

En lâchant Ben Ali, puis Moubarak, en soutenant les aspirations démocratiques des manifestants, la diplomatie américaine se place dans une position d'accompagnement d'un changement dont l'issue est très incertaine. La stabilité n'est plus, et la démocratie n'est pas encore. Israël ne manque d'ailleurs pas de le dire à son principal soutien. Quelle est la stratégie de Washington? Elle semble indéchiffrable, comme au milieu d'un dérapage non contrôlé. Avec l'Europe dans son sillage.

Entre la peur de l'islamisme (qui a, trop longtemps et de façon souvent aveugle, légitimé certaines alliances désormais embarrassantes) et la soif nouvelle de démocratie (qui a besoin de cadres, elle aussi, pour exister vraiment), les pays occidentaux sont également spectateurs d'un changement d'époque. Qui va se jouer, aujourd'hui encore, au milieu d'une place, dans le centre du Caire, où des manifestations potentiellement très violentes sont attendues.

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