TOUT EST DIT

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lundi 7 février 2011

"Realpolitik" ou "conflit d'intérêts", la presse anglo-saxonne analyse le rôle d'Obama en Egypte

Au quatorzième jour des protestations anti-gouvernementales en Egypte, l'administration américaine a mis, dimanche 6 février, sa dernière touche à près de deux semaines de tergiversations diplomatiques.  
"Je veux un gouvernement représentatif en Egypte, a déclaré le président Barack Obama, dans un entretien accordé à la chaîne de télévision conservatrice Fox. Nous l'avons dit, vous devez engager la transition immédiatement (...). Une transition ordonnée."
L'expression "transition ordonnée" a été façonnée spécialement pour l'Egypte, rappelle le Washington Post, par la secrétaire d'Etat Hillary Clinton, qui l'a reprise toute la journée de samedi en écumant les plateaux de télévision – cinq au total.
"FLEXIBILITÉ" OU "TERGIVERSATIONS" ?
Qu'est-il arrivé au ton ferme, sans langue de bois ni néologisme employé par le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs, qui, le 2 février, voulait un changement "maintenant" ? Et "maintenant", insistait-il, "ça veut dire maintenant".
Déjà samedi, Ewen Mac Askill écrivait dans The Guardian : "La position officielle des Etats-Unis sur le soulèvement égyptien a changé presque quotidiennement." Est-ce là la preuve d'une réelle et bienvenue flexibilité diplomatique ou le reflet de simples tergiversations ? Chacun voit midi à sa porte : "Les partisans d'Obama ont expliqué que les apparents changements brusques de politique étaient nécessaires pour permettre à Moubarak de s'en aller dignement. Les adversaires ont eux estimé que cela reflétait l'incertitude qui règne au cœur de l'administration d'Obama", poursuit le journaliste.
"REALPOLITIK" CONTRE "PROMOTION DE LA DÉMOCRATIE"
L'éditorialiste Ross Douthat, pour lequel "gouverner, c'est choisir", tranche : "Il ne s'agit pas de molles tergiversations pacifiques. Il s'agit de realpolitik de sang-froid", écrit-il dans le New York Times. En observant de près les faits et dires récents des Etats-Unis, "il apparaît clairement que le vrai but de l'administration d'Obama était de se passer de Moubarak tout en gardant en place les subordonnés militaires du dictateur". On pourrait alors s'étonner de voir les Etats-Unis renoncer à leur argument préféré en matière de diplomatie, à savoir apporter liberté et démocratie à tous les peuples du monde.
Deux raisons expliquent le choix de cette "realpolitik". D'une part, rappelle M. Douthat, si, dans les années 1980, Ronald Reagan se tenait lui sans frémir du côté de la démocratie c'est qu'il pouvait compter sur un Lech Walesa ou un Vaclav Havel pour le soutenir localement. Or, aujourd'hui, en Egypte, les soutiens d'Obama seraient l'opposant Mohamed ElBaradei, les Frères musulmans et la foule. "Le premier est douteux comme peut l'être un leader local, le second est dangereux et le troisième périlleusement désorganisé", écrit-il. Pas d'appui local, pas de combat pour la démocratie.
D'autre part, cette "promotion de la démocratie" est désormais trop associée à George W. Bush et, surtout, "ternie par l'engagement américain en Irak", estime Fred Hiatt, du Washington Post.

UNE POLITIQUE "FAITE À LA VOLÉE"
Enfin, et cela pourrait constituer une troisième raison : la place de l'Egypte dans le jeu géopolitique du Proche-Orient est trop cruciale pour prendre entièrement partie pour la démocratie et donc contre Moubarak. Dans un autre article du Washington Post apparaît en filigrane le lien intime entre les deux pays : les journalistes Joby Warrick et Scott Wilson racontent comment, chaque matin depuis le début du soulèvement égyptien, l'administration d'Obama se réunit pour discuter d'un "script du jour" ("play of the day").
Le lien est tellement intime entre les deux pays que les Etats-Unis ont établi eux-mêmes un plan de sortie pour Moubarak que détaille Carl Bernstein dans The Daily Beast. "Pendant une période assez courte, Moubarak resterait à la tête de l'Etat mais n'aurait plus le pouvoir. Il resterait jusqu'à ce qu'un nouveau mécanisme, peut-être une nouvelle Constitution, soit mise en place pour une transition stable, ce qui empêcherait aussi les hommes d'appareil autoritaires et corrompus de Moubarak d'avoir la main sur le processus de succession", écrit-il.
En fait, les messages contradictoires et les revirements de la politique américaine sont surtout le reflet d'une politique "faite à la volée", causée par l'impréparation des Etats-Unis à un tel scénario, explique un responsable américain sous le couvert de l'anonymat au New York Times. "Nous avons eu des séances stratégiques sans arrêt pendant ces deux dernières années, sur la paix au Proche-Orient, sur la manière de contenir l'Iran. Combien d'entre elles prévoyaient la possibilité que l'Egypte passe de la stabilité à la tourmente ? Aucune."
"CE N'EST RIEN DE MOINS QU'UN CONFLIT D'INTÉRÊT"
Pour le journal britannique The Independent, il n'y a ni "realpolitik" ni "politique à la volée" dans le jeu américain. "Les Etats-Unis, encore une fois, travaillent en infiltrés pour servir leur propres intérêts au Proche-Orient", assène un éditorial du quotidien. Dans cet article, on apprend en effet que Frank Wisner, émissaire américain en Egypte qui a plaidé samedi pour que Moubarak reste en fonctions, serait employé par un cabinet d'avocats et de lobbyistes qui travaille pour le régime de Moubarak et plusieurs "familles les plus influentes dans les affaires en Egypte". "Ce n'est rien de moins qu'un conflit d'intérêts", poursuit le rédacteur.
Pourtant, rappelle Fred Hiatt du Washington Post, "avec l'effet de levier que peut avoir 1,5 milliard de dollars d'aide annuelle, les Etats-Unis auraient pu insister davantage pour que Moubarak montre plus de tolérance". Samedi, Mme Clinton a dit qu'il fallait pousser les régimes autoritaires à s'ouvrir car "ce statu quo n'est pas viable".
Et M. Hiatt de rappeler les conditions d'existence de la liberté de parole en Chine où le Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo est emprisonné et le cas de l'Azerbaïdjan, où un autre dictateur, Ilham Aliev, "a joué sur la peur américaine de l'islam radical et le besoin des Américains en pétrole pour gagner l'indulgence des Etats-Unis quand il truque une élection ou verrouille la presse". "Les Etats-Unis vont-ils lui dire que ce statu quo n'est pas viable ?"

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