C’est décidément une révolution du quatrième type.
La crise égyptienne déjoue tous les scénarios. En apportant chaque jour son lot d’imprévisible, elle ne correspond à aucun des modèles de bouleversement politique imaginés ou expérimentés jusque-là par l’Occident. Ni répétition à la tunisienne, ni coup d’état militaire à l’africaine, ni fuite à l’iranienne: la situation est inédite et c’est bien ce qui désoriente les diplomaties étrangères.
Le temps, qui s’était accéléré à Tunis, balayant le régime en quelques heures, exerce, au Caire, une dictature implacable sur les événements. Il ralentit un processus dont chacun des acteurs sait l’issue inexorable mais ignore le calendrier et les modalités. Hosni Moubarak est déjà effacé du futur générique, son fils retiré de la distribution et éjecté de la succession comme du parti présidentiel. Mais encore faut-il réussir la sortie du vieux raïs... L’armée égyptienne a choisi de ne pas précipiter son départ, et l’impatience initiale de Washington se mue peu à peu en attente plutôt compréhensive. Plus personne, en tout cas, n’a intérêt à une accélération brutale du mouvement qui le rendrait totalement incontrôlable. Même la rue cairote n’est plus certaine que le départ immédiat du chef de l’État soit un préalable à tout changement réel.
La lecture des négociations d’hier est ambivalente. D’un côté la participation inattendue des Frères musulmans au dialogue avec le pouvoir marque un double progrès: elle décrispe les tensions et permet au parti islamique -qui renonce de lui-même à avoir un candidat à la prochaine présidentielle- d’afficher une modération rassurante à travers un légitimisme inespéré. De l’autre, les négociations mettent au jour les divisions du mouvement sur la stratégie à adopter face à Moubarak. Fragilisée, un peu fatiguée aussi, la contestation donne les premiers signes d’un essoufflement naturel: l’aspiration à retrouver une vie apaisée et à faire repartir l’économie quotidienne sera un frein puissant à la prolongation indéfinie du bras de fer pour obtenir un résultat radical: l’exil du président.
Nul ne sait si cette nouvelle phase met en branle la fameuse «transition» qui doit donner au plus peuplé des pays arabes une démocratie originale, ou si elle n’est qu’une diversion de plus pour diluer la révolte avant une reprise en main qui ouvrira la voie à une répression politique méthodique. Volontiers retors, le régime a montré, en effet, sa capacité à jouer en permanence un redoutable double jeu. Il pourrait profiter des craintes suscitées par un basculement de l’Égypte dans l’inconnu pour imposer une définition musclée de la démocratisation du système: il lui suffirait de resserrer habilement et patiemment le lien qui finirait par étouffer le besoin de liberté clamé par les manifestants de la place Tahrir.
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