TOUT EST DIT

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lundi 7 février 2011

Les bonus de Wall Street et le syndrome d'Icare

Après deux ans d'abstinence très relative, les bonus sont de retour à Wall Street. Selon la dernière analyse de Reuters, l'enveloppe des rémunérations et bonus des cinq premières banques américaines a augmenté de 4 % en 2010, pour atteindre 119 milliards de dollars. On est pratiquement revenu au niveau d'avant la crise (137 milliards de dollars pour l'ensemble du secteur bancaire américain en 2007) ! Sans omettre que le salaire fixe du patron de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, a triplé l'année dernière (outre une hausse de 40 % de son bonus en actions) et que le niveau moyen annuel de rémunération de ses employés (bonus compris) représente huit fois le revenu moyen d'un foyer américain (52.000 dollars). Rien, ou presque rien, n'a changé. Juste un peu moins de cash et des stock-options différées... Le plus troublant, c'est que ce retour en force (sinon en grâce) des bonus intervient au lendemain de la publication d'un important rapport d'enquête parlementaire sur les causes de la crise financière, qui a largement fait « flop » outre-Atlantique.

« Trop d'institutions ont agi de manière inconsciente, prenant beaucoup trop de risques, avec trop peu de capital et en étant trop dépendantes de financements à court terme », résume le rapport final de 545 pages de la Financial Crisis Inquiry Commission (FCIC) publié le 27 janvier. « Tel Icare, elles n'ont pas eu peur de voler toujours plus près du soleil », ajoute le président de la FCIC, Phil Angelides, friand de métaphores littéraires. Une des principales révélations de ce rapport d'enquête édifiant sur les origines de la crise résulte d'une audition privée du président de la Réserve fédérale (Fed), Ben Bernanke, recueillie par les enquêteurs en novembre 2009. Pour la première fois, il y reconnaît que douze des treize principales institutions financières américaines, y compris Goldman Sachs (et à l'exception sans doute de JPMorgan Chase bien que cela ne soit pas précisé) étaient au bord de la faillite pendant « une ou deux semaines » après la chute de Lehman Brothers. Tout en éreintant les régulateurs, et en particulier l'ancien président de la Fed, Alan Greenspan, tenu pour le principal responsable de trente années de dérégulation sauvage, le rapport n'épargne ni les défaillances béantes de la Securities and Exchange Commission (SEC), ni les autres régulateurs, ni Goldman Sachs pour son rôle majeur dans la diffusion des produits toxiques. Surtout, dans sa conclusion, le rapport épingle sévèrement les défaillances de la « corporate governance » et du contrôle des risques qui ont été un « facteur clef » dans l'émergence de la crise financière. « Les systèmes de rémunération - conçus dans un environnement d'argent facile, d'intense compétition et de légère régulation -ont trop souvent récompensé les opérations à court terme, sans considération véritable pour les conséquences à long terme », estime la commission d'enquête dans ses conclusions.

Accessoirement, du fait de « l'érosion des standards de responsabilité et d'éthique », le rapport signale que le montant des pertes résultant des opérations frauduleuses sur les crédits immobiliers réalisées entre 2005 et 2007 s'élève à 112 milliards de dollars (soit presque l'équivalent de l'enveloppe totale précitée des rémunérations des cinq principales banques de Wall Street en 2010).

Paradoxalement, le rapport de la FCIC, qui fourmille de révélations sur les mécanismes pervers de la crise et les dérives de Wall Street, a été largement brocardé et minimisé par la presse américaine. Trop exhaustif, trop détaillé, à l'heure de l'information condensée en temps réel. Ou alors trop accablant pour un secteur de l'économie dont les profits représentaient 27 % des résultats de toutes les entreprises américaines en 2006, à la veille de la crise, contre 15 % en 1980 ? A en juger par les commentaires désabusés qu'elle a généralement suscités, la plus vaste enquête jamais réalisée sur la crise financière (700 témoins auditionnés, des millions de pages de documents épluchées) n'apporte pas les réponses espérées. Sans doute trop d'autoflagellation et pas assez de pistes concrètes ! Si l'opinion publique américaine pressent bien la nécessité de brider les excès de Wall Street, elle répugne encore à en tirer les conséquences. Le débat sur les bonus - et sur le niveau disproportionné des rémunérations dans la sphère financière -renvoie aux vieux démons honnis du « Big Government ». C'est la limite de l'exercice. Comme le note Alain Minc dans sa préface de « Huit Jours pour sauver la finance » (1), même si les bonus ont bien joué, comme chacun sait, le rôle de pousse-au-crime dans la prise de risques, « l'administration la plus à gauche que les Etats-Unis aient connue depuis des lustres se refuse, pour des raisons de principe, à tout plafonnement en valeur absolue, voire à toute restriction collective trop sévère ». C'est loin d'être faux. Si la question d'une limitation des bonus n'est plus taboue outre-Atlantique, elle reste encore largement théorique. Hormis quelques ajustements à la marge, tel le mécanisme de « clawback » (restitution partielle) institué par certaines banques comme Morgan Stanley en cas de performance négative, l'idée même de garde-fous est jugée irréaliste.

La crise financière était parfaitement « évitable », conclut la FCIC. Elle n'était ni une fatalité ni le produit de « modèles informatiques qui ont déraillé ». Sans doute imparfait, parfois trop bavard ou détaillé, ce rapport d'enquête n'en restera pas moins une mine pour les historiens de la crise.

(1) James B. Stewart, « Huit Jours pour sauver la finance », Grasset, octobre 2010.

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