Elles ont les mêmes facteurs mais pas la même puissance. Si elle réussissait, une révolution en Égypte aurait des conséquences incomparablement plus importantes que celle de Tunisie. L’échelle n’est pas la même. La fuite de Ben Ali a secoué tout le Maghreb... et la France. La chute de la maison Moubarak, elle, provoquerait un séisme qui ébranlerait tout à la fois le monde arabe - dont il est le pays le plus peuplé avec plus de 80 millions d’habitants - l’avenir de la paix au Proche-Orient - dont il est un des acteurs majeurs - et au-delà l’influence des États-Unis dans cette région du monde. Les grands équilibres chancelleraient sous le choc. Une perspective qui effraie Washington. La Maison Blanche multiplie les injonctions à son allié égyptien pour qu’il lâche immédiatement du lest démocratique avant qu’il ne soit trop tard. Mais sans doute sait-il qu’il est déjà trop tard...
La situation au Caire est d’autant plus dangereuse pour le régime en place depuis trente ans, que l’opposition est à la fois plus radicale et mieux structurée qu’à Tunis. Plus religieuse aussi: voilà des années que les Frères musulmans, dont l’implantation est historique, guettent l’étincelle qui leur permettra de profiter d’un vaste soulèvement populaire. Dans la vallée du Nil, le terreau intégriste a déjà nourri la tentation du terrorisme islamique contre les hauts lieux du tourisme national. Et la méfiance d’une partie de la population contre l’Occident: ce n’est pas un hasard si Mohammed Hatta, le pilote du premier Boeing qui s’est écrasé sur la tour A du World Trade Center de New York était Égyptien...
Moubarak, lui, a déjà senti plusieurs fois passer le vent du boulet, et les anniversaires. Le successeur incontestable d’Anouar El Sadate, dont il était le vice-président, reste le très vulnérable héritier d’une révolution Nasserienne d’inspiration laïque. La présidence de cet homme de 82 ans a été gangrenée par un népotisme vain: la relève par son fils reste une idée très mal acceptée par les élites de son pays. Bien plus que Ben Ali, il catalyse les haines de ses ennemis intégristes et tous ses mandats ont été marqués par la résistance à la déstabilisation islamique, y compris au sein du pouvoir et de l’état-major.
L’armée, elle, n’affiche pas la même neutralité bienveillante que son homologue tunisienne. Bien au contraire, elle se prépare à être un recours incontournable pour éviter le chaos d’un départ précipité du chef de l’État qui reste improbable à très court terme. Pour le moment, seulement...
S’il est inspiré, comme à Tunis, par le goût irrésistible de la liberté, le scénario égyptien risque, hélas, de ne pas avoir la légèreté du jasmin. Les enjeux sont si épais que la vague démocratique pourrait se fracasser sur eux, laissant éparpillé un peuple algérien qui aspire à son tour à changer le cours de son histoire
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