jeudi 27 janvier 2011
La vraie différence France-Allemagne
Dans une union monétaire comme la zone euro, un pays membre s'engageant dans une modération salariale réduit ses coûts unitaires -ses coûts par unité produite -relativement à ses concurrents, dès lors qu'il colle à ceux-ci en termes de productivité. Si cet avantage de coût n'est pas compensé par un accroissement des marges des entreprises, les prix de ce pays s'améliorent, donc ses parts de marché. Et si cet avantage de coût n'est passé que partiellement au consommateur, les marges ainsi gagnées peuvent être en partie réinvesties. C'est alors la compétitivité hors prix qui va s'améliorer et là encore les parts de marché en bénéficient. Dans tous les cas, le rééquilibrage ne pouvant plus passer par l'appréciation du taux de change nominal du pays accumulant les excédents commerciaux, ce sont finalement les emplois qui se déplacent au sein de la zone intégrée.
De la réunification à l'introduction de l'euro, la rémunération du travail avait augmenté plus rapidement en Allemagne qu'en France, avec une productivité plutôt moins dynamique. L'Allemagne a donc très légitimement entrepris de corriger ce problème de compétitivité à partir de 2000, sans y parvenir au départ en raison de gains de productivité insuffisants. C'est en réalité le maintien de la modération salariale combiné à une reprise de la productivité à partir de 2004 qui a permis un ajustement éclair : les industriels allemands n'ont alors que très partiellement distribué à leurs salariés les gains de productivité réalisés.
De 1999 à 2008, les coûts unitaires ont ainsi fortement divergé au sein de la zone, comme l'a montré la BCE. L'Allemagne et l'Autriche se sont écartées de la moyenne vers le bas (respectivement de près d'un point et demi et un point de pour cent par an). La Finlande, la France et la Belgique sont dans la moyenne. Les pays divergeant vers le haut sont connus : l'Irlande d'abord, puis l'Espagne, la Grèce et le Portugal (tous de plus d'un point par an). Dans une perspective encore plus longue, les statistiques de coût unitaire dans l'industrie (Eurostat) nous montrent qu'en 2008 les coûts relatifs de l'Allemagne par rapport à la France sont revenus à leur niveau de ... 1992. L'ajustement a donc été particulièrement rapide et a conduit à la situation largement commentée aujourd'hui en oubliant le contexte de cet ajustement : entre juin 2003 et mars 2010, les salaires ont augmenté de 25 % en France et de seulement 10 % en Allemagne, avec une productivité comparable dans les deux pays. L'Allemagne a en réalité ainsi compensé le handicap de 15 % de coût relatif par rapport à la France accumulé entre la réunification et l'introduction de l'euro.
Pour autant, au sein du Marché unique les prix industriels n'ont pas divergé fondamentalement entre les deux pays, au niveau le plus fin des produits. A l'extérieur, les industriels allemands ont moins passé l'appréciation de l'euro dans leurs prix en monnaie étrangère. Finançant cet effort sur leurs marges, ils ont ramené leurs prix au niveau français. Mais dans les deux cas, l'Allemagne a fait beaucoup mieux en matière d'exportation que la France, ce qui souligne le rôle déterminant de la compétitivité hors-prix.
Au final, la modération salariale a freiné la demande interne outre-Rhin, dans la mesure où les gains de productivité non distribués aux salariés n'ont pour l'essentiel pas été consommés et renforcé l'attrait des marchés extérieurs pour les industriels allemands. Tel était probablement le schéma que Madame Lagarde avait à l'esprit, lorsqu'elle avait souligné dans un entretien au Financial Times les limites du modèle de compétitivité allemand obtenu en « [...] exerçant une forte pression sur ses coûts de main-d'oeuvre ». Si les réactions en Allemagne à cette prise de position étaient attendues, le retour en force quelques mois plus tard du thème du coût du travail en France, porté précisément par la comparaison avec l'Allemagne, peut surprendre. En consommant avec modération, l'Allemagne a fait resurgir dans l'imaginaire français l'apologue de la cigale et de sa voisine laborieuse. Or la France n'a pas tant un problème de coût du travail qu'un problème d'innovation et de qualité perçue de son offre. C'est essentiellement en matière de R&D que la France accumule du retard par rapport à l'Allemagne depuis le début des années 2000. Et depuis 2004, l'effort allemand s'accélère alors qu'aucune véritable reprise des dépenses n'est en vue côté français.
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